Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo Ainsi fut énoncé le défi du Phthien

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Ainsi fut énoncé le défi du Phthien



Secouant de colère sa tête aux cheveux noués d'un bandeau, Talthybios répondit:
"Princes, vous prononcez les mots dictés par ceux qui vous mènent ! Voici ce qu'a dit Achille:
Lève-toi, Talthybios, et dans ses espaces va à la rencontre du char du matin,
Défie les coursiers divins dès leur bond à travers les plaines de Troade.
Héraut chargé de ma volonté auprès d'une nation hautaine et obstinée,
Hôte-toi, trouve-toi derrière .ses remparts avant que le jour se soit vêtu d'or.
Énonce dans le palais de Priam la parole du Phthien Achille.
Je t'envoie librement, non en vassal, Argien,
Mais en souverain de l'Hellade et roi de mes nations.
Longtemps j'ai marché  à l'écart de la mêlée des dieux en Troade,
Longtemps ma lance indolente s'est appuyée au flanc paisible de ma tente,
Sourde au langage des trompettes, au geignement strident des chars qui se ruent en avant;
J'ai vécu seul avec mon coeur, indifférent au murmure hellène,
Grondé la meute de lions du dieu de la guerre quand elle réclamait rugissante la chasse ;
Jour après jour j'ai marché à l'aube et dans la rougeur du couchant,
Longeant au loin l'appel des mers, seul avec les dieux et ma rêverie,
Me penchant sur la complainte insatisfaite de mon cœur et les rythmes de l'Océan
Qui accompagnaient le chant d'espérances vaines aux lèvres de miel. Car les frères de Polyxène 
Sont encor la descendance dit Titan Laomédon abattu en pleine grandeur,
Machines de Dieu incapables de supporter toute la puissance qu'elles récèlent.
Ils ont tancé la crainte qui montait de leur cœur, et notre commune condition humaine ne les lie pas;
Ils n'ont aucun soutien chez les dieux qui approuvent, accordant le calme aux mortels
Mais tels les Titans de jadis ils ont étreint la grandeur et la ruine.
Va donc trouver la race qui se condamne elle-même, les chefs aveuglés par le ciel, —
Non pas sur l'agora balayée par les vents du débat et les clameurs énormes,
Léonines du peuple ! Dans l'altier château seigneurial de Troie,
Fais entendre ma parole au héros Déiphobos, qui est en tête de la mêlée,
A Pâris qui fait la course de la fatalité, et à l'opiniâtre vaillance d'Enée.
Héraut de Grèce, quand tes pieds presseront l'or et le marbre,
Lève-toi dans le mégaron iliaque, ne refrène pas le cri qui provoque.
Voici ce que tu leur diras, en frappant le sol du bâton symbole de ton défi,
Affrontant les foudres de guerre, les insensés, ceux qui jouent avec la ruine d'un empire :
'Princes de Troie, je me suis assis dans vos salles, j'ai dormi dans vos chambres ;
Je vous ai rencontrés lion seulement au combat, en guerrier heureux de ses adversaires
Et heureux d'une force compagne de la sienne, mais aussi nous nous sommes 
                                                                                                     rencontrés dans la paix.
Étonné je suis assis dans les grandes salles de mes ennemis, près des poitrines portant les cicatrices
De mes coups d'épée, sous les ' veux que j'avais vus au travers de la bataille;
J'ai mangé, me réjouissant, la chère de l'Orient aux tables de Priam,
Servi par les mains les plus gracieuses au monde, par la fille d'Hécube, –
Ou, par une nuit insouciante et enivrante, nos tîntes réconciliées,
J'ai bu la douceur du vin phrygien, admirant vos corps
Sans aucun doute façonnés par les dieux, et mon esprit s'est révolté contre la haine
S'attendrissant, il compatissait dans toutes ses fibres devant la beauté et la joie de ses ennemis,
S'affligeait de la mort qui prend par surprise, et de la flamme qui crie et désire,
Jusqu’à vouloir sauver enfin, et même à deux doigts de délivrer
Troie, ses, merveilleux ouvrages, ses fils, ses filles à la poitrine profonde.
Averti par les dieux qui révèlent au coeur ce que le mental, rendu sourd par ses pensées,
Ne peut écouter, je vous, ai offert l'amitié, je vous ai offert la fête nuptiale,
L'Hellade pour camarade, Achille pour frère, et pour objet de jouissance
Le monde, conquis par ma lance. Un être entendit mon appel, un être se joignit à ma quête.
D'où vient, alors, que le cri de guerre ne s'apaise pas sur la rive du Xanthe ?
