Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo Le cycle européen de construction nationale

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Le cycle européen de construction nationale



En Europe, une fois la pression romaine disparue, l'État-cité et la nation régionale se ranimèrent pour former les éléments d'une nouvelle construction ; mais à l'exception d'un pays (et il est curieux de constater que ce pays fut l'Italie elle-même), l'État-cité n'a pas offert de résistance réelle au processus d'unification nationale. Nous pouvons attribuer à deux causes la résurrection énergique de la Cité en Italie. D'abord, à l'oppression prématurée que Rome avait fait subir à l'antique vie urbaine libre en Italie avant que toutes ses potentialités n'eussent été réalisées; ensuite, à sa survie à l'état de germe, non seulement dans la vie civile prolongée de Rome même, mais dans la persistance, au sein de la Municipia italienne, d'un sentiment de vie séparée, qui avait été opprimé mais jamais tout à fait écrasé comme le furent la vie séparée du clan en Gaule et en Espagne ou la vie séparée de la Cité en Grèce. Ainsi, psychologiquement, l'État-cité italien ne s'est pas éteint satisfait d'avoir donné sa mesure, pas plus qu'il n'a été irrémédiablement brisé ; il a revécu en d'autres incarnations. Or, cette résurrection fut un désastre pour la vie nationale de l'Italie* bien qu'elle ait été un bienfait et un avantage incalculables pour la culture et la civilisation du monde, car, de même que la vie de la Cité grecque avait à l'origine créé l'art, la littérature, la pensée et la science du monde gréco-romain, de même la vie de la Cité en Italie a retrouvé l'art, la littérature et la science antiques et les a renouvelés en leur donnant une forme nouvelle pour nos temps modernes. En tant qu'unité, la Cité n'a revécu ailleurs que sous la forme des municipalités libres ou à demi libres, comme en France médiévale, dans les Flandres et l'Allemagne du Moyen Âge, mais à aucun moment elles n'ont été un obstacle à l'unification ; au contraire, elles ont aidé à former la base subconsciente de l'unification, et en attendant, par la richesse de leurs impulsions et le libre mouvement de leur pensée et de leur art, elles ont prévenu la tendance médiévale à l'uniformité intellectuelle, à la stagnation et à l'obscurantisme.

