Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo LES VOIES SUPÉRIEURES DE LA VÉRITÉ

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

LES VOIES SUPÉRIEURES DE LA VÉRITÉ



Nulle erreur ne peut être plus grande que de supposer, sur la foi de cet absolutisme tenace de l' être éthique, que l'éthique est la seule ou la suprême exigence de l'Infini à notre égard ou la seule loi, égard , la seule voie du karma supérieur, et qu' en comparaison rien d'autre n'a d'importance. Le penseur allemand se méprend singulièrement lorsqu'il affirme que pèse sur l'homme un impératif catégorique qui le pousse à rechercher ce qui est juste et bien, qu'il existe une loi obstinée de bonne conduite, mais qu'aucun impératif catégorique de l’Âme suprême ne le contraint à rechercher le beau ou le vrai, qu'il n'existe pas de loi de beauté et d'harmonie justes, de juste connaissance. Cette déduction erronée découle de l'attention excessive qu'il porte au mouvement intermédiaire du mental humain et à un aspect isolé de ce phénomène complexe. Plus sage était la vision des penseurs indiens qui, tout en concédant la nécessité primordiale d'un être et d'une conduite éthiquement correcte, considéraient cependant que la connaissance était, en dernière analyse, la plus grande exigence, la condition indispensable ; et bien plus proche d'une vision complète l'expérience plus vaste qui était la leur : l'âme se tourne vers le Suprême soit par un élan vers la connaissance absolue, soit par une pure impersonnalité de la volonté, soit par une extase d'amour divin et de béatitude absolue, soit même par une concentration absorbante de l'être psychique, vital et physique; et à chaque partie de notre moi, de notre nature ou de notre conscience peut s'adresser un appel du Divin et une attraction irrésistible. En vérité, un soulèvement du tout, un impératif posé par le Divin sur tous les éléments de notre être, tel est l'élan qui élargit le moi jusqu'à la possession complète et assimilatrice de Dieu, de la liberté et de l' immortalité, et c'est cela, par conséquent, qui est la loi la plus haute de notre nature.
      Le mouvement fondamental de la vie ignore tout d'un absolutisme éthique opiniâtre; son seul impératif catégorique est l'impératif de la Nature elle-même qui force chaque être à s'affirmer dans la vie comme il le doit ou de son mieux, selon son propre moi inné et sa propre manière d'exprimer le swabhâva de la Nature. Dans le mouvement intermédiaire de la vie formé par le mental, il y a en réalité un instinct moral qui se transforme en un sens moral ou une idée morale — idée qui n'est pas complète, car de larges secteurs de la conduite comportent une lacune ou une inconscience du sens moral, une satisfaction complète des désirs aux dépens des autres êtres, et qui n'est pas impérative puisqu'elle est aisément attaquée et destituée par la loi antérieurement imposée de l'être vital dont la domination est plus naturelle. L'obéissance la plus rigoureuse est la règle de conduite collective ou sociale imprimée dans le mental de l'homme naturel et égoïste par la loi et la tradition, jus, mores, et hors de ce cercle conventionnel il se permet une latitude facile. La raison généralise l'idée d'une loi morale comportant pour l'homme l'obligation d'écouter et d'obéir, à laquelle il peut cependant se soustraire devant tel péril extérieur ou intérieur, et elle préconise d'abord et avant tout une loi morale, l'obligation de se contrôler, la justice, la rectitude, la bonne conduite, plutôt qu'une loi de Vérité, de beauté et d'harmonie, d'amour, de maîtrise, parce que la réglementation des désirs, des instincts, de l'action extérieure de l'homme est sa préoccupation immédiate et nécessaire, qu'il doit trouver ici son équilibre, un ordre établi et autorisé à aller, avant de commencer à aller, en sécurité, vers son être intérieur et à se développer davantage dans cette direction. C'est le mental idéal qui introduit ce sens moral superficiel, cette obligation relative, cette intuition d'un impératif éthique