Sri Aurobindo
PENSÉES ET APHORISMES
PENSÉES ET APHORISMES
JNÂNA
(1-50)
Pensées
et Aphorismes
JNÂNA
(La
Connaissance)
Jnâna
1
— Il y a dans l’homme deux pouvoirs alliés :
la Connaissance et la Sagesse. La Connaissance est
la Connaissance et la Sagesse. La Connaissance est
ce
qu’en tâtonnant le mental peut saisir de la vérité
vue
dans un milieu déformé ; la Sagesse, ce que l’œil
de
la vision divine voit dans l’Esprit.
2
— L’inspiration est un courant ténu de brillante
clarté
qui jaillit d’une Connaissance vaste et éternelle.
Elle dépasse la raison plus parfaitement que la raison
ne dépasse la connaissance des sens.
Elle dépasse la raison plus parfaitement que la raison
ne dépasse la connaissance des sens.
3
— Quand je parle, la raison dit : « Voici ce que je vais dire
»,
mais Dieu se saisit des mots dans ma bouche, et les lèvres
disent autre chose devant quoi la raison tremble.
mais Dieu se saisit des mots dans ma bouche, et les lèvres
disent autre chose devant quoi la raison tremble.
4
— Je ne suis pas un jnânî car je n’ai pas de
connaissance,
sauf celle que Dieu me donne pour
Son
travail. Comment puis-je savoir si ce que je vois
est
raison ou folie ? Non, ce n’est ni l’une ni l’autre, car
la
chose vue est simplement vraie — ni folie, ni raison.
5
— Si seulement les hommes entrevoyaient
les jouissances infinies, les forces parfaites,
les horizons lumineux de connaissance spontanée,
les calmes étendues de notre être qui nous attendent
sur les pistes que notre évolution animale n’a pas encore
les jouissances infinies, les forces parfaites,
les horizons lumineux de connaissance spontanée,
les calmes étendues de notre être qui nous attendent
sur les pistes que notre évolution animale n’a pas encore
conquises,
ils quitteraient tout et n’auraient de cesse
qu’ils
n’aient gagné ces trésors. Mais le chemin est
étroit,
les portes sont difficiles à forcer, et la peur, le
doute,
le scepticisme sont là, tentacules de la Nature
pour
nous interdire de détourner nos pas des pâtures
ordinaires.
ordinaires.
6
— J’ai appris, tard, que lorsque la raison mourait
la Sagesse naissait ; avant cette libération je n’avais
la Sagesse naissait ; avant cette libération je n’avais
que
la connaissance.
7
— Ce que les hommes appellent connaissance,
c’est l’acceptation raisonnée d’apparences fausses.
La Sagesse regarde derrière le voile et voit.
La raison fixe les détails et les met en contraste.
La raison divise, la Sagesse marie les contrastes en une seule harmonie.
c’est l’acceptation raisonnée d’apparences fausses.
La Sagesse regarde derrière le voile et voit.
La raison fixe les détails et les met en contraste.
La raison divise, la Sagesse marie les contrastes en une seule harmonie.
8
— Ne donne pas le nom de connaissance à tes seules
croyances
et celui d’erreur, d’ignorance ou de charlatanisme
aux croyances des autres, ou bien ne raille pas les dogmes
des sectes et leur intolérance.
aux croyances des autres, ou bien ne raille pas les dogmes
des sectes et leur intolérance.
9
— Ce que l’âme voit et l’expérience qu’elle fait,
cela elle le connaît ; tout le reste est apparence,
préjugé et opinion.
cela elle le connaît ; tout le reste est apparence,
préjugé et opinion.
10
— Mon âme sait qu’elle est immortelle.
Mais vous taillez en pièces un cadavre et triomphalement
Mais vous taillez en pièces un cadavre et triomphalement
vous
clamez : « Où donc est votre âme et où votre
immortalité
? »
11
— L’immortalité n’est pas la survie de la personnalité
mentale
après la mort, bien que ce soit vrai aussi,
mais
la possession éveillée du Moi qui est sans mort et
sans
naissance, et dont le corps n’est qu’un instrument
et
une ombre.
12
— Ils m’ont prouvé avec des raisons convaincantes
que
Dieu n’existe pas, et je les ai crus. Plus tard,
j’ai
vu Dieu, car il est venu et m’a embrassé.
