Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo RENAISSANCE ET KARMA

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

RENAISSANCE ET KARMA


L'antique idée du karma était inséparablement liée à la croyance en une renaissance continue de l'âme dans de nouveaux corps. Et cette étroite association n'était pas un simple accident, mais l'union parfaitement intelligible et en fait inéluctable de deux vérités apparentées dont chacune est nécessaire à la plénitude de l'autre et qui ont peine à exister séparément. Ces deux vérités sont l'aspect âme et l'aspect nature d'une seule et même séquence cosmique. La renaissance n'a pas de signification sans le karma,  et le karma ne jaillit pas d'une origine inéluctable, n'a pas de justification rationnelle et morale s'il n'est pas l'instrument d'une, succession d'expériences continues pour l'âme. Si nous croyons que l'âme renaît dans le corps de façon répétée, nous devons croire aussi qu'il y a un certain lien entre les vies qui ont précédé et celles qui suivent, et que le passé de l'âme a un effet sur son avenir : telle est l'essence spirituelle de la loi du karma. Le nier serait établir le règne d'un chaos que nous ne trouvons que dans les soubresauts du mental dans le rêve ou dans les pensées de la folie, et peut-être pas même là. Et si notre existence était, comme l'imagine le pessimiste du cosmos, un rêve ou une illusion, ou pire, comme le voudrait Schopenhauer, un délire et une folie de l'âme, nous pourrions accepter une certaine loi de conséquence inconséquente. Même au pire, cependant, ce monde de la vie diffère du rêve, de l'illusion et de la folie par le plan de ses enchaînements nobles, complexes et subtils, la cohérence et l'utilité de ses discordances mêmes, l'harmonie générale et particulière de ses relations qui, si elle n'est pas l'harmonie idéale que nous aimerions constater, celle à laquelle nous aspirons, porte cependant à chaque pas la marque d'une Sagesse et d'une Idée à l'œuvre : ce n'est pas l'acte d'un Mental en guenilles ou d'une machine disloquée. L'existence continue de l'âme dans la renaissance doit entraîner une évolution, sinon du moi — puisqu'il est réputé immuable — du moins de son âme ou de son moi d'expérience actif et plus extérieur. Cette évolution n'est pas possible si cette séquence ne relie pas une vie à l'autre, si l'action et l'expérience n'ont pas de résultat, s'il n'y a pas de conséquence évolutive pour l'âme, pas de loi de karma.
    Au bénéfice du karma, si nous donnons à ce terme une signification intégrale et non tronquée, nous devons admettre que la renaissance offre à son action un champ satisfaisant. Car le karma n'est pas tout à fait identique à une loi matérielle ou concrète de cause et d'effet, à une loi de l'antécédent et de sa conséquence mécanique. Une telle loi admettrait parfaitement un karma qui pourrait se poursuivre dans le temps et dont les résultats apparaîtraient avec certitude à leur place désignée, à leur juste degré par le jeu d'un équilibre de forces, sans qu'il leur soit aucunement nécessaire d'affecter l'être humain qui les a engendrés et qui aura pu disparaître de la scène au moment où le résultat de ses actes surgira dans la manifestation. Une Nature mécanique pourrait fort bien faire retomber les péchés des pères non sur eux-mêmes, mais sur leur quatrième ou quatre-centième génération, comme le fait d'ailleurs la Nature physique, et aucun reproche d'injustice, aucune objection mentale ou morale ne pourrait s'élever, car la seule justice, l'unique raison d'un mécanisme est de travailler selon la loi de sa structure et l'hypothèse imposée à sa force en action. Nous ne pouvons exiger de lui une équité mentale ou morale ou une quelconque responsabilité supra-phy­sique. L'énergie universelle moud inconsciemment ses effets et les individus ne sont que les moyens for­tuits ou secondaires de ses œuvres; l'âme elle-même, si âme il y a, n'est qu'une partie des mécanismes de la Nature, n'existe pas pour elle-même ; elle n'est qu'une commodité pour son entreprise. Mais le karma est plus qu'une loi mécanique d'antécédent et de conséquence. Le karma est action, il y a un acte, un agent et une conséquence active; ce sont les trois joints, les trois verrous, les trois sandhi du noeud du karma. Et c'est un fonctionnement complexe, men­tal, moral et physique; car sa loi n'est pas, moins vraie dans la conséquence mentale et morale que dans la conséquence physique de l'acte pour celui qui agit. La volonté et l'idée sont les forces qui entraînent l'action, et l'impulsion ne vient pas de quelque commotion dans mes atomes physiques, d'un travail d'ions et d'électrons ou d'une mysté­rieuse effervescence de la biologie. L'acte et la consé­quence doivent donc avoir un lien avec la volonté et l'idée et l'âme qui a la volonté et l'idée doit en rece­voir la conséquence morale et mentale. Il en découle pour l'individu, si nous admettons qu'il est un être réel, une continuité de l'acte et de la conséquence, et par suite la renaissance, domaine d'application du système. Dans une seule vie, c'est évident, nous n'accomplissons pas, nous ne pouvons pas accomplir et épuiser toutes les valeurs et tous les pouvoirs de cette vie ; nous ne pouvons que suivre un fil conducteur passé, tisser quelque chose dans le présent et préparer infiniment plus pour l'avenir.
