Une
religion de l'humanité peut se présenter de deux façons, comme un idéal
intellectuel et sentimental, un dogme vivant ayant des effets intellectuels,
psychologiques et pratiques, ou comme une aspiration et une règle de vie spirituelles,
et elle peut être en partie le signe, en partie la cause d'un changement d'âme
dans l'humanité. La religion intellectuelle de l'humanité existe déjà jusqu'à
un certain point, à la fois comme une croyance consciente dans la pensée d'un
petit nombre et comme une ombre active dans la conscience de l'espèce. C'est
l'ombre d'un esprit qui n'est pas encore né, mais qui se prépare à naître. Le
monde matériel, notre monde, est ainsi peuplé d'ombres puissantes, spectres de
choses mortes et esprits de choses pas encore nées, sans parler des éléments
pleinement incarnés du présent. Les spectres des choses mortes sont des
réalités très encombrantes et ils abondent à présent : spectres de religions
mortes, d'arts morts, de moralités mortes, de théories politiques mortes, qui
tous prétendent encore garder leur corps pourrissant ou animer partiellement le
corps des choses existantes. Répétant obstinément les formules sacrées du
passé, ils hypnotisent les intelligences retardataires et intimident même la
fraction progressiste de l'humanité. Puis, il y a les esprits à naître et
encore incapables de revêtir un corps défini, mais qui sont déjà nés dans le
mental et qui existent en tant qu'influences que le mental humain perçoit et
auxquelles il répond aujourd'hui d'une façon confuse et désordonnée. La
religion de l'humanité est mentalement née au dix-huitième siècle; c'est le
mânasa-poutra ["L'enfant né du mental"] des penseurs rationalistes qui l'inventèrent pour détrôner le
spiritualisme formaliste du christianisme ecclésiastique. Elle a tenté de se
trouver un corps dans le Positivisme, qui a voulu formuler les dogmes
de cette religion mais sur une base trop lourdement et trop rigoureusement
rationaliste pour pouvoir être acceptée même par l'Âge de la Raison. L'humanitarisme
en est le résultat sentimental le plus marquant. La philanthropie, le service
social et autres activités similaires, sont l'expression extérieure de ses
bonnes œuvres. La démocratie, le socialisme et le pacifisme sont dans une large
mesure ses sous-produits, ou, du moins, doivent à sa présence intérieure une
grande part de leur vigueur.
Sri Aurobindo, L’IDÉAL DE L’UNITÉ HUMAINE
CHAPITRE XXXIV, La religion de l'humanité
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire