Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: mai 2018

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Le rêve irréalisé de l'unification de l'Europe


La formation de l'unité nationale vraie est un problème d'agrégation humaine légué au Moyen Âge par l'Antiquité, nous l'avons vu. L'Antiquité est partie de la tribu, de la Cité, du clan, du petit État régional et tous étaient des unités mineures vivant au milieu d'autres unités semblables par le type général et qui étaient habituellement apparentées par le langage et le plus souvent ou en grande partie par la race. Ces unités mineures se distinguaient des autres groupes d'humanité par une tendance à une civilisation commune et par des circonstances géographiques favorables qui protégeaient à la fois leurs ressemblances entre elles et leur diversité par rapport aux autres. Ainsi, la Grèce, l'Italie, la Gaule, l'Égypte, la Chine, la Perse médique, l'Inde, l'Arabie, Israël, débutèrent par une agrégation culturelle et géographique imprécise qui en fit des unités culturelles séparées et distinctes avant même qu'elles fussent devenues des unités nationales. À l'intérieur de cette unité imprécise, tribus, clans, cités et États régionaux formaient autant de points d'unité distincts, vigoureux et compacts au milieu de la masse générale, qui, certes, sentaient de plus en plus puissamment la divergence et l'opposition de leur unité culturelle globale par rapport au monde extérieur, mais qui pouvaient sentir aussi, et souvent d'une façon beaucoup plus tangible et plus aiguë, leurs propres divergences, oppositions et contrastes mutuels. Quand le sens des distinctions locales était plus aigu, le problème de l'unification nationale était nécessairement aussi plus difficile, et sa solution, quand on la trouvait, tendait à être plus illusoire.

Dans la plupart des cas, on a tenté de trouver une solution. Elle a réussi en Égypte et en Judée au milieu même de cet ancien cycle de l'évolution historique; mais en Judée certainement, et probablement en Égypte, le résultat complet n'a pu s'obtenir que par la sévère discipline de la sujétion à un joug étranger. Quand cette discipline a fait défaut, quand l'unité nationale s'est accomplie du dedans pour ainsi dire (généralement par le triomphe du plus fort des clans, cités ou unités régionales comme il en fut à Rome, en Macédoine et parmi les clans montagnards de la Perse), le nouvel État, au lieu d'attendre d'avoir solidement assis son œuvre et posé en profondeur les bases vigoureuses de son unité nationale, s'est aussitôt mis à dépasser les nécessités immédiates et s'est embarqué dans une carrière de conquêtes. Avant que les racines psychologiques de l'unité nationale n'eussent été profondément enfoncées, avant que la nation fût solidement consciente d'elle-même et irrésistiblement en possession de son unité, invinciblement attachée à elle, l'État souverain, entraîné par l'impulsion militaire qui l'avait porté au pouvoir, tentait aussitôt de former par les mêmes moyens un agrégat impérial plus vaste. L'Assyrie, la Macédoine, Rome, la Perse, et plus tard l'Arabie, ont toutes suivi la même tendance et le même cycle. La grande invasion de l'Europe et de l'Asie occidentale par la race gaélique, puis la désunion et le déclin de la Gaule qui suivirent, furent probablement dus au même phénomène et sont le résultat d'une unification encore plus prématurée et plus mal formée que celle de la Macédoine. Toutes furent le point de départ de grands mouvements impériaux avant d'être devenues la pierre angulaire d'une unité nationale solidement bâtie.

Ces empires ne pouvaient donc pas durer. Quelques-uns subsistèrent plus longtemps que d'autres parce qu'ils avaient posé des fondations plus solides au sein de l'entité nationale centrale, comme l'avait fait Rome en Italie. En Grèce, le premier unificateur, Philippe, avait fait une ébauche d'unification rapide, mais imparfaite, dont la rapidité n'avait été possible que grâce à l'hégémonie préalable, mais plus lâche encore, de Sparte. Eût-il été suivi d'un homme de talent patient au lieu d'un homme de vaste imagination et de suprême génie, cette première ébauche pratique aurait pu être complétée, fortifiée, et une œuvre durable accomplie. Celui qui commence par fonder à grande échelle et vite, a toujours besoin pour successeur d'un talent ou d'un génie organisateur et non d'un foudre d'expansion. César suivi d'Auguste, donne une œuvre d'une durée massive ; Philippe suivi d'Alexandre, donne un accomplissement d'une vaste importance pour le monde, par ses résultats, mais c'est seulement la splendeur d'un éclat de courte durée. Rome, à qui la prudente Nature avait refusé tout homme de génie éminent tant qu'elle n'avait pas fermement unifié l'Italie et posé les bases de son empire, a pu construire beaucoup plus solidement ; et encore, n'est-ce pas comme centre et tête d'une grande nation qu'elle a fondé cet empire, mais toujours comme une cité prépondérante qui se servait de l'Italie sujette comme d'un tremplin pour bondir sur le monde environnant et le subjuguer. Elle a dû donc faire face à un problème d'assimilation beaucoup plus difficile, celui d'une nébuleuse de nations et de cultures établies ou encore rudimentaires, différentes de la sienne, avant d'avoir appris à appliquer au nouveau problème l'art d'une unification complète et absolue à une échelle plus petite et plus facile, et avant d'avoir pu souder en un seul organisme national vivant, non plus romain mais italien, les éléments de différence et d'identité que représentaient les facteurs gaulois, latins, ombriens, osques et gréco-apuliens dans l'ancienne Italie. Par conséquent, bien que son empire ait duré plusieurs siècles, c'est au prix d'une vaste dépense d'énergie, de vitalité et de vigueur intérieure, que Rome a pu temporairement le conserver; elle n'a pas réussi à accomplir son unité nationale, ni une unité impériale durable, et tels les autres empires anciens, le sien s'est effondré pour faire place à une ère nouvelle de construction nationale véritable.

