Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: avril 2020

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Tel une étoile depuis longtemps éteinte


Tel une étoile depuis longtemps éteinte dont la lumière parcourt encore les espaces,
Vue sous sa forme par les hommes, quand elle-même va fuyant, fantômatique,
Vide, nulle et effacée à travers la vastitude indifférente et infinie,
Tel paraissait-il maintenant aux yeux qui voient toutes choses du point de vue du Réel:
Intemporelle, leur vision du Temps crée l'heure au moyen des choses à venir.
Porté par une force du passé et non plus par un pouvoir pour réaliser le futur,
Puissant et plein d'allant était son corps, niais, floue, la forme de son esprit
Semblait seulement l'image illusoire de l'être qui avait vécu en lui,
Fuyante, vague, comme un fantôme qu'on voit au bord des sombres eaux de l'Achéron.
Cependant, Déiphobos arrivant rapidement de la cité qui s'éveillait
Appela les tours gardiennes qui avaient l'œil sur la grande entrée de Pergame,
Et se rabattant lentement, à contre-cœur, les portes énormes
Ouvrirent Troie toute grande à l'Argien qui entra.  Les portails d'Ilion
Se séparèrent laissant entrer sa destinée, puis avec une plainte morne et métallique
Se fermèrent. Muet, l'œil menaçant, gris comme un loup, descendit
Le vieux Talthybios, étayant ses pas sur le bâton de sa mission ;
Faible était son corps, mais le feu qui brûlait en lui lui donnait encore un regard farouche ;
Sans un mot, ruminant ses pensées, il contempla la cité haïe et convoitée.
Voilà que, cherchant le ciel de ses édifices taillés comme pour des Titans,
Merveilleuse, rythmique, enfant des dieux ayant le marbre pour vêtement,
Frappant la vision par son harmonie, splendide, imposante et dorée,
Autour de lui se dressait Ilion retranchée derrière ses défenses gigantesques.
Sur la puissance la puissance se haussait, et la grandeur était portée par la grandeur ;
Sur ses genoux était assise la beauté. Lointains, hiératiques, immuables,
Remplis de ses hauts faits et de ses rêves, ses dieux guettaient l'Argien,
Désemparé et muet de haine alors qu'il la contemplait – eux qui, semblables aux mortels, Connaissaient leurs siècles passés, non le lendemain qui les attendait.
Terribles étaient ses yeux sur Troie la magnifique, et son visage tel un masque du Jugement
Toute la Grèce regardait à travers eux, haïssait, admirait, prenait peur, devenait implacable.
Mais Déiphobos héla le Grec et ce dernier se détourna de sa fureur,
Fixant droit sur le Troyen ses yeux de mauvais augure où le dieu était présent:
"Messager, voix de l'Achaïe, dans quel but affrontant l'aube
As-tu pour venir ici sur ton char abandonné à leur sommeil les tentes qui nous assiègent ? Fatidique, selon moi, la pensée qui, conçue dans le silence de minuit,
Fit se lever ton corps âgé de sa couche de repos dans l'immobilité, –
Pensées d'un mortel, mais forgées par la Volonté qui se sert de nos membres:
Et de ce qu'elle nous souffle notre parole et nos actes sont les outils et l'image.
Souvent du voile et de l'ombre ces pensées surgissent comme des étoiles dans tout leur éclat,
Lumières que nous croyons nôtres, quand elles sont seulement des jetons et des coupons,
Signes des Forces qui circulent en nous au service d'un Pouvoir secret.
Qu'est-ce qui t'amène au lever du jour à Troie la puissante et l'immémoriale,
Maintenant que le Temps s'achève, et que les dieux sont las de la lutte ?
O Grec, Agamemnon envoie-t-il aux Troyens un défi, ou bien ses civilités ?"
Avec la force de l'aquilon la voix fatale d'Achaïe répondit:
"Troyen Déiphobos, l'aube, le silence de la nuit et le soir
Déclinent et surgissent, et même le vaillant soleil se repose de sa splendeur.
Mais pour le serviteur il n'est pas de repos et le Temps ne lui appartient pas,  

