Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo Les dieux des âges antiques

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Les dieux des âges antiques

La Grèce semblait ancienne, étrangère, à ses enfants campés sur les grèves. 
Ancienne comme vie passée de longue date. qu'on se rappelle en ayant peine à y croire
Sinon comme à un rêve qui s'est produit jadis, ou à l'histoire de quelqu'un d'autre.
Le Temps par son toucher sans hâte, et la Nature qui change notre substance
Avaient lentement estompé les visages aimés et les scènes autrefois chéries ;
Pourtant ce rêve leur était encore cher, à eux qui soupiraient après femme et enfants, 
Soupiraient après l'âtre et la glèbe des lointaines vallées de l'Hellade.
Sans cesse, telles des vagues engloutissant les galets, s'écroulant et revenant,
La marée de la bataille et la ruée de l'assaut grondaient implacablement
Sur les champs de blé phrygiens. Le Troyen luttait contre l'Argien ;
La Carie, la Lycie, la Thrace et, seigneur de la guerre, la puissante Achaïe
S'unissaient dans l'étreinte du combat. Mort, panique, blessures et désastre.
Gloire de la conquête et gloire de la chute, et le coin du foyer vide,
Larmes et force d'âme, terreur, espoir, et la morsure du souvenir,
L'angoisse des cœurs, les vies des guerriers, les effectifs des nations
Étaient jetés comme des poids sur les plateaux de la Destinée, mais la balance hésitait 
Sous la pression de mains invisibles. Car non seulement les combattants humains,
Héros à demi divins dont les noms sont comme des astres très hauts,
Triomphaient et échouaient, tels les vents ou les algues sur la danse des houles.
Mais des pics de l'Olympe et des sommets miroitants de l'Ida,
Descendaient, étincelants et sonores, les dieux des âges antiques.
Cachées à la connaissance humaine, les formes éclatantes des Immortels
Se confondaient inaperçues à la mêlée, ou quelquefois, merveilleux, sans masque,
Des corps d'éternelle beauté et puissance, qui faisaient trembler les fibres du coeur. 
Trouant leur voile d'Immortels, franchissaient les frontières de la vision,
Aussi distincts lorsqu'ils émergeaient de leur gloire qu'ils l'étaient pour les demi-dieux du temps Jadis,
Audibles par les oreilles humaines, vus par les globes oculaires qui périssent.
Pleins de puissance ils arrivaient de leurs espaces de liberté et de splendeur sans souffrance.
Vaste comme l'océan, ayant pour traîne l'ourlet azuré de ses eaux vociférantes,
Les paupières bleues, la Nuit pour crinière, Poséidon dévastait pour réaliser l'avenir, 
Secoueur de la terre dont le trident libère les replis du Dragon,
Délivrant les forces non nées emprisonnées dans les cavernes de la Nature.
Calmes et impassibles, maintenant le Verbe qui est Destin, et l'ordre
Arrêté dans la vision d'une Volonté prescience, silencieuse et immuable,
Héra envoyée par Zeus et Athéna, de Zeus levant l'égide,
Veillaient sur le décret occulte. Mais en faveur d'Ilion, bruyant comme les flots houleux, 
Arès l'impétueux incitait le feu dans les coeurs des hommes, et sa passion
Réveillait dans les profondeurs indistinctes les formes du Titan et du démon :
Muets et maintenus par la poigne des dieux dans l'abîme de l'être,
Formidables, voilés, ils siègent dans la grise pénombre subconsciente,
Surveillant le sommeil de l'Erinnys à la chevelure de serpents.Miraculeux, entouré d'un halo,
Visionnaire, magicien et prophète qui voit ce dont la pensée ne peut pas être témoin, 
Soulevant en nous la divinité plus haut qu'une entreprise humaine ne peut atteindre, 
Tueur et sauveur, penseur et mystique, du haut de ses pics solaires,
Protégeant à Ilion le mur de ses mystères, s'élançait Apollon Delphien.
Les puissances du Ciel, divisées, oscillaient dans le tourbillon de la force de la Terre.
Tout ce qui naît et est détruit renaît dans la courbe des âges;
La vie, décimale toujours récurrente, répète l'ancien chiffre;
Il semble ne pas y avoir de but pour le ballon qu'au long du Temps poursuivent les équipes du Destin;
Le mal qui a pris fin jadis se reproduit, aucun résultat ne sort de la vie :
Seul un Œil invisible peut discerner la trame de ses opérations.
Telle paraissait la règle du passe-temps du Destin sur les plaines de Troade;
Tout reculait et avançait, ballotté dans le va-et-vient du jeu meurtrier.