    S'il n'existait qu'une Ame totale de l'univers, la nature même du karma n'entraînerait pas comme conséquence la renaissance, car alors c'est cette Ame qui perpétuerait son passé en myriades de formes, élaborant un résultat présent, tissant les fils du karma en vue d'une trame future de conséquence. Rien d'essentiel ne dépendrait de ce que toutes ces actions soient accomplies sous le même masque individuel de son être. Car l'individu ne serait qu'un moment prolongé de l'Aine du Tout, et ce qu'elle a commencé à ce moment de son être que j'appelle moi-même pourrait très bien produire son résultat à un autre moment de ce même être qui, du point de vue de son ego, serait tout différent et sans lien avec moi. Il n'y aurait rien d'injuste, rien d'irrationnel à cette apparente substitution dans la récolte du fruit ou dans la sujétion à la conséquence; car un masque, même s'il vit et souffre, qu'a-t-il à voir avec tout cela? Et en fait, de par la nature même de la vie dans l'univers matériel, le déroulement du résultat de l'action de l'un dans la vie de bien d'autres, l'effet de l'action individuelle sur le groupe ou l'ensemble est partout la loi. Ce que je sème à cette heure-ci est récolté par ma postérité pendant plusieurs générations, et nous pouvons alors parler d'un karma de la famille. Ce que les hommes d'aujourd'hui en tant que communauté ou peuple, décident et exécutent, retombe comme une bénédiction ou un glaive sur l'avenir de leur race quand eux-mêmes ont disparu et ne sont plus là pour se réjouir ou souffrir; et là nous pouvons parler d'un karma de la nation. L'humanité aussi, dans son ensemble, a un karma : ce qu'elle a forgé dans son passé façonnera sa destinée future ; les individus semblent n'être que des unités tempo­raires de la pensée, de la volonté, de la nature humaines, qui agissent sous la pression de l'âme de l'humanité et disparaissent; le karma de l'espèce qu'ils ont aidé à former se poursuit cependant à tra­vers les siècles, les millénaires et les cycles.
    Mais nous pouvons voir, quand nous regardons en nous-mêmes, que cette relation de l'individu au Tout a un sens différent-- elle ne signifie pas que je n'ai aucune existence hormis un moment plus ou moins prolongé dans le devenir cosmique de l'Aine du Tout; cela aussi n'est qu'une apparence superficielle; plus subtile et plus grande est la vérité de mon être. Car si la Réalité originelle et éternelle, l'Alpha et l'Oméga, la Divinité n'est pas séparée dans l'individu, elle n'est pas non plus seulement un Panthéon, un esprit cosmique. Elle est à la fois l'individu éternel et l'Ame totale éternelle de cet univers et de bien d'autres, et en même temps bien plus que tout cela. Cet univers peut finir, elle existerait encore; et moi aussi, bien que l'univers finisse, je pourrais conti­nuer à exister en elle; et toutes ces âmes éternelles existeraient encore en elle. Mais tout comme son être existe à jamais, la succession de ses créations existe aussi à jamais; une création ne pourrait prendre fin que si une autre commençait, et la nouvelle continuerait, en prenant un nouveau départ, à exploiter la possibilité qui n'avait pas été accomplie dans l'ancienne, car il ne peut y avoir de fin à la manifestation de soi de l'Infini. Nâsti anto vistarasya me. L'univers se retrouve en moi, de même que je me retrouve en l'univers, parce que nous sommes son visage et que ce visage est la Réalité éternelle et unique, et l'être individuel est aussi nécessaire que l'être universel à l'élaboration de la manifestation. La vision individuelle des choses est aussi vraie que la vision universelle, toutes deux sont pour l'Éternel des manières de se contempler lui-même. Je puis maintenant me voir moi-même comme une créature contenue dans l'univers; mais quand j'accède à la connaissance du moi, je vois aussi l'univers contenu en moi, infiltré subtilement dans mon individualité, amplement dans le grand moi universalisé que je deviens alors. Ce sont là des données d'une expé­rience ancienne, des choses connues et énoncées depuis le fond des âges, bien qu'elles puissent sem­bler nébuleuses