intérieur et absolu, et s'il tend à donner à l'éthique la première place et la plus importante, et dans le mental de certains toute la place, c'est encore parce que la priorité d'action qui longtemps lui a été accordée dans l'évolution du mental sur terre entraîne l'homme à appliquer d'abord son idéalisme à l'action et à ses relations avec d'autres êtres. Mais de même qu'il y a, dans le mental, l'instinct moral qui cherche le bien, il y a aussi dans l'homme l'instinct esthétique, l'instinct émotionnel, l'instinct dynamique et celui qui cherche la connaissance; la raison en développement se préoccupe autant d'évoluer dans toutes ces directions que vers l'éthique, et de trouver leur vraie loi : car la vérité, la beauté, l'amour, la force et le pouvoir sont après tout aussi nécessaires à la vraie croissance du mental et de la vie, et même à la plénitude de l'action, que la rectitude, la pureté et la justice. Lorsque l'homme parvient au plan idéal élevé, ces mobiles aussi deviennent, tout autant que l'éthique, non plus une recherche et une nécessité dont la nature et l'importance sont relatives, mais une loi et un appel vers la perfection spirituelle, un impératif divin intérieur et absolu.
      Le mental supérieur de l'homme ne recherche pas seulement le bien, mais aussi la vérité, mais aussi la connaissance. L'homme a, autant qu'un être éthique, un être intellectuel, et l'impulsion qui meut celui-ci, la volonté de savoir, la soif de vérité n'est pas moins divine dans son orientation vers les hauteurs que la volonté de bien, pas moins divine non plus dans ses premières œuvres : elle est même davantage une nécessité de la croissance de notre conscience et de notre être, de l'ordonnance correcte de notre action, elle n'est pas moins un besoin impératif imposé à l'homme par la volonté de l'esprit dans l'univers. Et dans la poursuite de la connaissance, nous voyons les mêmes voies et les mêmes étapes de l'évolution de l'énergie que dans la poursuite du bien. D'abord, à la base une conscience de vie cherche simplement  son moi, devient de plus en plus avertie de ses propres mouvements, de ses actions et de ses réactions, de son milieu, de ses habitudes, de ses lois fixes, gagne du terrain, s'élargit et apprend de plus en plus à profiter de son expérience d'elle-même.  C'est là, en vérité, le dessein fondamental de la conscience et l'utilité de l'intelligence, et l'intelligence, avec la volonté pensante en elle, est la faculté maîtresse de l'homme; elle soutient, embrasse son changement, change avec lui, s'élargit à mesure qu'il s'élargit et progressivement perfectionne toutes ses autres facultés. Le mental, dans son action première, poursuit la connaissance avec une certaine curiosité, mais l'applique principalement à l'expérience pratique, y cherche une aide qui lui permette de mieux satisfaire les premiers besoins de la vie et d'en accroître plus sûrement les objectifs. Ensuite il élabore une utilisation plus libre de l'intelligence, mais il reste encore orienté vers les buts du vital. Et nous pouvons observer qu'en tant que pouvoir de rétribution dans la vie, l'énergie du monde semble attacher Une importance or-tance plus directe, fournir des résultats plus tangibles à la connaissance, aux fonctionnements pratiques corrects de l'intelligence, qu'à une conduite morale correcte. Dans ce monde matériel, on peut au moins se demander jusqu'à quel point le bien moral est payé de retour par le bien vital et le mal moral puni par un recul, mais il est certain que nous payons très couramment le prix de nos erreurs, de la stupidité, de l'ignorance de la manière correcte d'agir, de toute méconnaissance ou mauvaise application des lois qui régissent notre être psychique, vital et physique ; il est certain que la connaissance, est, dans la vie, un pouvoir d'efficacité et de succès. L'intelligence paie son péage dans le monde matériel, se protège elle-même de la souffrance  vitale et physique, s'assure les récompenses vitales plus sûrement que la rectitude moral et l'intention éthique.