                                                                                 seul est à lui son bûcher funéraire.
Je ne viens pas de la part du monarque des hommes, ni de l'assemblée en armure,
Réunie sur le bord venteux de l'océan qui tonne et qui rit.
Un être m'envoie, plus grand à lui seul que les rois et les multitudes.
Je suis une voix qui sort de la Phthiotide, je suis la volonté de l'Hellène.
Dans ma main droite je t'apporte la paix, et dans ma gauche la mort.
Troyen, reçois-les fièrement, honore les présents du puissant Achille.
Accepte la mort, si Atè te trompe et si la Ruine est ton amante,
La paix, si ton destin peut tourner et que le dieu en toi choisisse d'écouter.
Mon cœur est plein, mes lèvres s'impatientent du discours non délivré.
E n'est pas destiné aux rues ou au marché, ni conçu pour être bassement adressé
Aux oreilles du commun, mais là où délibération et majesté s'abritent
Loin de la foule. dans les salles des Grands, et où la discrétion s'entretient à voix basse
Avec la sagesse et la prévoyance, là je parlerai au milieu des princes d'Ilion."
Envoyé, " répondit le Laomédontien, "voix d'Achille,
Vaine est l'offre de paix qui commence par un prélude menaçant.
Pourtant nous t'entendrons. Debout, vous dans l'entrée dont le pied est le plus leste, –
Toi Thrasymachos, fais vite. Que les dômes du manoir d'Ilos
S'éveillent au bruit du défi hellène. Convoque Enée."
A peine la parole était-elle retombée dans le silence, qu'ôtant son manteau
Se mit sur l'ordre à courir un des Troyens, adolescent au pied agile,
Premier a la course et au combat, Thrasymachos fils d'Arétès.
Dans l'aube, il disparut en flèche. Déiphobos, lentement,
Sondant le Destin avec ses pensées dans les immensités troublées de son esprit,
A travers la cité qui s'animait retourna à la maison de ses pères,
Bridant sa puissante enjambée au rythme du pas débile de l'Argien.
Cependant, ses pieds habités d'un dieu, Thrasymachos dans sa course rapide
Parvint aux grandes salles bâties par Ilos pour la joie de l'œil
Dans la jeunesse de la cité merveilleuse : il se reposait alors de la guerre
Et triomphateur, régnait adoré par les nations prosternées. A présent que tout touchait à sa fin,
Le dernier de ses possesseurs mortels à parcourir ses jardins en fleur,
Le grand Anchise était étendu dans cette lumineuse demeure des anciens
Qui reposait sa calme vieillesse, – Anchise, vainqueur aux guerres lointaines,
Fils du noble Bucoléon et père de Rome par une déesse :
Dans sa divine adolescence, alors que solitaire il errait sur l'Ida,
Aphrodite la blanche l'avait jadis pris au piège, et avait, quêtant l'amour d'un mortel,
Dénoué sa ceinture au parfum d'ambroisie. Sur le seuil Thrasymachos fit halte,
Cherchant des yeux serviteur ou garde, mais il ne perçut que l'isolement
D'un sommeil intériorisant la vision de l'âme, l'éloignant de la vie et des choses humaines ; Silencieux, indifférents, les corridors vides se perdaient dans l'obscurité.
Aux ombres de la maison et à la rêverie des chevrons résonnants
il confia son appel àvoix haute, et de chambres encore indistinctes dans leur demi-jour
Le preux Enée en armure et manteau, à la démarche de lion,
Le fils d'Anchise, arriva ; car l'aube ne l'avait pas trouvé endormi,
Mais il avait quitté dans la nuit sa couche et les bras de Créüse,
Sortant du sommeil à l'appel de son esprit qui se tournait vers les eaux
Sous l'inspiration du Destin et de sa mère, la blanche Aphrodite, qui le guidait. 


Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée, Le Livre du héraut (Livre un- v.203 à v.295)

Les dieux des âges antiques

La Grèce semblait ancienne, étrangère, à ses enfants campés sur les grèves. 
Ancienne comme vie passée de longue date. qu'on se rappelle en ayant peine à y croire
Sinon comme à un rêve qui s'est produit jadis, ou à l'histoire de quelqu'un d'autre.
Le Temps par son toucher sans hâte, et la Nature qui change notre substance
Avaient lentement estompé les visages aimés et les scènes autrefois chéries ;
Pourtant ce rêve leur était encore cher, à eux qui soupiraient après femme et enfants, 
Soupiraient après l'âtre et la glèbe des lointaines vallées de l'Hellade.
Sans cesse, telles des vagues engloutissant les galets, s'écroulant et revenant,
La marée de la bataille et la ruée de l'assaut grondaient implacablement
Sur les champs de blé phrygiens. Le Troyen luttait contre l'Argien ;
La Carie, la Lycie, la Thrace et, seigneur de la guerre, la puissante Achaïe
S'unissaient dans l'étreinte du combat. Mort, panique, blessures et désastre.
Gloire de la conquête et gloire de la chute, et le coin du foyer vide,
Larmes et force d'âme, terreur, espoir, et la morsure du souvenir,
L'angoisse des cœurs, les vies des guerriers, les effectifs des nations
Étaient jetés comme des poids sur les plateaux de la Destinée, mais la balance hésitait 
Sous la pression de mains invisibles. Car non seulement les combattants humains,
Héros à demi divins dont les noms sont comme des astres très hauts,
Triomphaient et échouaient, tels les vents ou les algues sur la danse des houles.
Mais des pics de l'Olympe et des sommets miroitants de l'Ida,
Descendaient, étincelants et sonores, les dieux des âges antiques.
Cachées à la connaissance humaine, les formes éclatantes des Immortels
Se confondaient inaperçues à la mêlée, ou quelquefois, merveilleux, sans masque,
Des corps d'éternelle beauté et puissance, qui faisaient trembler les fibres du coeur. 
Trouant leur voile d'Immortels, franchissaient les frontières de la vision,
Aussi distincts lorsqu'ils émergeaient de leur gloire qu'ils l'étaient pour les demi-dieux du temps Jadis,
Audibles par les oreilles humaines, vus par les globes oculaires qui périssent.
Pleins de puissance ils arrivaient de leurs espaces de liberté et de splendeur sans souffrance.
Vaste comme l'océan, ayant pour traîne l'ourlet azuré de ses eaux vociférantes,
Les paupières bleues, la Nuit pour crinière, Poséidon dévastait pour réaliser l'avenir, 
Secoueur de la terre dont le trident libère les replis du Dragon,
Délivrant les forces non nées emprisonnées dans les cavernes de la Nature.
Calmes et impassibles, maintenant le Verbe qui est Destin, et l'ordre
Arrêté dans la vision d'une Volonté prescience, silencieuse et immuable,
Héra envoyée par Zeus et Athéna, de Zeus levant l'égide,
Veillaient sur le décret occulte. Mais en faveur d'Ilion, bruyant comme les flots houleux, 
Arès l'impétueux incitait le feu dans les coeurs des hommes, et sa passion
Réveillait dans les profondeurs indistinctes les formes du Titan et du démon :
Muets et maintenus par la poigne des dieux dans l'abîme de l'être,
Formidables, voilés, ils siègent dans la grise pénombre subconsciente,
Surveillant le sommeil de l'Erinnys à la chevelure de serpents.Miraculeux, entouré d'un halo,
Visionnaire, magicien et prophète qui voit ce dont la pensée ne peut pas être témoin, 
Soulevant en nous la divinité plus haut qu'une entreprise humaine ne peut atteindre, 
Tueur et sauveur, penseur et mystique, du haut de ses pics solaires,
Protégeant à Ilion le mur de ses mystères, s'élançait Apollon Delphien.
Les puissances du Ciel, divisées, oscillaient dans le tourbillon de la force de la Terre.
Tout ce qui naît et est détruit renaît dans la courbe des âges;
La vie, décimale toujours récurrente, répète l'ancien chiffre;
Il semble ne pas y avoir de but pour le ballon qu'au long du Temps poursuivent les équipes du Destin;
Le mal qui a pris fin jadis se reproduit, aucun résultat ne sort de la vie :
Seul un Œil invisible peut discerner la trame de ses opérations.
Telle paraissait la règle du passe-temps du Destin sur les plaines de Troade;
Tout reculait et avançait, ballotté dans le va-et-vient du jeu meurtrier.