Vaines des héros étaient les fatigues, le sang des Grands était dilapidé,
Comme l'embrun sur les falaises lorsqu'inapaisé le ressac gémit, privé de sa récompense 
D'un âge infructueux à l'autre. Le jour suivait la piste de la nuit tombante ;
La joie succédait au chagrin ; la défaite ne faisait que grandir les vaincus,
Et la victoire procurait un plaisir vide sans rétribution ni profit.
Il n'y avait pas de terme à l'effort, il n'y avait pas de terme à l'échec.
Le triomphe et l'angoisse changeant de mains à une cadence désespérante
Se faisaient face et tournaient, semblables à un homme et une jeune fille qui, piétinant l'herbe, 
                                                                                                                        se font face et tournent,
Et rient dans leur joie de la danse et la joie qu'ils ont l'un de l'autre.
Les danseurs étaient des dieux, et ils piétinaient des vies. Mais si le Temps est immortel, 
Ses oeuvres et ses voies sont mortelles, et tant l'angoisse que l'ivresse ont une fin. 
Artistes de la Nature satisfaits de leur travail dans le plan de l'impermanence, 
Splendides, impérissables, augustes, les Olympiens se détournèrent du carnage,
Laissant l'issue de la bataille déjà décidée, laissant les héros
Tués dans leur pensée, Troie brûlée, et la Grèce abandonnée à sa gloire et à son effondrement.
Ils montèrent dans leurs ciels avec la puissance d'aigles qui s'élêvent,
De leurs ailes éventant le monde. Comme les Grands dans Ieurs manoirs illuminés
Se détournent du cri et de l'affrontement, oubliant les blessés et ceux qui sont
                                                                                                    tombés morts —
Calmes ils se reposent de leurs travaux et ils inclinent à la joie du banquet,
Observant les pieds des échansons campés, roses, sur le marbre,
Emplissant leur cœur de bien-être ainsi les dieux gagnèrent leur éther serein,
Quittant la terre blessée et son air labouré par l'angoisse.des hommes ;
Calmes ils se reposèrent et leur coeur inclina à la joie et au silence.
Levé fut le fardeau mis sur nos volontés par leur présence aussi brillante que les astres:
L'homme fut rendu à sa petitesse, le monde à son labeur inconscient.
La vie fut soulagée de sa tension vers les hauteurs, les vents délivrés s'exhalèrent
                                                                                                          plus librement ;
La  lumière fut déchargée de leur flamboiement, et la terre de leur grandeur.
Mais leur contentement immortel déserta aussi la lutte titanesque.
Vide, le bruit de la bataille gronda comme la mer sur les galets ;
Les javelots poursuivirent leur gibier avec fatigue : la vaillance se laissa abattre ;
Avec la marche des mois le silence s'accrut sur les tentes de l'armée assiégeante.
Or les Achéens n'étaient pas les seuls sur qui pesât le pas des moments;
Lentement s'épaississait l'ombre sur la puissante et dédaigneuse Ilion :
Ses Jours passaient en se traînant ; à l'arrière du coeur de ses gens.
Quelque chose qui savait ce qu'ils n'osaient pas savoir et que le mental se refusait
                                                                                                                   à formuler,
Portant atteinte à son âme faite de défi, de beauté, de rire, Obscurcissait les heures.
Car en son lever sombre et gigantesque, la Fatalité
Approchait, assaillant les cieux : son pressentiment vivait dans tous les divertissements;
Le temps était talonné par un malaise et une terreur s'éveillait au milieu de la nuit ;
Pierres érigées par les dieux, même les remparts sentaient sa venue.
Elle en avait fini de badiner et jouer, niais bondissait et se hâtait
A la vue du dénouement devant elle et, imaginant calmement le massacre,
Riait, admirait les flammes et se réjouissait de la plainte des captifs.
Dans son ombre, déjà mort pour les immortels qui le regardaient, Déiphobos pressait le pas 
Avec un cliquetis d'armes le long des rues de la belle cité insolente,
Eclatant, enveloppe rayonnante mais vide, désertée par son génie intérieur.



Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée, Le Livre du héraut (Livre un- v.104 à v.202)

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