Et
maintenant que dois-je croire, les raisonnements
des
autres ou ma propre expérience ?
13
— Ils m’ont dit : « Ces choses sont des hallucinations.»
Je me suis enquis de ce qu’est une hallucination
et j’ai découvert que cela désigne une expérience subjective
ou psychique qui ne correspond à aucune réalité
objective ni physique. Alors je me suis assis et me suis
émerveillé des miracles de la raison humaine.
Je me suis enquis de ce qu’est une hallucination
et j’ai découvert que cela désigne une expérience subjective
ou psychique qui ne correspond à aucune réalité
objective ni physique. Alors je me suis assis et me suis
émerveillé des miracles de la raison humaine.
14
— Hallucination est le terme que la science donne
à
ces visions fugitives et anormales qui nous laissent
apercevoir
les vérités d’habitude interdites à nos yeux parce que
nous sommes exclusivement préoccupés de la matière.
les vérités d’habitude interdites à nos yeux parce que
nous sommes exclusivement préoccupés de la matière.
Coïncidence
est le terme qu’elle donne à une curieuse
technique d’artiste dans l’œuvre de cette Intelligence
suprême et universelle qui, dans son être conscient,
comme sur une toile, a conçu et exécuté le monde.
technique d’artiste dans l’œuvre de cette Intelligence
suprême et universelle qui, dans son être conscient,
comme sur une toile, a conçu et exécuté le monde.
15
— Ce que les hommes appellent hallucination est
l’image
réfléchie, dans le mental et les sens,
de ce qui est au-delà de nos perceptions mentales
et sensorielles ordinaires ; et la superstition vient
de ce que le mental comprend mal ces réflexions.
Il n’y a pas d’autre hallucination.
de ce qui est au-delà de nos perceptions mentales
et sensorielles ordinaires ; et la superstition vient
de ce que le mental comprend mal ces réflexions.
Il n’y a pas d’autre hallucination.
16
— N’étouffe pas la pensée sous des polysyllabes,
à l’instar des polémistes modernes ; ne laisse pas ta
à l’instar des polémistes modernes ; ne laisse pas ta
quête
s’endormir sous l’effet hypnotique des lieux
communs
et des clichés. Cherche, toujours. Découvre
la
raison des choses qui pour un regard hâtif semblent
de
simples hasards ou des illusions.
17
— Quelqu’un a déclaré que Dieu devait être ceci ou
cela,
sinon Il ne serait pas Dieu. Mais il me semble
à moi
que je peux seulement savoir ce que Dieu est et je ne vois
pas comment je pourrais Lui dire ce qu’Il devrait être.
Car selon quelle norme pouvons nous Le juger ?
Ces jugements sont les sottises de notre égoïsme.
que je peux seulement savoir ce que Dieu est et je ne vois
pas comment je pourrais Lui dire ce qu’Il devrait être.
Car selon quelle norme pouvons nous Le juger ?
Ces jugements sont les sottises de notre égoïsme.
18
— Le hasard n’existe pas dans cet univers ;
l’idée d’illusion est elle-même une illusion.
Il n’y a jamais encore eu dans le mental humain
une illusion qui ne voile ou ne déforme une vérité.
l’idée d’illusion est elle-même une illusion.
Il n’y a jamais encore eu dans le mental humain
une illusion qui ne voile ou ne déforme une vérité.
19
— Du temps où j’avais la raison qui divise,
beaucoup
de choses me répugnaient. Plus tard,
quand
je l’ai perdue dans la vision, j’ai cherché
à travers le monde les choses laides et repoussantes,
mais je n’arrivais plus à les trouver.
à travers le monde les choses laides et repoussantes,
mais je n’arrivais plus à les trouver.
20
— Dieu m’a ouvert les yeux : car j’ai vu la noblesse
dans
le vulgaire, le charme dans le répugnant,
la perfection du contrefait et la beauté du hideux.
la perfection du contrefait et la beauté du hideux.
21
— Le chrétien et le vaïshnava louent le pardon ;
quant
à moi, je demande :
« Qu’ai-je donc à pardonner et à qui ? »
« Qu’ai-je donc à pardonner et à qui ? »
22
— Dieu m’a frappé avec une main humaine ; dirai-je
donc
: « Je Te pardonne Ton insolence, ô Dieu » ?