Nous ne sommes pas des voix de l 'Argolide, des tricheurs lacédémoniens,
Brillants, subtils et faux ; nous sommes des diseurs de vérité, nous sommes des Hellènes,
Homme de la terre septentrionale, fidèles en amitié et nobles dans la colère,
Forts comme nos pères jadis. Mais vous avez répondu à ma vérité en l'éludant,
Espérant prendre ce que je ne veux pas céder, et vous avez flatté votre peuple.
J'ai longtemps attendu que la lumière de la sagesse se lève sur vos natures violentes.
J'ai, en solitaire, arpenté les sables, le long des eaux aux gorges innombrables,
Priant Pallas la sage que la fatalité s'écarte de vos manoirs,
Ravissants édifices, gracieux comme des rythmes, poèmes de marbre,
Œuvres des dieux transitoires ; et j'ai ardemment souhaité la fin du fracas guerrier
Dans l'espoir que la Mort se laisserait fléchir par la beauté des fils des Troyens.
Loin du cri des javelots, loin de la ruée et du rire des essieux,
Lourd sur moi comme du fer l'intolérable joug de l'inaction pesait
Comme un fardeau sur les épaules d'un coureur. Le cri de guerre s'élevait près du Scamandre;
Le Xanthe était traversé sur un pont de guerriers tués, et pas par Achille.
Souvent je tendais la main vers la lance, car les plages troyennes
Retentissaient de la voix de Déiphobos poussant des cris et abattant les Argiens
Souvent, tel celui d'une mère anxieuse, mon cœur tressaillait pour la Grèce et ses enfants,
Car l'air était saturé du rugissement de lion d'Enée,
Toujours le soir tombait, ou les dieux protégeaient les Argiens.
Alors, près du fossé entourant les navires, de ce côté-ci de la plaine du Xanthe,
S'éleva une voix nouvelle qui perçait le tumulte et voguait sur les brises,
Aiguë, insistante, nette, et clamant un cri de guerre inconnu
Qui menaçait les peuples de ruine. Une femme avait fait son entrée pour vous aider,
Royale et insolente, aussi belle que le matin et aussi féroce que le vent du nord, —
Qui, affranchie de la quenouille  empoigne l'épée et fait mépris de la soumission,
Enfreignant la loi des dieux. Elle est turbulente, rapide au combat.
Faisant sonner sa voix comme celle d'un cygne qui nous mande devant la mort et le désastre,
Le pied léger, heureuse, impitoyable, elle court en riant au carnage ;
Vigoureuse, dans son allure qui séduit, elle s'élance de soit char pour mettre à mort,
Trempe dans le sang des mains qui ont la douceur du lys. Sous le choc avec elle, l'Europe étonnée
Est, chancelante, rejetée vers l'Océan. Elle est la panique, elle est la mêlée,
La guerre est son péan, les chars sont la foudre de Penthésilée.
Il semble que sa venue a été la perte des hommes de l'Ouest et de leurs troupes sans nombre  ;
Ajax repose pour toujours, Mérion gît sur les plages.
Ils tombent un par un sous vos yeux, les Grands de l'Achaïe.
Sans cesse devant mes navires, comme une procession de fourmis qui furètent,
Passent les blessés qu'on emmène ; ils étouffent leurs plaintes à mesure qu'ils approchent
Et regardent en silence les multitudes inactives, incriminant Achille au grand renom.
Pourtant j'ai été indulgent avec vous, j'ai attendu quelque temps, escompté 
                                                                                                    que vous me feriez mander,
Appelant de mes désirs des torches nuptiales et non la flamme au faîte des maisons d'Ilion,
Non le sang répandu dans les chambres de douceur, non l'incomparable cité de l'amour
Engloutie par le funeste destin. Je ne me suis pas détourné de la lutte titanesque
Découragé, ou désespéré, ou soudain las des travaux sous l'effet d'un reflux de mon glorieux courage,
Mais sous la poussée de ma compassion devant la ruine des nations sœurs,
Mais pour l'amour de celle que désire mon âme : la fille de Priam.
Et eu égard à Polyxène j'entends une seule fois vous parler encor comme un qui vous aime
Avant que la Furie, brusquement surgie de l'Erèbe, sourde à vos plaintes,
Ivre de la joie du massacre, ne s'empare de la richesse et des femmes,
Exhortant le Feu dans sa progression tandis que s'écroule Ilion en cendres.