La vieille nation-clan a péri, sauf dans les pays qui n'avaient pas subi la pression romaine, comme l'Irlande et l'Écosse septentrionale et occidentale, et elle y fut aussi fatale à l'unification que l'État-cité en Italie ; elle a empêché l'Irlande de former une unité organisée et les Celtes des Highlands de s' amalgamer à la nation écossaise anglo-celtique, jusqu'au jour où l'Angleterre a abattu sur eux son joug et fait ce que la domination romaine aurait accompli si son expansion n'avait été arrêtée par les Grampians et la mer d'Irlande. Dans le reste de l'Europe occidentale, l'œuvre accomplie par la loi romaine était si solide que même la domination des nations-tribus de la Germanie sur les pays occidentaux n'a pas réussi à ranimer la vieille nation-clan, pourtant fortement enracinée et obstinément séparatiste. À leur place, elle a créé les royaumes régionaux de l'Allemagne et les divisions féodales et provinciales de la France et de l'Espagne; or, c'est seulement en Allemagne, qui comme l'Irlande et les Highlands écossais n'avait pas subi le joug romain, que la vie régionale s'est avérée un sérieux obstacle à l'unification. En France, elle a semblé pendant un temps empêcher l'unification, mais en réalité la vie régionale n'a résisté que juste assez de temps pour devenir un élément de valeur, de richesse et de variation dans l'unité française finale. La perfection sans pareille de cette unité est un signe de la sagesse secrète dissimulée sous les tribulations prolongées que nous observons d'un bout à l'autre de l'histoire de la France, histoire qui, pour un observateur superficiel, semble si misérable et tourmentée, une si longue alternance d'anarchie et de despotisme féodal ou monarchique et si différente du développement graduel, régulier et beaucoup plus ordonné de la. vie nationale de l'Angleterre. Mais en Angleterre, la variation et la richesse nécessaires à l'organisme final furent apportées autrement, par la vaste différence des races qui ont formé la nouvelle nation et par la persistance du pays de Galles, de l'Irlande et de l'Écosse en tant qu'unités culturelles distinctes, dotées d'une conscience subordonnée et bien à elles au sein de l'unité plus vaste.
 Le cycle européen de construction nationale diffère donc du cycle ancien qui a conduit de l'État régional ou de l'État-cité à l'empire. Premièrement, en n'outrepassant pas son but pour procéder à une unification plus large, il n'a pas négligé les agrégats intermédiaires indispensables ; deuxièmement, en mûrissant lentement et progressivement par trois étapes successives, il a pu établir l'unité sans détruire les éléments constituants ni les opprimer prématurément ou excessivement par le mécanisme d'unification. La première étape a suivi une longue oscillation de tendances centripètes et centrifuges pendant laquelle le système féodal a apporté un principe d'ordre et d'unité, fluide mais tout de même organique. La deuxième étape a vu s'instaurer un mouvement d'unification et d'uniformité croissante au cours duquel se sont répétés certains traits de l'ancien système impérial de Rome, mais avec une force moins écrasante et une tendance moins épuisante. Elle a été tout d'abord marquée par la création d'un centre métropolitain qui, comme Rome, a commencé par absorber les meilleures énergies de vie de toutes les autres parties. Un deuxième trait de ce mouvement d'unification a été la croissance d'une autorité souveraine absolue ayant pour fonction d'imposer à la vie nationale une uniformité et une centralisation judiciaires, administratives, politiques et linguistiques. Un troisième signe a été l'établissement d'une tête et d'un corps spirituels directeurs qui ont servi à imposer la même uniformité dans la pensée religieuse, l'éducation intellectuelle et l'opinion publique. Poussée trop loin, cette pression unificatrice aurait pu s'achever d'une manière désastreuse, comme à Rome, si une troisième étape de révolte et de diffusion n'était venue briser ou subordonner les instruments qu'étaient la féodalité, la monarchie et l'autorité de l'Église sitôt leur travail terminé, et n'avait remplacé ceux-ci par un nouveau mouvement tendant à la diffusion de la vie nationale grâce à une organisation systématique et forte de la liberté et de l'égalité politiques, légales, sociales et culturelles. Cette troisième étape cherchait donc, dans la nation moderne comme dans la Cité ancienne, à doter toutes les classes et tous les individus des bienfaits d'une existence nationale libérée et à les faire participer tous aux libres énergies de la nation.
    La troisième étape de la vie nationale bénéficie des avantages de l'unité et de l'uniformité plus ou moins grande créées par la deuxième étape ; elle peut alors réutiliser, et en toute sécurité, les possibilités de la vie régionale et urbaine que la première étape avait sauvées d'une destruction complète. Grâce à cette gradation du progrès national, nos temps modernes vont pouvoir de plus en plus envisager (si et quand ce sera voulu ou nécessaire) l'idée d'une nation fédérée ou d'un empire fédéral solidement fondé sur la base d'une unité psychologique bien acquise; en fait, c'est ce qui s'est déjà réalisé sous une forme simple en Allemagne et en Amérique. En outre, nous pouvons dès maintenant, si nous le voulons, nous orienter sans danger vers une décentralisation partielle en faisant appel à des gouvernements subordonnés, des communes et des cités provinciales, qui pourront aider à guérir cette maladie qu'est l'excessive succion des meilleures énergies nationales par la métropole, et faciliter la libre circulation des forces dans les divers centres et plexus. En même temps, nous pouvons commencer à prévoir l'utilisation organisée d'un État intelligemment représentatif de toute la nation consciente, active et énergique, comme un moyen de perfectionner la vie de l'individu et de la communauté. Tel est le point auquel le développement de l'agrégat national est parvenu pour le moment, et nous sommes de nouveau en présence, suivant l'orientation future, soit du problème plus vaste de l'agrégat impérial, soit des problèmes encore plus immenses créés par l'unité culturelle grandissante et l'interdépendance commerciale et politique accrue de tout le genre humain.


Sri Aurobindo, L'idéal de l'unité humaine,
Chapitre XII, L'ancien cycle pré-national de formation des empires – Le cycle moderne de formation des nations
 

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