Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: mai 2020

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Radieuse était la splendeur de la vie à Ilion


Radieuse était la splendeur de la vie à Ilion, cité de Priam.
Trois fois à l'adresse de la cité la fanfare du destin publia son alarme solennelle,
La fanfare des trompettes appelant à l'assemblée retentit dans Ilion
A trois reprises et se tut. Des jardins et des rues, des palais et des temples, 
Chassée comme un destrier vers le son de la trompette, trouvant sa joie 
                                                                             dans la guerre et l'ambition,  
Se rassembla prestement à l'appel la démocratie haie par le ciel.
Aux premiers rangs, soutenant leur âge comme Atlas ses cieux,
Surmontés d'aigles, les cheveux blancs comme la neige sur 1'Ida,
Avançaient les sénateurs d'Ilion, Anténor et Anchise au large front,
Athamas, renommé pour les navires et la guerre sur mer, Tryas
Dont l'Oxus, fleuve oriental, se rappelait encore le nom,
Astyochès et Ucalégon, Pallachos dont les ans défiaient la mémoire, AEtor,
Aspétos qui connaissait tous les secrets divins et gardait le silence,
Ascanos, Ilionès, Alcésiphron, Oros, Arétès.
Puis venait de la citadelle, précédé par la voix des hérauts,
Priam, et venaient les fils de Priam, et Enée à la démarche de lion,
Suivis par le cœur d'une nation qui adorait sa Penthésilée.
Tout ce qui à Troie était noble, marchant devant et derrière eux,
Prenait part à la procession royale, et le martèlement rythmique de leurs pas
S'accordait aux destinées insolentes d'Ilion sous la direction de demi-dieux
Incarnés, Ilos, Phryx et Dardanos, Trôs aux conquêtes,
Trôs et Laomédon qui gouvernait jusqu'au loin et qui, dans le labeur vigoureux de son âme,
Tira sur terre les fils des cieux et fut servi par les immortels sans âge.
Dans l'agora vaste et ambitieuse assiégée par ses colonnes,  
Baignés et oints ils entrèrent, beaux et grands comme des dieux.
Enfin, en un piétinement sonore qui évoquait la clameur des vents, venait la  marée
                                                                                                                              du peuple:
Conduit par une force obscure à l'ultime et fatale session de sa colère
Accourait à grand bruit le populaire, violent et puissant ;
Des milliers de vies ardentes, portant encore dans la poitrine un coeur intact, 
Elevaient jusqu'au ciel la voix de l'homme et sa rumeur qui au loin se propage.
Chantant, portant des bannières, les jeunes gens marchaient en processions joyeuses, Avançaient sur une cadence martiale ou bien, dansant sur des pas lyriques,
Célébraient la gloire de Troie et les merveilleux hauts faits de leurs ancêtres.  
Dans l'assemblée à colonnes où ILos avait réuni son peuple,
Milliers après milliers le bruit de pas et la rumeur se déversèrent
Ils étaient rangés par tribus aux armures étincelantes, nation indomptable au coeur altier Attendant la voix de ses chefs. Quelques-uns contemplaient la grandeur de Priam,
L'ancien, éloigné de leurs jours, le dernier des dieux passagers,
Qui restait comme une âme laissée sans compagnon dans des mondes où sa force
                                                                                                                         ne vaincra pas 
Pareil à une colonne gigantesque solitaire sur un coteau désolé,
Il semblait avoir plus d'années, et de puissance, que les mortels. Un grand nombre, 
                                                                                                                                  avec colère,
Lançaient des regards hostiles là où, calme bien qu'abandonné du ciel,
Livré à son âme, à son mental lucide, qu'habitaient des pensées dorénavant stériles, 
Chef de file des quelques hommes, refroidis par la vieillesse, que la force
                                                                               de leur courage n'avait pas aveuglés, 
Etait assis le fameux Anténor, l'homme d'Etat déchu et impopulaire,
L'orateur le plus avisé de Troie, mais rejeté, lapidé, déshonoré.
Silencieux, à l'écart du peuple, il siégeait, le coeur plein de ruines.
Sourd était le brouhaha, qui s'enfla comme dans un pré le bourdonnement des abeilles Lorsque dans leur soif du miel elles pullulent sur le thym et le tilleul,
Bourdonnant et voletant par centaines, et que tout l'endroit n'est plus qu'un murmure. Alors, quittant son siège comme se dresse une tour, Priam le monarque,  
S'étant lentement levé, imposa le silence au peuple par sa vaste tranquillité
Isolé, auguste, il se tenait debout, tel un être que la mort a oublié,
Erigé comme une colonne de pouvoir et de silence dominant l'assemblée.
Ainsi s'élève jusqu'au ciel l'Olympe, seul avec ses neiges.
Ses hauteurs étaient couronnées de mèches au repos comme la masse du manteau neigeux
Qui en recouvre les contreforts géants ; ses yeux de profonde méditation,
Yeux qui voyaient maintenant la fin et l'acceptaient de même que le commencement, Fixaient la multitude du peuple comme un tableau qui peint une solennité
Il parla lentement, en homme qui est loin des décors où il séjourne :
"Chef d'Ilion, héros Déiphobos, toi qui as convoqué
Troie à travers son peuple, lève-toi ; dis pourquoi tu nous as appelés.
Que tes paroles soient de bonheur ou de malheur, tu ne peux exprimer que ceci :
la Nécessité façonne Tout ce que l'œil invisible a perçu. Parle donc aux Troyens ;
A l'aurore du jour où il prendra forme, dis quel aboutissement, la mort ou le triomphe,
Le Destin, avec sa soudaineté, assigne à ceux qui n'ont pas la vision,
