[...] Il y a deux sortes de choses qui
se produisent dans le yoga : des réalisations et des expériences. Les
réalisations sont la réception dans la conscience et l'établissement dans la
conscience des vérités fondamentales du Divin, de la Nature supérieure ou
divine, de la conscience mondiale et du jeu des forces, de son propre Soi et de
sa nature réelle ; c'est aussi le fait que la nature intérieure de ces choses,
le pouvoir de ces choses, croissent en nous jusqu'à ce qu'elles fassent partie
de notre vie, de notre existence intérieures. Ce sont par exemple la
réalisation de la Présence divine, de la Descente et de l'installation dans la
conscience de la Paix, la Lumière, la Force, l'Ananda supérieurs et de l'action
qu'ils y exercent, la réalisation de l'amour divin ou spirituel, la perception
de notre propre être psychique, la découverte de notre être mental vrai, de
notre être vital vrai, de notre être physique vrai, la réalisation du
Surmental ou de la conscience supramentale, la claire perception du rapport
entre toutes ces choses et notre nature inférieure actuelle, et de leur action
sur cette nature inférieure pour la transformer. Evidemment cette liste
pourrait être allongée indéfiniment. Ces mêmes choses sont souvent appelées des
expériences lorsqu'elles
viennent seulement par éclairs,
par bribes, en de rares apparitions ; on n'en parle comme de pleines
réalisations que lorsqu'elles deviennent très positives ou fréquentes ou
continues ou normales.
Il y a aussi des expériences qui
aident, ou qui conduisent vers la réalisation de choses spirituelles ou
divines, qui amènent dans la sâdhanâ des ouvertures ou des progressions, ou
qui sont des soutiens sur la voie : expériences de caractère symbolique,
visions, contacts d'un genre ou d'un autre avec le Divin ou avec le jeu de la
Vérité supérieure, des choses telles que l'éveil de la kundalinî, l'ouverture
des chakras, des messages, des intuitions, des ouvertures de pouvoirs
intérieurs, etc. La seule chose dont il faille prendre soin, c'est de s'assurer
qu'elles sont authentiques et sincères, et cela dépend de notre propre
sincérité. Car si l'on n'est pas sincère, si l'on est plus occupé de l'ego, ou
d'être un grand yogin, ou de devenir un surhomme que d'atteindre le Divin ou
d'obtenir la conscience divine qui nous permet de vivre en le Divin ou avec
lui, alors se précipite en nous un flot de pseudoexpériences ou d'expériences
mélangées, on est entraîné dans les labyrinthes de la zone intermédiaire où
l'on tourne en rond dans les ornières de ses propres formations. Telle est la
vérité sur toute cette question.
Alors pourquoi N dit-il qu'il ne
faut pas aller à la poursuite des expériences, mais seulement aimer le Divin
et le chercher ? Cela signifie simplement que vous n'avez pas à faire des
expériences votre but principal, mais que le Divin doit être votre but. Et si
vous agissez ainsi, vous avez davantage de chances d'obtenir les expériences
utiles et vraies et d'éviter les mauvaises. Si l'on cherche surtout des
expériences, le yoga peut devenir un simple laisser-aller dans les moindres
choses des mondes mental, vital et physique subtil ou dans les choses
spirituelles secondaires, ou il peut amener un tourbillon, un maelstrom des
expériences mélangées et de celles qui sont entièrement ou à demi des
pseudo-expériences, et s'interposer entre l'âme et le Divin. C'est une règle
fort saine dans la sâdhanâ. Mais toutes ces règles et ces affirmations doivent
être accueillies avec un certain sens de mesure, et dans leurs propres
limites. Cela ne signifie pas que l'on ne doive pas bien accueillir des
expériences utiles, ni qu'elles soient sans valeur. Et aussi, lorsque s'ouvre
une saine ligne d'expériences, il est parfaitement permis de la suivre jusqu'au
bout, tout en gardant toujours devant les yeux le but central. Tous les
contacts qui nous aident ou nous soutiennent, dans le rêve ou la vision, tels
que ceux dont vous parlez, doivent être bienvenus et acceptés. Les expériences
de la bonne espèce sont un appui et une aide vers la réalisation ; elles sont
en tous points acceptables.
Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga I
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