23
— Dieu m’a fait du bien avec un coup. Dirai-je :
«
Je Te pardonne, ô Tout-Puissant, le mal et
la cruauté, mais ne recommence pas » ?
la cruauté, mais ne recommence pas » ?
24
— Quand je me plains d’une infortune et l’appelle
un
mal, ou quand je suis jaloux et déçu, je sais
qu’en
moi s’est encore réveillé l’éternel imbécile.
25 — Quand je vois les autres souffrir, je sens que je
suis
malheureux, mais une sagesse qui n’est pas
mienne
voit le bien qui s’approche, et approuve.
26
— Sir Philip Sidney disait du criminel conduit à la
potence
: « Ainsi s’en va sir Philip Sidney, sans la
Grâce
de Dieu. » Plus sage, il aurait dit : « Ainsi, par la
Grâce
de Dieu, s’en va sir Philip Sidney. »
27
— Dieu est un grand et cruel Tortionnaire, parce
qu’Il
aime. Vous ne comprenez pas, parce que
vous
n’avez pas vu Krishna et joué avec lui.
28
— On a traité Napoléon de tyran et d’impérial
coupeur
de gorges ; mais j’ai vu Dieu en armes
qui
chevauchait l’Europe.
29
— J’ai oublié ce qu’est le vice et la vertu ; je ne vois
plus
que Dieu, Son jeu dans le monde et Sa volonté
dans l’humanité.
30
— J’ai vu un enfant se rouler dans la boue et le
même
enfant nettoyé par sa mère et resplendissant ;
mais chaque fois, j’ai tremblé devant son absolue pureté.
mais chaque fois, j’ai tremblé devant son absolue pureté.
31
— Ce que je désire ou pense être bon ne se produit pas,
par conséquent il est évident que ce n’est pas un Être
suprêmement sage qui gouverne le monde,
par conséquent il est évident que ce n’est pas un Être
suprêmement sage qui gouverne le monde,
mais
seulement un Hasard aveugle
ou une Causalité brutale.
ou une Causalité brutale.
32
— L’athée est Dieu qui joue à cache-cache avec Lui-même;
mais le croyant est-il autre chose ?
mais le croyant est-il autre chose ?
Peut-être,
car il a vu l’ombre de Dieu et il s’y est cramponné.
33
— Ô Toi qui aimes, frappe !
Si Tu ne me frappes pas maintenant,
je saurai que Tu ne m’aimes pas.
Si Tu ne me frappes pas maintenant,
je saurai que Tu ne m’aimes pas.
34
— Ô Infortune, sois bénie, car à travers toi j’ai vu
le
visage de mon Bien-Aimé.
35
— Les hommes sont encore amoureux de la douleur.
Quand
ils voient quelqu’un qui est trop haut pour
la douleur ou pour la joie, ils le maudissent et s’écrient :
« Ô insensible ! » C’est pourquoi le Christ
la douleur ou pour la joie, ils le maudissent et s’écrient :
« Ô insensible ! » C’est pourquoi le Christ
est
encore pendu à sa croix de Jérusalem.
36
— Les hommes sont amoureux du péché. Quand
ils
voient quelqu’un qui est trop haut pour le vice
ou pour la vertu, ils le maudissent et s’écrient :
ou pour la vertu, ils le maudissent et s’écrient :
«
Ô toi, briseur de limites, être pervers et immoral ! »
C’est
pourquoi Shrî Krishna n’est pas encore vivant à
Brindâban*
.
*Le
lieu où Shrî Krishna a passé son enfance, et un symbole de l’amour divin.
37
— Certains disent que Krishna n’a jamais vécu,
que c’est un mythe. Ils veulent dire sur la terre ;
car si Brindâban n’existait nulle part,
le Bhâgavat* n’aurait jamais pu être écrit.
que c’est un mythe. Ils veulent dire sur la terre ;
car si Brindâban n’existait nulle part,
le Bhâgavat* n’aurait jamais pu être écrit.
*
L’histoire de Krishna racontée dans l’un des Purânas (le Bhâgavat
Purâna).
38
— Étrange ! Les Allemands ont prouvé
que le Christ n’existait pas ; et pourtant,
sa crucifixion demeure encore un fait historique
plus grand que la mort de César.
que le Christ n’existait pas ; et pourtant,
sa crucifixion demeure encore un fait historique
plus grand que la mort de César.
