Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo L'unité dans la diversité — la loi et la liberté

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

L'unité dans la diversité — la loi et la liberté



                         Pour l'homme, et pour lui seul parmi les créatures terrestres, vivre correctement implique la nécessité de connaître correctement, soit, comme le prétend le rationalisme, par l'instrument unique ou dominant de la raison, soit, d'une façon plus large et plus complexe, par la somme de ses facul­tés ; et ce qu'il doit connaître, c'est la vraie nature de l'exis­tence et comment elle se réalise constamment dans les valeurs de la vie, c'est-à-dire, en langage moins abstrait, la loi de la Nature et particulièrement de sa propre nature, ainsi que les forces qui sont en lui et autour de lui, et leur utilisation correcte en vue d'une perfection et d'un bonheur plus grands pour lui-même individuellement, ou pour lui-même et ses semblables. Selon l'antique formule, la tâche de l'homme est d'apprendre à vivre selon la Nature. Mais la Nature ne peut plus être dé­peinte à l'instar des anciens comme une règle éternellement juste dont l'homme se serait écarté, puisqu'elle est elle-même assez changeante et qu'elle progresse, évolue, s'élève de plus en plus haut et repousse de plus en plus les limites de ses propres possibilités. Cependant, en dépit de tout ce change­ment, certains principes éternels ou vérités d'être demeurent les mêmes, et c'est sur ce roc fondamental, avec cette matière première et dans ce cadre que notre progrès et notre perfec­tionnement doivent obligatoirement se dérouler. Sinon, nous aurions un chaos infini et non un monde ordonné même au milieu du choc de ses forces.
    La vie infrahumaine de l'animal et de la plante n'est pas soumise à la nécessité de la connaissance ni à son inévitable corollaire : une volonté consciente sans cesse poussée à exé­cuter ce que la connaissance perçoit. Par cette exonération, elle est sauvée d'un nombre immense d'erreurs, de déformations et de maladies, car elle évolue spontanément en accord avec la Nature ; sa connaissance et sa volonté sont celles de la Nature et donc incapables, consciemment ou subconsciemment, de dévier de ses lois et de ses commandements. L'homme, au contraire, semble posséder le pouvoir d'appliquer son mental et sa volonté à la Nature, et donc avoir la possibilité d'en gouverner les mouvements, voire même de dévier du chemin qu'elle lui trace. Mais en fait, il y a ici un artifice de langage qui fait illusion. Car la mentalité de l'homme fait aussi partie de la Nature ; sa mentalité constitue même la partie la plus importante de sa nature, sinon la plus grande. Nous pouvons dire qu'elle est la Nature devenue partiellement consciente de ses propres forces et de ses propres lois, consciente de sa lutte pour le progrès et animée de la volonté consciente d'imposer une loi de plus en plus haute à ses propres modes de vie et d'être. Dans la vie infrahumaine, la lutte est vitale et physique, et il n'y a pas de conflit mental. L'homme est soumis au con­flit mental et, par suite, il est en guerre, non seulement contre les autres mais contre lui-même ; et parce qu'il est capable de cette guerre contre lui-même, il est aussi capable de ce qui est refusé à l'animal : une évolution intérieure, une progression en des types de plus en plus hauts, un constant dépassement de soi.
Pour le moment, cette évolution s'opère par le conflit et le progrès des idées appliquées à la vie. Dans leur aspect primaire, les idées humaines sur la vie sont simplement une traduction mentale des forces et des tendances de la vie elle-même telles qu'elles émergent sous forme de besoins, de désirs et d'inté­rêts. La mentalité humaine possède une intelligence pratique plus ou moins claire et exacte qui tient compte de ces forces et de ces tendances, et elle donne à l'une ou l'autre une valeur plus ou moins grande suivant son expérience, sa préférence ou son jugement. Par sa volonté et son intelligence, l'homme ac­cepte les unes parce qu'elles aident sa croissance, rejette les autres, les décourage ou même réussit à les éliminer. Mais de ce processus élémentaire, sort une deuxième caractéris­tique plus avancée qui modifie les idées humaines sur la vie ; l'homme passe au-delà de la simple traduction mentale et du facile maniement dynamique des forces et des tendances qui ont émergé ou sont en train d'émerger en lui et dans son milieu, et il parvient à leur évaluation ordonnée. Il les étudie comme des processus et des règles fixes de la Nature et s'ef­force de comprendre leur loi et leur norme. Il essaye de déter­miner les lois de son propre mental, de sa vie et de son corps, la loi et la règle des faits et des forces autour de lui qui consti­tuent son milieu et déterminent le champ et le cadre de son action. Mais puisque nous sommes des êtres évolutifs impar­faits, cette étude des lois de la vie doit nécessairement envi­sager deux aspects : elle perçoit la règle de ce qui est et la règle de ce qui peut ou doit être — la loi de nos réalités et la loi de nos potentialités. Or, l'intelligence humaine tend toujours à affirmer les choses arbitrairement et catégoriquement, et, par suite, la loi des potentialités prend la forme d'un modèle idéal fixe ou d'un corps de principes fixes dont notre vie actuelle est une chute et une déviation lorsqu'elle s'en éloigne, un progrès et une aspiration lorsqu'elle s'en rapproche.
