L'action
de la Révolution française fut la danse macabre et terrible de Kâli[1],
piétinant aveuglément, dans sa fureur, les ruines qui étaient Sa propre oeuvre,
ivre de pitié pour le monde et par conséquent, impitoyable au dernier degré.
Elle appela en elle le secours de la Yatudhani[2]
et invoqua la Rakshasi[3].
La Yatudhani est le délice de la destruction, la fureur du massacre, Rudra[4]
dans l'Etre Universel, Rudra qui se sert du Bhuta[5],
le criminel, le maître de l'animal en l'homme, le seigneur du démoniaque,
Pashupati, Pramathanatha. La Rakshasi est l'affirmation de soi de l'ego,
effrénée et licencieuse, qui exige la satisfaction de tous ses instincts, bons
et mauvais, et qui brise furieusement toute opposition. C'est la Yatudhani et
la Rakshasi qui lancèrent leur cri rauque à travers toute la France, ajoutant
au lumineux Mantra « Liberté, Égalité, Fraternité », le sombre et terrible
additif « ou la mort ». Mort à l'Asura[6]
, mort à tous ceux qui s'opposent à l'évolution de Dieu, tel en était le sens.
Avec ces deux terribles Shakti[7],
Kâli fit Son oeuvre. Elle voila Sa connaissance divine dans les ténèbres de la
colère et de la passion, Elle but le sang comme un vin; nue de toute tradition
et convention, Elle dansa d'un bout à l'autre de l'Europe et le continent
entier s'emplit du cri de la guerre et du carnage, résonnant du hunkara[8]
et du attahasyam[9].
C'est seulement quand Elle s'aperçut qu'Elle piétinait Mahadeva[10],
Dieu exprimé dans le principe du nationalisme, qu'Elle se ressaisit, rejeta Napoléon,
le puissant Rakshasa[11]
, et s'attela tranquillement à son travail : parfaire la nationalité comme la
coque extérieure au-dedans de laquelle la fraternité put être organisée en
toute sécurité et à grande échelle.
Sri Aurobindo
L'Heure de Dieu et autres écrits, La révolution française
[1] Kâli :
L'aspect de destruction et de transformation de La Mère Divine.
[2]Yatudhani
: Démone et sorcière.
[3] Rakshasi
: Pouvoir titanesque féminin.
[4] Rudra :
Nom attribué au Divin en tant que Maître de l'évolution par la violence et la
bataille. Dans la Trinité divine : Brahmâ — Vishnou — Shiva (Création —
Conservation — Destruction), il est l'expression du processus de destruction.
[5] Bhuta :
Désigne ici un pouvoir ou esprit élémentaire.
[6] Asura :
Force démoniaque du monde mental.
Les
asuras
sont en réalité la face obscure du mental, ou plus strictement du plan
mental
vital. Ce mental est le champ d'action propre des asuras. Ils sont
surtout
caractérisés par la force et la lutte égoïstes qui refusent la loi
supérieure.
L'asura possède la maîtrise de soi, le tapas et l'intelligence, mais
tout cela
à l'usage de son ego. Sur le plan vital inférieur, nous appelons les
forces correspondantes les râkshasas, qui représentent les passions et
les influences
violentes. Sur le plan vital, il y a encore d'autres espèces d'êtres
qu'on
appelle les pishâchas et les pramathas. Ils se manifestent plus ou moins
dans
le physico-vital.
Sur le
plan physique, les forces correspondantes sont des êtres obscurs, des forces
plus que des êtres, ce que les théosophes appellent les élémentaux. Ce ne sont
pas des êtres fortement individualisés comme les râkshasas et les asuras, mais
des forces ignorantes et obscures qui travaillent dans le plan physique subtil.
Ce qu'en sanskrit nous appelons les bhûtas entre généralement dans cette
catégorie. Mais il y a deux espèces d'élémentaux, les uns maléfiques, les
autres non.(Sri Aurobindo, Lettres sur le Yoga, vol. 2)
[7] Shakti :
Énergie, force, volonté, pouvoir du Suprême s'exprimant dans la Nature.
[8] Hunkara :
Le son « hum », syllabe mantrique d'un grand pouvoir.
[9] Attahasyam
: Le rire retentissant qui se gausse de la défaite, de la mort, des pouvoirs de
l'ignorance.
[10] Mahadeva
: « La Suprême Divinité », autre nom donné à Shiva.
[11] Rakshasa:
Pouvoir titanesque masculin. De même
qu'il y a des Puissances de Connaissance ou des Forces de la Lumière, de même
il y a des Puissances d'Ignorance et de ténébreuses Forces d'obscurité dont la
tâche est de prolonger le règne de l'Ignorance et de l'Inconscience. De même
qu'il y a des Forces de Vérité, de même il y a des Forces qui vivent par la Fausseté,
la soutiennent et travaillent à sa victoire. De même qu'il y a des Pouvoirs
dont la vie est intimement liée à l'existence, à l'idée et à l'impulsion du
Bien, de même il y a des Forces dont la vie est liée à l'existence, à l'idée et
à l'impulsion du Mal. C'est cette vérité de l'Invisible cosmique que
symbolisait l'antique croyance en une lutte entre les puissances de Lumière et
de Ténèbres, de Bien et de Mal, pour la possession du monde et la domination de
la vie de l'homme. C'est la signification du combat entre les Dieux védiques et
leurs adversaires, fils des Ténèbres et de la Division, que figurent dans une
tradition ultérieure les Titans, les Géants et les Démons, asuras, râkshasas, pishâchas. On trouve la même tradition
dans le double Principe de Zoroastre et, plus tard, dans l'opposition
sémitique, Dieu et ses anges d'un côté, Satan et ses cohortes de l'autre. (Sri Aurobindo, LA VIE DIVINE, p895 sq)
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