— Je n'ai pas dit que mon yoga
était quelque chose de parfaitement neuf dans tous ses éléments. Je l'ai appelé
le yoga intégral, et cela signifie qu'il reprend l'essence et beaucoup des
procédés des anciens yogas. Ce qu'il y a de nouveau en lui, c'est son but, son
point de vue et la totalité de sa méthode. Aux premiers stades — et c'est tout
ce dont je traite dans L'énigme de ce
monde et dans Le guide du yoga —
il ne comporte rien qui le distingue des anciens yogas excepté le but que l'on découvre
sous son caractère de totalité ; l'esprit qui anime ses mouvements et la
signification ultime qu'il garde toujours présente — également la structure de
sa psychologie et la façon dont elle opère ; mais comme tout cela n'a pas été —
et ne pouvait pas être — développé systématiquement ou schématiquement dans ces
lettres, cela n'a pas été saisi par ceux qui n'ont pas déjà acquis avec lui une
certaine familiarité mentale ou n'en ont pas une certaine pratique. Je n'ai pas
encore rendu publics le détail et la méthode des stades ultérieurs du yoga qui
conduisent dans des régions peu connues ou inexplorées — et je n'ai pas pour le
moment l'intention de le faire.
Je sais fort bien aussi qu'il a existé des
idéals et des anticipations qui lui semblent apparentés : la perfectibilité de
la race, certaines sâdhanâs tantriques, la recherche par certaines écoles
yoguiques d'une siddhi physique complète, etc. J'y ai
moi-même fait allusion et j'ai exprimé l'opinion que le passé spirituel de
notre race avait été une préparation de la Nature non seulement pour atteindre
le Divin au-delà du monde, mais aussi pour ce pas en avant que l'évolution de
la conscience terrestre a encore à faire. Je ne m'inquiète donc pas le moins du
monde de savoir si notre yoga, son but ou sa méthode sont ou ne sont pas admis
comme étant nouveaux — bien que ces idéals aient été dans une certaine mesure
parallèles au mien, mais non identiques ; cela est en soi sans importance. La
seule chose qui compte est qu'il soit reconnu comme vrai en soi par ceux qui
peuvent l'accepter ou le pratiquer, et qu'il se rende lui-même vrai par sa
propre réalisation ; peu importe qu'on l'appelle nouveau, ou répétition ou
renouveau de l'ancien yoga qui avait été oublié. J'ai insisté sur la nouveauté
de ce yoga dans une lettre à certains sâdhaks pour leur expliquer qu'à mes yeux
une répétition du but et de l'idée de l'ancien yoga ne suffisait pas, que je
mettais en avant une chose à accomplir qui n'avait pas encore été accomplie,
pas encore clairement visualisée, bien qu'elle soit une conséquence naturelle,
mais encore secrète, de tout l'effort spirituel passé.
Par comparaison avec les anciens yogas, ce
yoga-ci est nouveau :
(1) parce qu'il ne vise pas à nous faire
sortir du monde et de la vie pour nous conduire au ciel ou au nirvâna, mais
qu'il se propose une transformation de la vie et de l'existence, non pas
incidemment ou à titre subordonné, mais comme but central et distinct. S'il y a
dans d'autres yogas une descente, elle n'y est qu'un épisode sur la route ou un
résultat de l'ascension — c'est cette dernière qui est la chose vraie. Ici la
montée est le premier pas, mais elle est un moyen pour amener la descente.
C'est la descente de la conscience nouvelle atteinte par l'ascension qui donne
à la sâdhanâ sa confirmation et son sceau. Même le Tantra et le Vishnouïsme
aboutissent à libérer de la vie; ici le but est le divin accomplissement de la
vie ;
(2) parce que le but recherché n'est
pas l'obtention individuelle de la réalisation divine pour le profit de
l'individu, mais quelque chose à gagner pour la conscience terrestre ici-bas,
un accomplissement cosmique et non seulement supra-cosmique. Ce qu'il y a à
gagner aussi, c'est l'obtention d'un Pouvoir de conscience (le Supramental) qui
n'est pas encore organisé ni directement actif dans la nature terrestre ou même
dans la vie spirituelle, mais qui reste à organiser et à rendre directement
actif ;
(3) parce qu'il a été préconisé pour
atteindre cet objectif une méthode qui est aussi totale et intégrale que le but
proposé, c'est-à-dire la transformation totale et intégrale de la conscience et
de la nature, en utilisant les anciennes méthodes, mais seulement pour une
partie de l'action et comme aide temporaire à d'autres méthodes qui lui
appartiennent en propre. Je n'ai pas trouvé que dans les yogas on ait enseigné
ou pratiqué cette méthode dans son ensemble, ni rien d'analogue. Si tel avait
été le cas, je n'aurais pas perdu mon temps à frayer des chemins et passé
trente années en recherches et en création intérieure alors que j'aurais pu me
hâter de revenir à mon but, en toute sécurité, en trottant tout tranquillement
sur des sentiers déjà tracés, dégagés, parfaitement relevés, goudronnés, sûrs
et ouverts au public.
Notre yoga n'est pas la répétition de
vieilles promenades, mais une aventure spirituelle.
Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga I, (I, 27-29)