Le cœur profond, l'essence
intime de la religion, indépendamment de la machinerie extérieure des
credo, des cultes, des cérémonies et des symboles, est la quête et la
découverte de Dieu. Son aspiration est découvrir l'Infini, l'Absolu,
l'Un, le Divin qui est toutes ces choses, et n'est cependant pas une
abstraction mais un être. Sa tâche est de vivre sincèrement et
totalement les relations vraies et intimes de l'homme avec Dieu :
relation d'unité, relation de différence, relation de connaissance
illuminée, d'amour et de félicité extatique, de soumission et de
services absolu- d'arracher à leur état ordinaire toutes les parties de
notre existence et de faire jaillir l'homme jusqu'au Divin et descendre
le Divin dans l'homme. Tout cela n'a rien à voir avec le domaine de la
raison ni avec ses activités normales, le but de la religion, sa sphère
et ses processus sont suprarationnels. La connaissance de Dieu ne
s'obtient pas en pesant les faibles arguments de la raison pour ou
contre l'existence de Dieu; elle tient seulement de soi et la
consécration absolue, par l'aspiration et l'expérience. Et cette
expérience ne procède aucunement comme le fait l'expérimentation
scientifique rationnelle, la pensée philosophique rationnelle. Même les
parties de la discipline religieuse qui semblent le plus ressembler à
l'expérimentation scientifique, font appel à des méthodes de
vérification qui dépassent la raison et ses timides limites. Même les
parties de la connaissance religieuse qui semblent le plus ressembler
aux opérations intellectuelles, font appel à des facultés illuminatrices
qui ne sont pas l'imagination ni la logique ni le jugement rationnel,
mais des révélations, des inspirations, des intuitions, des
discernements intuitifs qui jaillissent d'un plan de lumière
suprarationnel. L'amour de Dieu est un sentiment infini et absolu qui
n'admet aucune limitation rationnelle et n’emploie pas le langage d'un
culte rationnel ni d'une adoration rationnelle; la félicité en Dieu est
une paix et une béatitude qui dépassent toute compréhension.
La soumission à Dieu est une soumission de l'être tout entier à une
lumière, une volonté, un pouvoir et un amour supra-rationnels, et le
service de Dieu ne tient aucun compte des compromis avec la vie qui font
l'essence de la méthode de la raison pratique de l'homme dans la
conduite ordinaire de son existence mondaine. Certes, il existe toute
une catégorie de pratiques religieuses qui sont hésitantes, imparfaites,
à moitié sincères et pas très sûres d'elles-mêmes, et où la raison peut
avoir son mot à dire; mais partout où la religion s'est vraiment
trouvée, partout où elle s'ouvre à son propre esprit, sa voie est
absolue et ses fruits sont ineffables.
En vérité, la raison a un rôle à jouer vis-à-vis du domaine
supérieur de notre être religieux et de son expérience, mais ce rôle est
tout à fait secondaire et subordonné. Elle ne peut pas dicter les lois
de la vie religieuse, elle ne peut pas fixer d'autorité les méthodes de
la connaissance divine; elle ne peut pas styler l'amour divin et sa
béatitude ni leur faire la leçon; elle ne peut pas assigner des bornes à
l'expérience spirituelle ni imposer son joug à l'action de l'homme
spirituel. Son seul rôle légitime est d'expliquer aux éléments
rationnels et intellectuels de l'homme, aussi bien qu'elle le peut et
dans son langage, les vérités, les expériences et les lois de notre
existence supra-rationnelle et spirituelle. Telle a été l’œuvre de la
philosophie spirituelle en Orient, et d'une façon beaucoup plus fruste
et beaucoup plus imparfaite de la théologie en Occident, et cette oeuvre
est d'une grande importance à une époque comme la nôtre où
l’intelligence humaine, après avoir longtemps erré, se tourne de nouveau
vers la recherche du Divin. Cette philosophie spirituelle doit
inévitablement recourir à certaines parties des opérations spécifiques
de 1'intellect : raisonnement logique, déductions à partir déduction à
partir de l'expérience rationnelle, analogies tirées de la connaissance
des faits apparents de l'existence même aux vérités physiques de la
science; bref à tout le mécanisme mental de l'intelligence dans son
fonctionnement ordinaire. Mais c'est la partie la plus faible de la
philosophie spirituelle. Elle ne convainc le mental rationnel que dans
la mesure où l'intellect est déjà prédisposé à croire, et même si elle
convainc, elle ne peut pas donner la connaissance vraie. La raison n'est
sûre que lorsqu'elle se contente de prendre telles qu'elles sont les
vérités et les expériences profondes de l'être spirituel et de la vie
spirituelle, et qu'elle leur donne la forme, l'ordre et le langage qui
peuvent les rendre les plus intelligibles ou les moins inintelligibles
au mental raisonnant. Mais même là, son action n'est pas tout à fait
sure, car elle a tendance à durcir l'ordre en un système intellectuel et
à présenter la forme comme s'il s'agissait de l'essence.