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Votre pratique de la psychanalyse était une
erreur ; pour le moment du
moins, cela a rendu le travail de purification moins facile, plus compliqué. La psychanalyse de Freud est la dernière chose que l'on devrait associer au yoga. Elle
se saisit d'une certaine partie de la nature, la
plus sombre, la plus
périlleuse, la plus malsaine, telles les couches subconscientes du vital inférieur, isole quelques-uns
de ses phénomènes les
plus morbides et leur attribue une action hors de toute proportion avec leur vrai rôle dans la nature.
La psychologie
moderne est une science dans l'enfance, à la fois imprudente, maladroite et grossière. Comme toutes
les sciences
primitives, c'est un débordement du mental humain et de son habitude universelle de s'emparer d'une vérité partielle ou locale et de la généraliser
indûment en voulant expliquer
toute l'étendue de la Nature
par ses termes étroits. En outre,
l'exagération de l'importance des complexes sexuels réprimés est une dangereuse fausseté qui peut avoir une influence néfaste et contribuer à
rendre le mental et le vital, non pas moins mais
plus foncièrement impurs qu'auparavant.
Il est
vrai que le subliminal est la partie la plus importante de la nature humaine et
qu'il contient le secret des dynamismes invisibles qui expliquent nos activités
de surface. Mais le subconscient vital inférieur, et c'est tout ce que la psychanalyse de Freud semble connaître
(et encore n'en connaît-elle que quelques
coins mal éclairés), n'est rien de plus
qu'une portion restreinte et très inférieure de l'ensemble subliminal.
Le moi subliminal se tient en arrière et soutient tout l'homme superficiel ; il contient un
mental plus large et plus efficace
derrière le mental de surface, un vital plus vaste et plus puissant derrière le vital de surface, une conscience
physique plus subtile et plus libre derrière l'existence corporelle de surface. Et au-dessus d'eux,
il s'ouvre à des régions
supraconscientes supérieures, de même qu'au-dessous il s'ouvre à des régions subconscientes inférieures. Si l'on veut purifier et transformer la nature,
c'est au pouvoir de ces régions
supérieures qu'il faut s'ouvrir et s'élever, et, par elles, changer à la fois l'être subliminal et celui de surface.
Même cela doit être fait avec soin, ni prématurément ni imprudemment, en
suivant une direction supérieure et en
gardant toujours l'attitude vraie, sinon la force attirée peut être trop forte pour l'obscure et faible
charpente de notre nature. Mais commencer par ouvrir le
subconscient inférieur et risquer ainsi de soulever tout ce qui
est malpropre et obscur en lui, c'est s'écarter de son chemin et inviter
les ennuis. D'abord on doit rendre le mental supérieur et le vital forts,
solides et pleins de la lumière et de la paix d'en haut ; après cela, on
peut ouvrir le subconscient et même
y plonger avec plus de sécurité et quelque chance de changement rapide et heureux.
Le
système de vouloir se débarrasser des choses par anoubhava est également dangereux ; car sur cette voie, on peut facilement s'enliser davantage au lieu
d'arriver à la liberté. Cette méthode repose sur deux mobiles
psychologiques bien connus. L'un, le mobile d'épuisement
volontaire, n'est valable que dans quelques cas, spécialement quand
certaines tendances naturelles ont une emprise ou une poussée trop fortes pour
que l'on puisse s'en débarrasser par vitchâra ou par le procédé du rejet en mettant le vrai mouvement
à la place. Quand la poussée est excessive, le sâdhak est parfois même obligé de retourner à l'action ordinaire de la vie ordinaire et d'en avoir la vraie
expérience avec une mentalité et une volonté nouvelles
derrière ; puis il revient à la vie spirituelle une fois que
l'obstacle est éliminé, ou en
tout cas sur le point de l'être. Mais cette méthode de
laisser-aller intentionnel est
toujours dangereuse, bien que
parfois inévitable. Elle ne
réussit que quand l'être possède
une très forte volonté de réalisation ; car alors, l'assouvissement des désirs
amène un grand mécontentement, une forte réaction, le vaïragya,
et la volonté de
perfectionnement peut
alors passer dans la partie récalcitrante de la
nature.