et transcendantes au mental moderne positiviste qui s'est si longtemps et si minu­tieusement penché sur les objets extérieurs qu'il est maintenant ébloui et aveuglé par toute lumière plus grande et ne retrouve que lentement le pouvoir de regarder à travers ses rayons ; mais ces données sont, en dépit de tout cela, toujours valables, et tous ceux d'entre nous qui choisissent de se tourner vers les voies intérieures les plus profondes peuvent en faire l'expérience. La pensée et la science d'aujourd'hui, si nous regardons dans son ensemble la connaissance qu'elles nous ont apportée, ne les contredisent pas, mais retracent seulement pour nous l'effet extérieur et les fonctionnements de ces réalités ; car nous découvrons toujours au bout du compte que la vérité du moi n'est pas contredite, mais reproduite et réali­sée dans ce monde-ci par la loi de l'Énergie et la loi de la Matière.
    La nécessité de la renaissance, si nous l'examinons de l'extérieur, sous l'angle de l'énergie et du procédé, repose sur un fait persistant et obstiné qui se superpose toujours au caractère général de la loi et de l'espèce commune et constitue le secret le plus pro­fond de la merveille d'exister : le caractère unique de l'individu. Et cette unicité est partout, même si elle n'apparaît que comme un facteur secondaire dans les niveaux inférieurs de la vie. Elle devient de plus en plus importante et prononcée à mesure que nous nous élevons dans l'échelle, s'élargit dans le mental, acquiert des proportions énormes quand nous en venons aux choses de l'esprit. Cela semblerait indi­quer que la cause de ce caractère unique significatif est étroitement liée à la nature même de l'Esprit; c'est quelque chose qu'il contenait en lui-même et qu'il fait sortir de plus en plus, à mesure qu'il émerge de la Nature matérielle pour entrer dans la conscience du moi. Les lois de l'être sont, après tout, une pour tous, parce que toute existence est une; un Esprit, un moi, un mental, une vie, une énergie de procédé est à l'œuvre; une volonté, une sagesse a pla­nifié ou a fait sortir d'elle-même toute la création. Et pourtant dans cette unité, il y a une variété constante qui nous apparaît tout d'abord sous la forme d'une différenciation de la communauté. Il y a partout une énergie du groupe, aine vie du groupe, un mental du groupe, et si l'âme existe, nous avons alors des rai­sons de croire que, si impalpable qu'elle soit pour notre compréhension, il y a une âme du groupe qui est le soutien et la base — certains diraient le résul­tat — de cette différenciation de la communauté. Mous sommes alors fondés à penser qu'il existe un karma du groupe. Car l'âme du groupe ou âme collective se renouvelle et se prolonge, et dans l'homme au moins construit sa nature et son expérience de génération en génération. Et qui sait si, quand l'une de ses formes, communauté ou nation, est désintégrée, elle n'attend pas de revêtir d'autres formes dans lesquelles sa volonté d'être, son type de nature et de mentalité, sa tentative d'expérience se poursuit, migre, pour ainsi dire, dans des corps collectifs nou­veau-nés, en d'autres âges et d'autres cycles? L'humanité elle-même possède cette âme collective séparée et cette existence collective séparée. Et sur ce caractère commun se fonde le karma commun; l'action et le développement du tout engendrent la conséquence du karma et l'expérience pour l'indi­vidu et la totalité, tout comme l'action et le développement de l'individu engendrent des consé­quences et une expérience pour les autres, pour le groupe, pour le tout. Et l'individu est là; vous ne pouvez le réduire à un zéro ou à une illusion; il est vrai, vivant, unique. La différenciation de l'âme com­mune s'enrichit du reste, se dépasse, fait entrer ou sortir quelque chose de plus, quelque chose de nouveau, ajoute des pouvoirs nouveaux à l'évolution. L'individu croît et se dépasse de la même manière à partir de la communauté. C'est en lui, sur ses plus hauts sommets, que nous atteignons la crête de cette flamme, de cette manifestation de lui-même par laquelle l'Un se retrouve dans la Nature.