Mais le mental supérieur de l'humanité ne se satisfait pas plus de considérer comme le dernier mot de la recherche de l'intelligence son usage utilitaire de la connaissance qu'il ne se satisfait d'une tendance et d'une exigence vitaliste et utilitaire de l'être éthique. Dans l'être intellectuel de l'homme comme dans l'être éthique émerge un besoin de connaissance qui n'est plus fonction de l'utilité dans la vie, de la nécessité de connaître correctement pour agir correctement, pour manier le monde alentour avec succès et intelligence, mais qui est un besoin de l'âme, une exigence impérative de l'être intérieur. Le vrai Dharma, le Dharma intrinsèque de l'intellect, c'est la recherche de la connaissance pour elle-même et non pas principalement ni même nécessairement pour acquérir ou élargir les techniques de la vie et du succès dans l'action. L'homme vital en mouvement tend, en réalité, à considérer cette passion de l'intellect comme une curiosité respectable certes, mais plutôt peu pratique et souvent futile : il apprécie l'éthique pour ses effets sociaux ou pour les récompenses qu'elle procure dans la vie; de même, il apprécie la science pour son utilité extérieure : la science est grande à ses yeux par ses inventions qui augmentent le confort au moyen d'appareils., sa norme est, en toutes choses, l'efficacité vitale. Mais en fait la Nature voit dès le départ une Volonté plus large et plus profonde à laquelle elle s'éveille, elle est mue par un plus grand dessein ; chaque recherche de la connaissance jaillit d'une nécessité de l'âme qui est ici dans la nature. Son besoin de savoir fait un avec son besoin de grandir et, depuis la curiosité vide de l'enfant jusqu'à la tension mentale sévère du penseur, de l'érudit, du savant, du philosophe, le dessein fondamental de la Nature, sa constante, est le même. Alors qu'à tout moment elle ne semble préoccupée que de la perpétuation de ses œuvres, que de la vie, que de l'extérieur, son propos secret, sous-jacent, est autre : c'est l'évolution de ce qui est caché en elle; car si son premier mot dynamique est vie, son mot plus grand et révélateur est conscience ; l'évolution de la vie et de l'action ne sont que les moyens de l'évolution de la conscience involuée dans la vie, de l'âme emprisonnée, du Jîva. L'action est un moyen, mais la connaissance est le signe, et la croissance de l'âme consciente est le but. L'utilisation par l'homme de l'intelligence comme outil de poursuite de la connaissance est par conséquent ce qui le distingue le plus des autres êtres et lui donne sa place particulière et élevée dans l'échelle de l'existence. Sa passion de la connaissance, d'abord connaissance du monde, mais ensuite connaissance de lui-même, puis connaissance où toutes deux se rejoignent et trouvent leur commun secret qui est la connaissance de Dieu, tel est le courant central de son mental idéal et son impératif est plus grand pour son être que celui de l'action, même si, plus tard, lorsque cette passion s'empare complètement de lui, elle élargit son domaine, accroît son efficacité dans l'action, augmente ce que restitue l'énergie du monde aux pouvoirs de la vérité en lui.