L'autre mobile de l'anoubhava
s'applique d'une façon plus
générale -, en effet, pour rejeter quoi que ce soit de l'être,
il faut d'abord devenir conscient de la chose à rejeter, avoir
une claire expérience intérieure de son action et découvrir sa place réelle dans le fonctionnement de la
nature. Alors on peut agir sur
elle pour l'éliminer si c'est un mouvement entièrement mauvais, ou la transformer si c'est seulement
la dégradation d'un mouvement supérieur et vrai. C'est cela, ou
quelque chose d'approchant, que l'on a essayé
grossièrement et abusivement avec une
connaissance rudimentaire et
insuffisante, dans le système de la psychanalyse. Soulever les mouvements
inférieurs jusque dans la pleine lumière de la conscience afin de les connaître et
de les manipuler est un procédé inévitable ; car un changement complet
ne peut pas se faire sans cela. Mais ce procédé ne peut vraiment réussir que si
une lumière et une force supérieures interviennent suffisamment pour
surmonter, plus ou moins vite, la force de la tendance
offerte à la transformation. Bien des gens, sous prétexte d'anoubhava,
non seulement soulèvent le
mouvement adverse, mais le soutiennent de leur consentement au lieu de le
rejeter, trouvent des justifications
pour le prolonger ou le répéter et ainsi jouent avec lui, se plaisent à
son retour et l'éternisent ensuite, quand ils veulent s'en débarrasser, il a
une telle emprise sur eux qu'ils se découvrent impuissants
entre ses griffes et ne peuvent être libérés que par un
terrible conflit ou une
intervention de la Grâce
divine.
Certains le font par déformation ou perversité
vitales, d'autres par simple
ignorance ; mais dans le yoga, de même que dans la vie, la Nature n'accepte pas l'ignorance comme une excuse
justificative. Ce danger est là chaque fois que l'on manipule maladroitement les
parties ignorantes de la nature
; mais aucune partie n'est plus ignorante, plus périlleuse, plus
déraisonnable, plus obstinée dans ses répétitions que le subconscient vital inférieur et ses
mouvements. Le soulever prématurément ou
sans la connaissance du procédé,
pour en faire l'anoubhava, c'est risquer d'inonder aussi de ce flot sombre et sale les parties
conscientes de notre être, et ainsi d'empoisonner toute la nature vitale et même
toute la nature
mentale. Par conséquent, on doit toujours commencer par une expérience positive, et non par une expérience négative, et faire descendre d'abord
quelque premier reflet de la nature divine, de
la tranquillité, de la lumière, de l'équanimité, de la pureté et de la solidité
divines dans les parties de l'être conscient qui doivent être changées
; c'est seulement quand ceci a été fait suffisamment et qu'il y a une base positive solide, que l'on peut avec
sécurité soulever les éléments adverses cachés dans le subconscient afin
de les détruire ou de les éliminer par la puissance de la tranquillité, de la
lumière, de la force et de la connaissance divines. Même
ainsi, il y aura toujours assez d'éléments inférieurs qui se
lèveront d'eux-mêmes pour vous procurer autant d'anoubhava qu'il vous en faut afin de vous débarrasser
des obstacles
; mais dans ce cas, on peut les manipuler avec beaucoup moins de danger et
sous une direction interne supérieure.
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Je trouve difficile de
prendre ces psychanalystes au sérieux quand
ils essayent de sonder l'expérience spirituelle à la
lueur
clignotante de leurs lampes de poche ; et pourtant, on le devrait peut-être, car le demi-savoir est une
chose puissante qui peut être un grand
obstacle à l'émergence de la vraie Vérité. Cette nouvelle psychologie me fait l'effet
d'enfants qui apprendraient un
alphabet sommaire et pas très adéquat, exultant quand ils
additionnent l'ABC du subconscient et le mystérieux super-ego souterrain, et
qui s'imaginent que leur premier livre de
débutants obscurs, leur b-a ba, est le coeur même de la vraie
connaissance. Ils regardent de bas en haut et expliquent
les lumières supérieures par les obscurités inférieures ; mais le
fondement des choses est en haut, non en bas, oupari boudhna éshâm. C'est
le Supraconscient, et non le subconscient,
qui est le vrai fondement des choses. Ce n'est pas en analysant les secrets de la boue où il pousse qu'on explique le lotus ; le secret du lotus est dans
l'archétype divin du lotus, qui
fleurit à jamais en haut dans la
Lumière. En outre, le domaine que ces psychologues se sont
choisi est pauvre, obscur et limité ;
il faut connaître le tout avant de pouvoir
connaître la partie, et ce qui est tout en haut avant de pouvoir comprendre vraiment ce qui est tout en
bas. Telle est la promesse de la
psychologie future, et quand son heure sera
venue, ces pauvres tâtonnements s'évanouiront, réduits à rien.
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Sri
Aurobindo
LETTRES
SUR LE YOGA VI