Cédez ; car votre sombre destin est impatient. Vos auxiliaires n'accourent plus,
Multitudes promptes à répondre à votre appel ; le joug de votre orgueil et de votre splendeur
Ne pèse pas maintenant sur les nations de la terre comme au temps où la Fortune vous chérissait,
Où la force était votre esclave et ou Troie, la lionne, rugissant de colère
Menaçait le monde occidental du haut de ses remparts bâtis par Apollon.
Joyeux d'être libérés de la servitude qu'ils haïssaient, des entraves insolentes
Qui subjuguaient leur virilité, les peuples se soulèvent et prient pour votre ruine;
Les dons s'entassent sur leurs autels ; leurs bénédictions aident les Achéens.
Memnon vint, mais il repose à jamais, et les visages basanés de sa nation
N'enveloppent plus d'une nuée sombre le fracas de tonnerre de l'assaut qui déferle.
La Lycie se bat avec lassitude ; loin ont fui les troupes levées en Carie.
La Thrace fait retraite vers ses plaines, préférant sifflement des vents déchaînés,
Ou, aux rives du Strymon, tournoyer sur sa cadence orphéenne,
Plutôt que dans l'orgie des glaives et face aux piques des Hellènes.
Princes de Pergame, ouvrez vos portes à notre Paix afin qu'elle entre
Portant Ici vie dans ses bras gracieux, et l'oubli, ce tombeau des passions de la terre,
Ce guérisseur des plaies et du passé. Dans une entente d'égal à égal, à la manière hellénique,
Unissez l'Asie à la Grèce, – que ce soit un même monde, depuis les fleuves gelés
Foulés par les chevaux du Scythe, jusqu'aux confins où ondoie le Gange.
Renoncez à la Tyndaride Hélène, cause désirable de votre danger,
Rendez-la à la Grèce depuis longtemps déserte de ses mouvements et de son sourire.
 Ornez son arrivée en Grèce de richesses : l'apparat de ses esclaves
Et des chars sans fin gémissant sous l'or, qui sont porteurs de la rançon des nations.
Ainsi la Furie sera pacifiée, elle qui, de Sparte, souffla exultante
Dans les voiles du ravisseur troyen pour aider ses rameurs.
Ainsi les dieux seront apaisés, et les pensées de leur colère révoquées;
La Justice satisfaite retournera sur ses pas, et à la place des tisons de l'incendie 
Les torches qui ravissent l'œil feront irruption dans Troie avec les épées des noces.
 Moi, ainsi qu'un jeune époux, je saisirai, étreindrai, défendrai votre cité,
Sauvée de l'envie d'Argos, de la haine lacédémonienne,
Sauvée de l'avidité de la Crète et de la rapine brutale du Locrien.
Mais si de ma voix vous vous détournez, et si vous n'écoutez que les grands cris d'Arès
Réclamant le combat en vous qu'abusent Héra et Pallas,
Les houles de la mort féroce auront tôt fait de se refermer sur Troie
Et ses remparts construits par les dieux ne seront que chaume et terre sous les pieds de l'Hellène.
Car à mes tentes je ne retourne pas, j'en jure par Zeus et par Apollon,
Maître de la vérité qui siège dans Delphes, méditant, insondable et solitaire,
Dans les cavernes de la Nature et écoutant sa rumeur souterraine,
Et je place sous sa garde muette et intransigeante, à lui qui n'oublie pas,
Mon serment de ne pas me reposer du halètement d'Arès, de la lutte corps à corps
Qui oppose espoir et mort dans l'empoignade sans merci de la mêlée,
Laissant à nouveau les remparts de Troie non escaladés,
La Grèce invengée, la mer Egée à l'état de lac, et l'Europe, de province
Choisissant l'exil loin de l'Hellade, loin de Pélée et Déidamie,
Le champ de bataille pour chambre à coucher, et le combat comme coin du foyer,
J'irai guerroyant jusqu'à ce que l'Asie, asservie par mes pas,
Sente la marche de Dieu dans la pression de ma sandale sur sa poitrine.
Je me reposerai alors, quand les frontières de la Grèce seront en bordure du Gange;
Ainsi le passé paiera sa rançon de Titan, et, la Destinée inversant sa balance,
Tout un continent enlevé subira le sort d'Hélène.
Voilà ce que j'ai juré, alliant ma volonté à Zeus et à Anankè.' "
           Ainsi fut énoncé le défi du Phthien. Silencieux, les héros
Avec stupeur firent retour sur leur passé et scrutèrent la nuit de leur futur.
Silencieux, leur coeur sentit une emprise venant des dieux et reçut des suggestions célestes.



Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée, Le Livre du héraut (Livre un- v.428 à v582. )

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