39
— Parfois, l’on en vient à penser que seules
importent
vraiment les choses qui ne sont jamais
arrivées
; car à côté d’elles, la plupart des événements
historiques
semblent presque ternes et sans portée.
40
— Il y a quatre très grands événements dans l’histoire: le siège de Troie, la
vie et la crucifixion du Christ, l’exil de Krishna à Brindâban et le colloque avec
Arjuna sur le champ de bataille de Kurukshetra. Le siège de Troie a donné
naissance à l’Hellade, l’exil à
Brindâban a créé la religion dévotionnelle (car auparavant on
ne connaissait que la méditation et le culte), du haut de sa croix le Christ a
humanisé l’Europe, le colloque de Kurukshetra est appelé à libérer l’humanité. Et
pourtant, il est dit qu’aucun de ces quatre événements n’a jamais eu lieu.
41
— Ils disent que les Évangiles ont été fabriqués
de toutes pièces et que Krishna est une invention des
de toutes pièces et que Krishna est une invention des
poètes.
Alors, Dieu merci pour les faux et saluons bas
les
inventeurs.
42
— Si Dieu m’assigne une place dans l’Enfer,
je ne vois pas pourquoi j’aspirerais au Ciel.
Il sait mieux que moi ce qui est pour mon bien.
je ne vois pas pourquoi j’aspirerais au Ciel.
Il sait mieux que moi ce qui est pour mon bien.
43
— Si Dieu me tire vers le Ciel, alors, quand bien même
Son autre main voudrait-elle me retenir dans l’Enfer,
je devrais lutter pour m’échapper vers le haut.
Son autre main voudrait-elle me retenir dans l’Enfer,
je devrais lutter pour m’échapper vers le haut.
44
— Seules sont vraies les pensées
dont le contraire est également vrai,
en son temps et lieu ; les dogmes indiscutables
sont la plus dangereuse espèce de mensonge.
dont le contraire est également vrai,
en son temps et lieu ; les dogmes indiscutables
sont la plus dangereuse espèce de mensonge.
45
— La logique est le pire ennemi de la Vérité,
de même que le pharisaïsme est le pire ennemi de la
de même que le pharisaïsme est le pire ennemi de la
Vertu
; car l’une est incapable de voir ses propres
erreurs
et l’autre ses propres imperfections.
46
— Au temps où j’étais endormi dans l’Ignorance,
j’arrivai
à un lieu de méditation plein de saints hommes
et je trouvai leur compagnie fastidieuse et l’endroit une prison ;
quand je me fus éveillé, Dieu me conduisit dans une prison
et Il en fit un lieu de méditation et le rendez-vous de Son amour.
et je trouvai leur compagnie fastidieuse et l’endroit une prison ;
quand je me fus éveillé, Dieu me conduisit dans une prison
et Il en fit un lieu de méditation et le rendez-vous de Son amour.
47
— Du jour où j’ai pu lire un livre ennuyeux
d’un bout à l’autre et avec plaisir, tout en percevant
la perfection de son ennui, j’ai su que j’avais conquis
d’un bout à l’autre et avec plaisir, tout en percevant
la perfection de son ennui, j’ai su que j’avais conquis
mon
mental.
48
— J’ai su que mon mental était maîtrisé quand il a
admiré
la beauté du hideux, tout en sentant parfaitement
pourquoi
les autres hommes s’en détournaient
avec
répugnance ou le haïssaient.
49
— Sentir et aimer le Dieu de la Beauté et du Bien
dans
le laid et dans le mal, et, en même temps,
vouloir
avec un amour extrême le guérir de sa laideur
et
de son mal, telle est la vraie vertu et la véritable
moralité.
50
— Haïr le pécheur est le pire des péchés,
car c’est haïr Dieu ; et pourtant, celui qui
le commet se glorifie de sa vertu supérieure.
car c’est haïr Dieu ; et pourtant, celui qui
le commet se glorifie de sa vertu supérieure.
Sri Aurobindo
PENSÉES ET APHORISMES
PENSÉES ET APHORISMES
Jnâna -la Connaissance- (1-205)
Karma -les Œuvres- (206- 407)
Bhakti -l’Amour- (407-541)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire