Quand la Vie, comme un
char divin le long des rues d'or de l'éther,
File avec rapidité,
changeant invisiblement la courbe du trajet de l'âme,
Et que, alourdi du choix
survenu ou du destin appelé puis enduré par l'homme,
Le moment avance, poussant
le passé vers le futur,
Seuls son visage et ses
pieds sont visibles, non la charge qu'il transporte.
Nous portons le poids de
l'événement et de sa surface, mais le sens en est caché.
La terre ne voit pas ; le
vacarme de la vie assourdit l'oreille de l'esprit :
L'homme ne sait pas , et
celui qui sait le moins est le messager choisi pour la sommation.
L'homme n'écoute que la
voix de ses pensées, le chuchotement ignorant de son cœur,
Le sifflement des vents à
travers le faîte des arbres du Temps, et le bruissement de la Nature,
Le messager aussi se
hâtait à présent, conduisant le char de sa mission
Il avait appelé ses
coursiers quand l'aurore n'était qu'une lueur à l'est.
Encore mal réveillés dans
les tourelles de lumière, les guetteurs du matin sursautèrent
Au grincement des roues et
au trépignement exultant des sabots,
Sabots des chevaux de la
Grèce galopant vers Troie la Phrygienne.
Ils passèrent fièrement,
en le piétinant, le Xanthe, bravant l'écume de sa colère ,
O Hennissant en force
comme de mépris, ils franchirent les courants emmêlés du Simoïs,
Jumeau du Xanthe, ceint de
roseaux, rivière douce et paresseuse.
Seul et sans armes, le
conducteur du char ; ses cheveux blanchissaient, il était racorni,
Usé par ses décades. A
Pergame avec son enceinte d'une puissance cyclopéenne
Vieux et seul,
insignifiant, il arriva, lui le plus faible des mortels,
Portant entre ses mains
impuissantes le Destin, et la ruine d'un empire.
Au repos, la tête dressée,
Ilion le vit arriver de la mer et des ténèbres.
Audible au milieu des
faibles et lents mouvements de vie de la cité endormie,
Un pas de course
s'approcha rapidement, et le cri de la sommation
Vint battre autour des
portes gardant les édifices de la splendeur de Priam.
Gardiens chargés de la
nuit, vous qui vous tenez à la grande porte de Laomédon,
Eveillez les rois
iliaques. Talthybios, héraut d'Argos,
Se tient pour parlementer
devant les portails de Troie dans la grisaille de l'aube.
Perçant, insistant fut
l'appel. Dans la pénombre et le silence
de sa chambre.
Conduit loin en char dans
ses rêves au milieu de visions de gloire et de terreur.
Scènes d'un monde plus
intense, – ce monde, une fois brouillé et déformé dans les cellules, du
cerveau.
Est vague et inconséquent,
mais là il est riche en couleur, en beauté et en grandeur, –
Soudain tiré par la
tension de ce fil conscient qu'est le lien terrestre
Et averti par son corps
des exigences du Temps et du dur travail à lui assigné dans l'impermanence.
Déiphobos, rejoint dans ce
lointain splendide,
Touché par l'intermédiaire
des trajets nerveux de la vie branchés sur le cerveau du rêveur.
Entendit l'appel
terrestre, et le sommeil effarouché recula
Glissant comme la rosée de
la crinière d'un lion.
A contre-cœur il s'en
revint De la lumière des domaines d'outre-mort, des royaumes merveilleux
Où il avait vagabondé, âme
parmi les âmes, dans les régions qui sont delà notre portée.
Affranchi du labeur et de
l'incertitude, et de la lutte, et du danger.
Maintenant, par force, il
s'en retournait, quittant le répit accordé à ceux qui sont nés dans le temps.
Appelé vers le conflit et
les blessures de la terre, appelé vers le fardeau de la lumière du jour.
Sur la couche sculptée il
dressa sa stature de géant.
Eperonné par la hâte il
baigna ses yeux et recouvra les souvenirs de la terre, éperonné par la hâte.
Ayant revêtu habits et
armure il traversa à grands pas la ville de ses pères
Dont les dieux
l'observaient en route vers son destin, en direction des portails de Pergame.
Neuf longues années
avaient passé et à présent la dixième s'achevait péniblement.
Années du courroux des
dieux, et l'assiégeant encore menaçait les remparts.
Depuis que par un matin
tranquille les vaisseaux étaient arrivés après avoir passé Ténédos
Et que le premier Argien
avait été abattu au moment où il sautait d'un bond sur les plages phrygiennes ;
Les assaillants
attaquaient encore. les défenseurs obstinés de même les repoussaient.
Quand la récompense est
refusée et qu’interminablement se prolonge le labeur.
Le coeur éphémère des
mortels se fatigue d'une peine sans fruit.
Fatigués du combat, les
envahisseurs guerroyant sans feu ni lieu
Imploraient des dieux leur
libération et le retour dans la terre de leurs pères
Fatigués du combat, les Phrygiens assiégés dans leur splendide cité
Imploraient des dieux la
fin du danger et de l'affrontement à mort.
Depuis longtemps les
vaisseaux, au sec sur le rivage, avaient oublie leur océan sans borne.
Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée,
Le Livre du héraut (Livre un- v.44à v.103)
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