« Nous ignorons l’Absolu qui est la source de tout être et de tout
devenir ; nous prenons des faits partiels de l’être et des rapports
temporels du devenir pour la vérité totale de l’existence – c’est là notre
ignorance première, originelle.
Nous ignorons le moi inspatial, intemporel, immobile et immuable ; nous
prenons la mobilité et le changement constants du devenir cosmique dans le
Temps et l’Espace pour la vérité totale de l’existence – c’est là notre
deuxième ignorance, l’ignorance cosmique.
Nous ignorons notre moi universel, l’existence cosmique, la conscience
cosmique, notre infinie unité avec tout être et tout devenir ; nous
prenons notre mental, notre vital, notre corps, égoïste et limités, pour notre
vrai moi, et nous considérons tout le reste comme non-soi – c’est notre
troisième ignorance, celle qui est de la nature de l’ego.
Nous ignorons notre éternel devenir dans le Temps ; nous prenons cette vie
insignifiante dans un court laps de temps, une dérisoire bande d’espace, pour
notre commencement, notre milieu et notre fin – c’est là notre quatrième
ignorance, la temporelle.
Et même dans ce bref devenir temporel, nous ignorons l’ampleur et la complexité
de notre être, tout ce qui en nous est supraconscient, subconscient,
intraconscient, circumconscient par rapport à notre devenir
apparent ; nous prenons ce devenir superficiel, avec son maigre assortiment
d’expérience ouvertement mentalisées pour la totalité de notre existence –
c’est là notre cinquième ignorance, la psychologique.
Nous ignorons la vraie constitution de notre devenir, nous prenons le mental ou
la vie ou le corps, ou deux d’entre eux, ou les trois à la fois pour le vrai
principe de notre être ou pour l’explication de tout ce que nous sommes et nous
perdons de vue ce qui les constitue et les détermine par sa présence occulte,
et qui doit par son émergence déterminer souverainement leurs opérations –
c’est notre sixième ignorance, la constitutionnelle.
Comme conséquence de toutes ces ignorances, nous passions à côté de la vraie
jouissance de notre vie dans le monde ; nous sommes ignorants dans notre
pensée, notre volonté, nos sensations et nos actions, nous donnons chaque fois
des réponses fausses ou imparfaites aux questions que nous pose le monde, nous
errons dans un labyrinthe d’erreurs et de désirs, d’efforts et d’échecs, de
douleurs et de plaisirs, de péchés et de chutes, nous suivons un chemin
tortueux, tâtonnant aveuglément pour saisir un but changeant – c’est là notre
septième ignorance, l’ignorance pratique.
La conception
que nous avons de l’Ignorance déterminera nécessairement celle que nous aurons
de la Connaissance et déterminera par suite le but de l’effort humain et
l’objectif de l’effort cosmique – puisque notre vie est l’Ignorance qui à la
fois nie la Connaissance et la recherche. La connaissance intégrale signifiera
donc l’abolition de la septuple Ignorance grâce à la découverte de ce qui lui
échappe et qu’elle ignore, une septuple révélation-de-soi dans notre
conscience ».
Shri Aurobindo
La Vie
divine, III, p. 35-36.
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