                                                                                                et quelle sommation de périr 
Envoient à cette nation des hommes qui se révoltent, et des dieux qui sont hostiles."
                    S'étant levé Déiphobos parla, inférieur en stature et de carrure moindre
Que son père, et pourtant l'homme le plus fort et le plus grand qui ait marché au combat 
Ou qu'y aient porté ses coursiers depuis qu'Ajax avait été abattu au bord du Xanthe. 
"Peuple d'Ilion, tu as longtemps combattu contre les dieux et les Argiens,
Donnant et recevant la mort, mais les années traînent en longueur et la lutte est sans fin. Défaillants, tes aides cessent le combat, les nations t'abandonnent.
Lasse de la grandeur ardue, l'Asie éprise de ses aises
Souffre que le pied des Grecs foule les plages de la Troade.
Or nous nous sommes démenés et pour Troie et pour l'Asie, pour ces hommes
                                                                                                          qui nous désertent.
Ce n'est pas seulement pour nous, pour notre vie d'un moment, que nous avons combattu 
Si les Grecs venaient à triompher, et que leurs nations fussent rassemblées
Sous quelque chef qui voit loin, Ulysse, Pélée, Achille,
Il n'est pas vrai que sur les rives du Scamandre et les pourtours de l'azur égéen 
Prendrait fin, à bout de forces, la tentative audacieuse, l'entreprise titanesque :
Le Tigre franchi fuirait leurs pas, et leurs coursiers boiraient dans l'Indus. 
En ces temps où chaque soleil descend étonné que Troie tienne encore,
Souffrant, portant des coups, vivante, bien que condamnée à tous les yeux qui la voient, 
Lançant en retour la Mort de ses murs, restant de bronze sous le choc et la clameur, 
Conduit par une pensée qui est née avec le jour dans les tentes sur les grèves, 
Voici que le char du gris Talthybios attend aux portails iliaques
Et que la voix du demi-dieu hellène défie Troie l'immémoriale.
Il nous a parlé en ces termes : Ne reconnaissez-vous pas la Fatalité quand elle 
                                                                                                    marche dans vos cieux ?
Ne sens-tu donc pas ton coucher, ô soleil qui as illuminé la Nature ?
Dépossédés de vos auxiliaires, vous vous dressez seuls face au Sort funeste et face à Achille,
Abandonnés par la terre qui fut à votre service, rejetés par le ciel qui vous apporta son aide.
La mort insiste à vos portes, la flamme et l'épée s'impatientent.
Nul ne peut échapper à la roue des dieux et à ses vastes révolutions
Le Destin exige pour l'Argien ce qui a fait la joie et l'orgueil de la terre,
L'opulence de l'Asie pour la convoitise des jeunes nations barbares.
Cité divine, dont la renommée couvrait comme le toit du ciel les nations,
Descends, désormais pâlissante, dans l'ample orbite de mon rayonnement Troie,
Jointe à mes royaumes du Nord livre l'Orient à l'Hellène ;
Sois, Ilion, attelée à l'Hellade ; immense Asie, borde le Pénéos.
Faites abandon de l'incomparable Hélène, sacrifice ravissant et sans prix
Jeté par votre faiblesse et votre déclin sur l'autel colossal de la Nécessité ;
Cédez à mon ardeur Polyxène à la poitrine profonde, fille d'Hécube,
Elle que mon coeur désire. Elle vous mettra en main la paix et sa joie calmante
Des matins sans inquiétude et de la mort écartée de vos foyers.
Livrez tout cela et vivez, sinon je m'élance sur vous, précédé du Destin et suivi par Hadès.
Lié aux dieux par un serment je ne quitterai à nouveau le combat
Que lorsque s'étendra mon ombre des hauteurs de l'Ida aux Mèdes et à l'Euphrate.
Ne vous laissez pas abuser par vos victoires, échelons imaginés par la défaite ;
Soyez sourds à la voix de vos héros ; leur renommée est une trompette dans l'Hadès :
Ils sont vainqueurs aussi longtemps que mes coursiers déharnachés mâchonnent
                                                                                                                  dans leurs écuries.
La terre ne peut résister longtemps à l'homme que le ciel a choisi ;
Les dieux marchent avec lui, son char est guidé, son bras assisté.
Le défi hellène sonne fièrement, la terre attend la réponse iliaque.
Toujours le Destin de l'homme est suspendu au souffle fugitif d'un moment ;
A l'appel d'un mot, d'un geste, il s'élance, et le voilà gravé, le voilà de granit.
Parlez ! à quel geste sublime les dieux sévères reconnaîtront-ils Troie ?
Fils des anciens, race des dieux, cité inviolée,
Vais-je plus fermement empoigner mon javelot, ou bien le rejeter loin de ma main
                                                                                                                et pour toujours ?
Sondez vos coeurs, enfants de Teucer, pour savoir si vos pères les habitent encore."
 Ainsi parla Déiphobos, et la nation l'entendit en silence, 
Impressionnée par l'ombre immense de la fatalité, indignée contre la Fortune.
Anténor se leva calmement de son siège à la manière d'un lutteur, 
Dompteur dans la cage aux lions, mesurant du regard les monstres splendides 
A la crinière fauve, – et il sait que si son courage vacille,
Si son œil se trouble, ou que ses nerfs soient attaqués à l'improviste par les dieux
                                                                                                                     qui sont hostiles,
La mort s'élancera sur lui, là, dans l'arène bondée et impuissante.
 
 Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée, livre II, Le Livre de l'Homme d’État (Livre un- v.73 à v.199)

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