    Et la question se pose alors de savoir comment tout cela peut arriver. Je prends naissance, non dans un être séparé, mais dans la vie du tout, et par conséquent j'hérite de la vie du tout. Je suis mis au monde physiquement par une génération qui est la suite d'une histoire ininterrompue; le corps, la vie, la mentalité physique de tout un être passé se prolonge en moi et je dois par conséquent subir la loi de l'hérédité; le parent, dit l'Oupanishad, se recrée par l'énergie de sa semence et renaît dans l'enfant. Mais aussitôt que je commence à me développer, un fac­teur nouveau, indépendant et impérieux, intervient, qui n'est ni mes parents, ni mes ancêtres, ni l'humanité passée, mais moi, mon propre moi. Et c'est le facteur réellement important, central, suprême. Ce qui importe le plus dans ma vie, ce n'est pas mon hérédité : elle me fournit seulement l'occasion ou l'obstacle, le matériau bon ou mauvais, et nul n'a jamais démontré que je tire tout de cette source. Ce qui importe au plus haut degré, c'est ce que je fais de mon hérédité, et non ce que mon hérédité fait de moi. Le passé du monde, l'héritage d'autrefois, mes ancêtres sont là, en moi ; et pourtant je suis l'artisan de mon moi, de ma vie, de mes actions. Et il y a aussi le monde et l'humanité d'à présent, il y a mes contemporains autant que mes ancêtres ; la vie de mon milieu pénètre aussi en moi, m'offre un nou­veau matériau, me façonne par son influence, pose son empreinte, directe ou indirecte, sur mon être. Je suis envahi, changé, partiellement recréé par l'être et l'action du milieu dans lequel je vis et agis. Mais ici l'individu intervient de nouveau d'une manière sub­tile et centrale comme un pouvoir décisif. Ce qui est suprêmement important, c'est ce que je fais de tout ce présent qui m'environne et m'envahit, et non ce qu'il fait de moi. Et dans l'interaction de l'individu et du karma général dans lequel les autres sont des causes et produisent des effets sur mon existence, je suis une cause et je produis des effets sur les autres, je vis pour eux, que cela me plaise ou non, et les autres vivent pour moi et pour tous. Et pourtant le pouvoir central de ma psychologie trouve sa colora­tion dans cette constatation que je vis pour mon moi, et pour les autres et le monde dans la seule mesure où ils sont une extension de mon moi, une chose à laquelle je suis lié dans une sorte d'unité. Je semble être une âme, un moi ou un esprit qui constamment, avec l'aide de tous, crée à partir de mon passé et de mon présent mon être futur, et je contribue aussi moi-même à l'évolution créatrice du milieu.
    Quel est-il donc, ce pouvoir en moi, indépendant et d'une importance suprême, et où commence, où finit sa création de soi ? Même s'il est indépendant du présent et du passé physiques et vitaux qui lui procurent une si grande partie de son matériau, n'a-t-il lui-même ni passé, ni avenir? Est-il quelque chose qui émerge soudain de l'Ame du Tout à ma naissance et cesse à ma mort? Son obstination à se créer lui-même, à faire quelque chose de lui-même pour lui-même, pour son propre avenir et pas seule­ment pour son présent fugitif et l'avenir de l'espèce, est-ce une préoccupation vaine, une erreur grossière et parasite ? Ce serait en contradiction avec tout ce que nous percevons de la loi d'être du monde; cela ne conférerait pas à notre vie une plus grande cohé­rence avec la structure des choses, mais y introdui­rait un élément de caprice et une incompatibilité avec le principe dominant. Il est raisonnable de pen­ser que cet élément puissant et indépendant qui sur­vient dans l'évolution physique et vitale et agit sur elle était dans le passé et sera dans l'avenir. Il est rai­sonnable aussi de supposer qu'il n'est pas entré soudainement, venu d'une existence sans rapport avec lui, pour repartir après une brève intervention; son lien étroit avec le monde est plutôt la continuation d'un lien qui remonte à un lointain passé. Et aussitôt apparaît toute la nécessité de la naissance passée et du karma. Je suis un être durable qui poursuit son évolution à l'intérieur de l'être durable du monde. J'ai fait évoluer ma vie humaine et je contribue constamment à l'évolution humaine. J'ai créé par mon karma passé mes propres conditions de vie et aussi mes relations avec la vie des autres et le karma général. C'est ce qui façonne mon hérédité, mon milieu, mes affinités, mes rapports, mon matériau, mes chances et mes obstacles, une partie de mes pouvoirs et de mes résultats, non pas arbitrairement prédestinés, mais prédéterminés par le stade auquel ma nature est parvenue et par mon action passée; et sur cette base je construis un nouveau karma et je renforce encore ou rends plus subtil mon pouvoir d'être naturel, j'élargis mon expérience, je poursuis l'évolution de mon âme. Ce processus fait partie d'une trame de l'évolution universelle et tous ses fils sont inclus dans le réseau de l'être, mais il n'en est pas seulement un point saillant, un moment, une brève touffe piquée dans le tissu. C'est ce que signifie la renaissance dans l'histoire de mon moi manifesté et de l'être universel.
