Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo Le sens de l'Isha Upanishad

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Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Le sens de l'Isha Upanishad



L'obstacle principal qui nous empêche de recevoir le sens simple de l'Isha Upanishad est de comprendre la vérité intérieure qu'elle enseigne sur le Brahman, le Soi et le Divin, c'est Mâyâvâda, l'illusionnisme prêché par Shankarâcârya et le commentaire qu'il a écrit sur cette Upanishad. Le mouvement de retrait en flèche qu'est l'illusionnisme, et l'inaction tant vantée du sannyâsî s'opposent radicalement à l'Isha Upanishad. Si pour chercher la signification de cette Upanishad, on tire et torture le sens de ses sloka, il devient impossible de trouver la solution de cette querelle.
L'Upanishad où il est écrit : « faisant en vérité les œuvres dans ce monde on doit désirer vivre cent ans » et encore, « l'action n'englue pas l'homme » ,  l'Upanishad qui proclame avec courage « En des ténèbres aveugles entrent ceux qui se vouent à l'ignorance, comme en plus de ténèbres entrent ceux qui se vouent à la connaissance seule », et qui dit encore, « par la naissance on jouit de l'immortalité », comment cette Upanishad peut-elle être réconciliée avec mâyâvâda, l'illusionnisme, et le chemin du retrait ? Un grand érudit, qui fut sans doute après Shankâra — le principal promoteur du monisme dans l'Inde du Sud —la rejeta de la liste des douze Upanishads et mit à sa place Nrsimhatâ­liya. Shankâra n'eut pas la témérité de changer le canon établi. L'Upanishad était une sruti (la parole révélée) ; la doctrine de l'illusion était un sujet d'étude de la sruti, qui prétendait que le sens de la sruti ne pouvait être que favorable à une théorie de l'illusion véritable. Si jagatî (64) signifiait la terre, le sens en serait tout ce qui se meut sur la terre, elle-même en mouvement, c'est-à-dire, tous les hommes, animaux, insectes, oiseaux, torrents et rivières. Ce sens est bien absurde. Dans le langage des Upanishads, le mot « sarvamidam » signifie tous les objets visibles de l'univers, non de la terre. Par le mot « jagatî » nous devons comprendre la shakti en mouvement, manifesté en univers, et par le mot « jagat » tout ce qui est mouvement de la Prakriti, qu'elle se présente comme un être vivant ou comme la matière. La contradiction est entre ces deux choses : l'Ishvara, et tout ce qui est dans l'Univers. Au contraire, de l'Ishvara qui est immobile, Prakrti, la Sakti, est toujours en mouvement, engagée dans l'œuvre et dans un mouvement étendu au monde : tout ce qui existe dans l'univers est aussi un petit univers en mouvement qui est à chaque instant le point de rencontre de la création, de la préservation et de la destruction, immobile et périssable, le contraire de l'immuable. L'éternelle contradiction n'est pas évidente si nous mettons d'un côté l'Ishvara et de l'autre la terre et tout ce qui est mouvement sur la terre. L'Upanishad s'ouvre sur la contradiction éternelle observée par quiconque met d'un côté l'Ishvara et de l'autre la Prakrti, sans repos, avec tout ce qu'elle possède dans l'univers qu'elle a créé, tous les objets éphémères.
Toute l'Upanishad est construite sur cette contradiction et sur sa résolution. Par la suite, l'auteur de l'Upanishad, discutant la nature de l'Ishvara et la nature de l'univers, reprend trois fois le même problème, chaque fois avec une approche différente. D'abord, parlant de Brahman, il démontre l'opposition de Purusa et de Prakrti et, par ces mots anaijad (sans mouvement) et manaso javiyah... tad ejati tannaijati (plus prompt que l'esprit, Cela que les Dieux n'atteignent pas, car toujours Cela progresse en avant — Cela, immobile, distance les autres dans leur course. En cela le Maître de la vie établit les eaux. Cela est avec mouvement, Cela est sans mouvement). Il explique que tous deux sont Brahman : le Purasa est Brahman, la Prakrti et l'Univers qui est sa forme extérieure sont aussi Brahman. Encore, parlant de l'âtman, il explique l'opposition entre l'Ishvara et tout ce qui concerne l'univers. L'âtman est Ishvara, Purusa...
En pressurant, sans doute fera-t-on sortir le véritable sens caché, donc la doctrine de l'illusionnisme à force de douleur ; telle fut la conclusion qui s'empara de Shankâra et il écrivit un commentaire sur l'Isha Upanishad.
Regardons d'un côté ce que dit le commentaire de Shankâra, de l'autre, ce qu'a réellement à nous dire l'Upanishad. L'auteur de l'Upani­shad compare au début la vérité de I'Ishvara et la vérité de l'univers et indique leur relation fondamentale, îsâ vâsyam idam sarvarn yat kinca jagatyâm jagat, dont le sens simple est : « tout ce qui est, est pour que le Seigneur l'habite, tout ce qui est jagat en jagatî — univers individuel en mouvement » — c'est-à-dire, celui qui est mobile dans le sein de celle qui est mobile. Purusa, immobile, qui contrôle, celui qui imprègne tout, et Prakrti en mouvement : L'Ishvara est la Shakti. Comme le nom d'Ishvara a été donné à l'Immuable, nous devons comprendre que la vraie rela­tion entre Purusa et Prakrti est celle-ci : jagat dépend de I'Isvara, est gouverné par lui, accomplit toutes choses par Sa Volonté. Le Purusa est non seulement le témoin, Celui qui donne la sanction, mais 1'Ishvara, Celui qui connaît, qui dirige l'action ; la Prakrti ne contrôle pas l'action, mais réalise la destinée, elle est la maîtresse, mais dépend du maître, elle est la Sakti active exécutant la volonté du Purusa.
Nous voyons alors que jagatî n'est pas simplement la Sakti en mou­vement, elle n'est pas seulement le principe, cause de l'univers : elle est présente aussi comme l'univers lui-même. Le sens ordinaire du mot jagatî est : la terre ; mais il ne peut s'appliquer ici. En combinant ces deux mots, jagatyâm jagat, l'auteur de Upanishad indiquait qu'on ne doit pas négliger la racine de ces mots, et son sens a voulu l'action sur elle.


Sri Aurobindo, 
Philosophy of the Upanishads  (Baroda 1893-1905)

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