Sri Aurobindo, LA VIE DIVINE -Extrait du chapitre XVIII
"Mental et Supramental"
[...]L'erreur fondamentale du Mental est donc cette perte de la connaissance de soi, par quoi l'âme individuelle conçoit son individualité comme un fait séparé et non comme une forme de l'Unité, et se fait le centre de son propre univers, au lieu de se connaître comme étant une concentration de l'universel. De cette erreur originelle, toutes ses ignorances et limitations particulières sont des résultats contingents. Car, ne considérant le flux des choses que tel qu'il coule sur lui et à travers lui, il fait une limitation d'être qui produit une limitation de conscience et par conséquent de connaissance, une limitation de force consciente et de volonté et par conséquent de pouvoir, une limitation de jouissance de soi et par conséquent de félicité. Comme il n'est conscient des choses et ne les connaît que telles qu'elles se présentent à son individualité, il tombe dans une ignorance du reste et par conséquent dans une conception erronée de cela même qu'il semble connaître : car, puisque tout l'être est interdépendant, la connaissance du tout ou de l'essence est nécessaire à la connaissance juste de la partie. D'où un élément d'erreur en toute connaissance humaine. De même, notre volonté, ignorante du reste de la volonté totale, tombe nécessairement dans une erreur de fonctionnement, dans une incapacité, une impuissance plus ou moins grandes ; la félicité que l'âme trouve en soi et dans les choses, méconnaissant la béatitude du Tout et impuissante à maîtriser son monde par manque de volonté et de connaissance, devient nécessairement incapable du délice de posséder, et par conséquent tombe dans la souffrance. L'ignorance de soi est donc la racine de toute la perversité de notre existence, et cette perversité se fortifie dans la limitation de soi, l'égoïsme qui est la forme prise par cette ignorance de soi. Et cependant toute ignorance et toute perversité ne sont que la déformation de la vérité et de la justesse des choses, et non le jeu d'une fausseté absolue. C'est la conséquence de ce que le Mental envisage les choses dans la division qu'il a établie, avidyâyâm antare, au lieu d'envisager lui-même et ses divisions comme des instruments et des phénomènes du jeu de la vérité de Sachchidânanda. S'il retourne à la vérité d'où il est tombé, il re-devient l'action finale de la Vérité-Consciente en son opération appréhensive, et les rapports qu'il aide à créer en cette lumière et cette puissance seront des rapports de Vérité et non de perversité. Ils seront — selon la distinction expressive des rishis védiques —les choses droites et non point les tordues, c'est-à-dire des Vérités de divine existence, avec la conscience, la volonté et la félicité de la divine existence se possédant soi-même et se mouvant harmonieusement en soi-même. Ce que nous voyons plutôt à présent, c'est le mouvement dévié et en zigzag du mental et de la vie, les contorsions que fait l'âme devenue oublieuse de son être véritable dans sa lutte pour se retrouver, pour résoudre toute erreur passée en cette vérité que limitent ou déforment notre vérité comme notre erreur, notre bien comme notre mal, pour résoudre toute incapacité en cette force pour la possession de laquelle luttent notre puissance et notre faiblesse ; toute souffrance en cette félicité que cherche à réaliser le convulsif effort de sensation que sont notre joie et notre douleur; toute mort en cette immortalité où veut retourner ce constant effort d'être que sont notre vie et notre mort.