Vaines des héros étaient les fatigues, le sang des Grands était dilapidé,
Comme l'embrun sur les falaises lorsqu'inapaisé le ressac gémit, privé de sa récompense 
D'un âge infructueux à l'autre. Le jour suivait la piste de la nuit tombante ;
La joie succédait au chagrin ; la défaite ne faisait que grandir les vaincus,
Et la victoire procurait un plaisir vide sans rétribution ni profit.
Il n'y avait pas de terme à l'effort, il n'y avait pas de terme à l'échec.
Le triomphe et l'angoisse changeant de mains à une cadence désespérante
Se faisaient face et tournaient, semblables à un homme et une jeune fille qui, piétinant l'herbe, 
                                                                                                                        se font face et tournent,
Et rient dans leur joie de la danse et la joie qu'ils ont l'un de l'autre.
Les danseurs étaient des dieux, et ils piétinaient des vies. Mais si le Temps est immortel, 
Ses oeuvres et ses voies sont mortelles, et tant l'angoisse que l'ivresse ont une fin. 
Artistes de la Nature satisfaits de leur travail dans le plan de l'impermanence, 
Splendides, impérissables, augustes, les Olympiens se détournèrent du carnage,
Laissant l'issue de la bataille déjà décidée, laissant les héros
Tués dans leur pensée, Troie brûlée, et la Grèce abandonnée à sa gloire et à son effondrement.
Ils montèrent dans leurs ciels avec la puissance d'aigles qui s'élêvent,
De leurs ailes éventant le monde. Comme les Grands dans Ieurs manoirs illuminés
Se détournent du cri et de l'affrontement, oubliant les blessés et ceux qui sont
                                                                                                    tombés morts —
Calmes ils se reposent de leurs travaux et ils inclinent à la joie du banquet,
Observant les pieds des échansons campés, roses, sur le marbre,
Emplissant leur cœur de bien-être ainsi les dieux gagnèrent leur éther serein,
Quittant la terre blessée et son air labouré par l'angoisse.des hommes ;
Calmes ils se reposèrent et leur coeur inclina à la joie et au silence.
Levé fut le fardeau mis sur nos volontés par leur présence aussi brillante que les astres:
L'homme fut rendu à sa petitesse, le monde à son labeur inconscient.
La vie fut soulagée de sa tension vers les hauteurs, les vents délivrés s'exhalèrent
                                                                                                          plus librement ;
La  lumière fut déchargée de leur flamboiement, et la terre de leur grandeur.
Mais leur contentement immortel déserta aussi la lutte titanesque.
Vide, le bruit de la bataille gronda comme la mer sur les galets ;
Les javelots poursuivirent leur gibier avec fatigue : la vaillance se laissa abattre ;
Avec la marche des mois le silence s'accrut sur les tentes de l'armée assiégeante.
Or les Achéens n'étaient pas les seuls sur qui pesât le pas des moments;
Lentement s'épaississait l'ombre sur la puissante et dédaigneuse Ilion :
Ses Jours passaient en se traînant ; à l'arrière du coeur de ses gens.
Quelque chose qui savait ce qu'ils n'osaient pas savoir et que le mental se refusait
                                                                                                                   à formuler,
Portant atteinte à son âme faite de défi, de beauté, de rire, Obscurcissait les heures.
Car en son lever sombre et gigantesque, la Fatalité
Approchait, assaillant les cieux : son pressentiment vivait dans tous les divertissements;
Le temps était talonné par un malaise et une terreur s'éveillait au milieu de la nuit ;
Pierres érigées par les dieux, même les remparts sentaient sa venue.
Elle en avait fini de badiner et jouer, niais bondissait et se hâtait
A la vue du dénouement devant elle et, imaginant calmement le massacre,
Riait, admirait les flammes et se réjouissait de la plainte des captifs.
Dans son ombre, déjà mort pour les immortels qui le regardaient, Déiphobos pressait le pas 
Avec un cliquetis d'armes le long des rues de la belle cité insolente,
Eclatant, enveloppe rayonnante mais vide, désertée par son génie intérieur.



Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée, Le Livre du héraut (Livre un- v.104 à v.202)

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