    L'ancienne conception de la renaissance s'égare au contraire par un individualisme excessif. Trop concentrée sur elle-même, elle considérait exagéré­ment la renaissance de chacun et son karma comme sa propre affaire personnelle, comme un mouve­ment distinct séparé du tout; elle donnait trop d'importance au souci que chacun a de lui-même, et tout en admettant des relations universelles et une unité avec le tout, enseignait cependant à l'être humain à voir principalement dans la vie une condi­tion et un moyen de son propre bénéfice spirituel et de son salut séparé. Cette conception avait pour ori­gine une vision où l'univers était considéré comme un mouvement issu de quelque chose au-delà, de quelque chose d'où vient chaque être lorsqu'il entre dans la vie et où il retourne quand il en sort, avec l'idée obsédante que seul ce retour importe. Notre présence dans le monde, ainsi traitée, en est venue finalement à être regardée comme un épisode somme toute essentiellement déplaisant et peu honorable dans l'éternité immuable de l'Esprit. Mais c'était là une vision trop sommaire de la volonté et des voies de l'Esprit dans l'existence. Car tant que nous sommes ici, notre renaissance ou notre karma, tout en suivant leurs propres voies, sont intimement un avec les mêmes voies de l'existence universelle. Mais la connaissance et la recherche de moi-même n'abolissent pas davantage mon unité avec une autre vie et d'autres êtres. Une universalité profonde fait partie de la gloire de la perfection spirituelle. Cette idée d'universalité, d'unité non seulement avec Dieu ou le Moi éternel en moi, mais avec toute l'humanité et tous les autres êtres, croît jusqu'à devenir l'aspect le plus marquant de nos intellects, et elle doit être prise plus largement en compte dans toute concep­tion future ou toute supputation concernant la renaissance et le karma. Elle était admise dans les temps anciens : la loi bouddhiste de compassion était une reconnaissance de son importance ; mais il faut lui donner un pouvoir encore plus pénétrant dans la signification générale.
    L'Esprit se concrétisant dans le monde est la vérité sur laquelle nous nous fondons, un long et grandiose tissage de soi dans le temps. La renaissance est la continuité de cette concrétisation de soi dans l'indi­vidu, la persistance du fil ; le karma est le procédé, c'est une force, un travail d'énergie et de consé­quence dans le monde matériel, une volonté exté­rieure et intérieure, une action et une conséquence mentale, morale et dynamique dans l'évolution de l'âme, dont le monde matériel est la scène constante. Telle est la conception; le reste est une question de lois générales et particulières, de méthodes par les­quelles le karma exécute et assiste le dessein de l'Esprit dans la naissance et la vie. Et quelles que puissent être ces lois et ces méthodes, elles doivent être subordonnées à cette concrétisation de soi spiri­tuelle et en tirer tout leur sens et toute leur valeur. La loi est, pour l'Esprit, un moyen, une manière de travailler; elle n'existe ni pour elle-même ni pour ser­vir une quelconque idée abstraite. L'idée et la loi sont seulement une orientation et une route pour le progrès de l'âme dans les étapes de son existence.

 Sri Aurobindo, RENAISSANCE ET KARMA

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