 La conception évolutive de la Nature et de la vie nous con­duit à une vision plus profonde. Toute la vie est la Nature s'accomplisssant elle-même, non la Nature se détruisant ou se reniant elle-même. Donc, ce qui est, autant que ce qui peut être, est l'expression des mêmes faits permanents de l'existence et des mêmes forces ou pouvoirs de notre Nature, dont nous ne pouvons pas et ne sommes pas censés pouvoir nous échap­per. Mais nous pouvons — et c'est notre destin — élever, changer, élargir les formes, les combinaisons et les valeurs de ces forces et de ces faits permanents de notre nature et de notre existence ; et avec le cours de notre progrès, ce changement ou ce perfectionnement peuvent se traduire par ce qui semble être une transformation radicale, bien que rien d'essen­tiel n'ait été modifié. Nos réalités sont la forme, la valeur ou le pouvoir d'expression auxquels notre nature et notre vie présentes ont atteint ; la norme ou la loi de nos réalités sont l'organisation et le processus établis particuliers à ce stade de l'évolution. Nos potentialités nous orientent vers une forme, une valeur, un pouvoir d'expression nouveaux, une organisa­tion et un processus nouveaux appropriés qui représentent leur loi et leur norme propres. Ainsi situé entre le réel et le possible, notre intellect tend à prendre la loi et la forme pré­sentes pour la loi éternelle de notre nature et de notre exis­tence, et à regarder tout changement comme une déviation et une chute ; ou, au contraire, à prendre quelque loi et quelque forme futures et potentielles pour notre règle idéale de vie, et tout ce qui s'en écarte actuellement, pour une erreur ou un péché de notre nature. En réalité, cela seul est éternel qui reste constant à travers tous les changements, et notre idéal ne peut être au mieux qu'une expression progressive de cette constante éternelle. Seul, donc, pourrait être considéré comme idéal éternel, l'extrême limite en hauteur, en ampleur et en plénitude, de l'expression possible à l'homme, si tant est que cette limite existât et que nous la connussions ; mais nous ne connaissons même pas encore nos possibilités extrêmes.
 Quels que soient les idées et les idéaux que le mental humain extraie de la vie ou essaye d'appliquer à la vie, ils ne peuvent être autre chose que l'expression de cette vie elle-même et de son effort pour découvrir de plus en plus sa propre loi, pour la fixer de plus en plus haut et réaliser de plus en plus ses potentialités. Notre mentalité constitue le stade conscient du mouvement de la Nature dans son effort de réalisation et d'ac­complissement progressifs des valeurs et des potentialités de son humaine manière de vivre. Si cette mentalité était parfaite, sa connaissance et sa volonté ne feraient qu'une avec la totalité de la Connaissance et de la Volonté secrètes que la Nature essaye d'amener à la surface, et il n'y aurait pas de conflit mental. Nous serions alors capables de nous identifier à son mouvement, de connaître son but et de suivre intelligem­ment sa marche ; nous comprendrions la vérité sur laquelle la Guîtâ insistait tant, à savoir que seule la Nature agit et que les mouvements de notre mental et de notre vie sont seulement l'action de ses modes. C'est ce que fait vitalement, instinctive­ment et mécaniquement, la vie infrahumaine ; elle évolue selon la Nature, dans les limites de son type, et elle est exempte de conflit interne, bien qu'elle ne soit pas exempte de conflit avec d'autres vies. Une vie suprahumaine atteindrait consciemment à cette perfection ; elle ferait siennes la Connaissance et la Vo­lonté secrètes dans les choses, et son accomplissement suivrait le libre mouvement spontané et harmonieux de la Nature, sans hâte et sans trêve, vers le développement complet qui est son but inhérent et donc prédestiné. En fait, parce que notre men­talité est imparfaite, nous saisissons seulement quelques aper­çus des tendances et des fins de la Nature, et chaque aperçu, nous l'érigeons en principe absolu, en théorie idéale de notre vie et de notre conduite ; nous ne voyons qu'un côté du pro­cédé de la Nature et nous le poussons en avant comme le système complet et parfait qui doit gouverner l'organisation de notre vie. Travaillant par l'entremise de la mentalité imparfaite de l'individu et de celle plus imparfaite encore de la collecti­vité, la Nature dresse les faits et les pouvoirs de notre existence les uns contre les autres comme des principes et des forces opposés auxquels nous nous attachons par notre intellect et nos émotions ; elle favorise ou décourage tantôt l'un, tantôt l'autre, et par la lutte et le conflit, les conduit à une connais­sance mutuelle dans le mental de l'homme et au sens de leur commune nécessité, à une relation de plus en plus juste et à une synthèse de leurs potentialités, qui dans l'élastique potentialité de la vie humaine, se traduit par une harmonie et une combinaison grandissante des pouvoirs réalisés.


Sri Aurobindo, L'idéal de l'unité humaine (Madras, 1919)
CHAPITRE XVII, La loi de la Nature dans notre progrès : l'unité dans la diversité — la loi et la liberté


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