Il est nécessaire de souligner où gît l'erreur. L'organisation administrative, politique et économique de l'humanité en agrégats plus ou moins grands est un travail qui relève fondamentalement du même ordre de phénomènes que la création d'un organisme vivant dans la Nature physique. C'est-à-dire que la Nature se sert essentiellement de méthodes extérieure et physiques qui obéissent aux principes d'énergie de la vie physique pour créer des formes vivantes, bien que son but secret soit de libérer, de manifester et de mettre solidement en action un principe supraphysique et psychologique latent derrière les opérations de la vie et du corps. Construire un corps et un fonctionnement vital solides et durables pour un ego collectif distinct, puissant, bien centré et bien ramifié, tel est son but et sa méthode. Au cours de ce processus, nous l'avons vu, de petites unités distinctes sont tout d'abord formées au sein d'une unité plus large, mais plus lâche ; ces petites unités ont une forte existence psychologique et un corps, un fonctionnement vital bien développés, tandis que la masse plus large possède un sens psychologique et une énergie vitale inorganisés et qui n'ont pas la puissance d'un fonctionnement précis : le corps est une quantité fluide, une masse semi-­nébuleuse, ou tout au plus mi-fluide mi-solide, un protoplasme plutôt qu'un corps. Cet ensemble doit à son tour être formé et organisé ; il faut construire pour lui une forme physique solide, un fonctionnement vital bien défini et une réalité psychologique claire, une conscience de soi, une volonté mentale de vivre.

Ainsi se forme une nouvelle unité plus grande ; et de nouveau celle-ci se trouve au milieu d'un certain nombre d'unités similaires qu'elle considère tout d'abord comme hostiles et tout à fait différentes d'elle-même, puis elle entre dans une sorte de communauté avec elles, tout en restant différente, jusqu'à ce que nous voyions se répéter le phénomène originel d'un certain nombre d'unités distinctes, plus petites, groupées au sein d'une unité plus vaste, mais lâche. Les unités incluses sont plus grandes et plus complexes qu'autrefois, l'unité englobante est aussi plus grande et plus complexe qu'avant, mais la position essentielle est la même et le problème à résoudre identique. Ainsi, au début, nous observons le phénomène de Cités et de peuples régionaux coexistant comme des parties désunies d'une unité géographique et culturelle vague, telles l'Italie et l'Hellade, et le problème était alors de créer la nation italienne ou hellénique. Puis s'est présenté le phénomène des unités nationales formées, ou en formation, qui coexistaient comme des parties désunies d'une vague unité géographique et culturelle : la chrétienté d'abord, puis l'Europe ; le problème était donc d'unir cette chrétienté ou cette Europe ; or, cette union, bien qu'elle ait été plus d'une fois conçue par des hommes d'État ou des penseurs politiques, n'a jamais été réalisée, et à vrai dire n'a jamais même été ébauchée. Avant que ses difficultés n'eussent pu être résolues, le mouvement moderne et ses forces d'unification nous ont présenté un phénomène nouveau et plus complexe, celui d'un certain nombre d'unités nationales et impériales englobées dans le réseau commercial de plus en plus étroit et dans l'interdépendance vitale vague, mais grandissante, de toute l'humanité ; et le problème connexe de l'unification de l'humanité éclipse déjà le rêve irréalisé de l'unification de l'Europe.
Sri Aurobindo, L'idéal de l'unité humaine,

Chapitre XII, L'ancien cycle pré-national de formation des empires – Le cycle moderne de formation des nations

 

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