  C'est dans le troisième mouvement du mental supérieur, quand il se prépare à se dégager la tête radieuse de son effort de la sujétion au mobile vital, que cet impératif de la nature, ce besoin intrinsèque qui suscite dans le mental de l'homme l'impulsion vers la connaissance, devient quelque chose de plus grand, devient alors de plus en plus clairement l'impératif idéal et absolu de l'âme émergeant des coques et des gaines de l'ignorance et se poussant vers la vérité, vers la lumière, condition de son accomplissement et appel véritable du Divin à son être. Le leurre d'une utilité extérieure cesse tout à fait d'être un stimulant nécessaire de la connaissance, tout comme l'appât d'une récompense vitale offerte maintenant ou plus tard cesse, au même niveau élevé de notre ascension, d'être un stimulant nécessaire de la vertu ; y attacher de l'importance, quelle qu'en soit la nuance spécieuse, est même ressenti comme une dégradation du désintéressement, une chute de la haute pureté du mobile de l'âme. Déjà, même dans les formes plus extérieures de la recherche intellectuelle, quelque chose de cet absolu commence à être ressenti et à régner. L'homme de science poursuit son effort de découverte afin de connaître la loi et la vérité du processus de l'univers, et les applications pratiques ne sont qu'un mobile secondaire pour son mental curieux; elles ne mobilisent en rien l'intelligence scientifique supérieure. Le philosophe est entraîné de l'intérieur à rechercher la vérité ultime des choses pour la seule Vérité elle-même, et tout le reste, sauf cette vision de la face même de la Vérité, devient pour lui, pour son mental absorbé et son âme de connaissance, secondaire et sans importance; rien ne peut être admis à s'immiscer dans cet impératif unique. Et cet absolu tend à être tout aussi exclusif dans son intérêt et ses méthodes. Le penseur se préoccupe de rechercher la vérité et de l'appliquer à lui-même et au monde, sans considération des effets qu'elle peut entraîner en bouleversant les bases établies de la vie, de la religion, de l'éthique, de la société, sans égard à aucune autre considération quelle qu'elle soit; il doit exprimer la parole de Vérité quelles qu'en soient les conséquences dynamiques sur la vie. Et cet absolu devient plus absolu encore, cet impératif tout à fait impératif, quand l'action intérieure dépasse la froide vigueur de la recherche intellectuelle et devient un combat féroce pour l'expérience de vérité, une vie intérieure dans la vérité lumineuse, une naissance dans une nouvelle conscience de vérité. L'amoureux de la lumière, le sage, le yogi de la connaissance, le voyant, le Rishi vivent pour la connaissance et dans la connaissance, parce que c'est l'absolu de la lumière et de la vérité qu'ils cherchent passionnément, et son appel est pour eux unique et absolu.
  C'est aussi, en même temps, une voie de l'énergie du monde; car la Shakti du monde est une Shakti de conscience et de connaissance, et pas seulement un Pouvoir de force et d'action; et l'émission de l'énergie de connaissance entraîne des résultats aussi sûrement que l'énergie de vie, lorsqu'elle cherche la réussite dans l'action ou la conduite éthiquement correcte. Mais le résultat qu'elle apporte sur ce plan plus élevé de la recherche dans le mental est purement et simplement la croissance de l'âme vers le haut, dans la lumière et la vérité; cela, et tout le bonheur qui en découle, est l'unique et suprême récompense exigée par l'âme de connaissance, et son seul châtiment douloureux est l'obscurcissement de la lumière intérieure, la souffrance de la chute loin de la vérité, la souffrance de l'imperfection de ne pas vivre uniquement selon sa loi et entièrement dans la lumière. Les récompenses extérieures et les souffrances de la vie sont peu de chose pour l'âme supérieure de connaissance dans l'homme : son haut mental de connaissance fera même souvent face à tout ce que le monde peut tenter pour l'affliger, tout comme il est prêt à toutes sortes de sacrifices dans la poursuite et l'affirmation de la vérité qu'il connaît et pour laquelle il vit. Bruno est livré aux flammes romaines, les martyrs de toutes les religions souffrent et, témoins de la lumière en eux, accueillent avec joie les tortures et les persécutions, Bouddha quitte tout pour découvrir la sombre cause de la souffrance universelle dans ce monde de l'impermanence et trouver le chemin de l'évasion vers la Permanence suprême, l'ascète rejette comme une illusion la vie dans le monde et ses activités, ses joies, ses attraits, avec la seule volonté de pénétrer dans la vérité absolue et la conscience suprême; tous portent témoignage de cet impératif de la connaissance, en donnent des exemples extrêmes et d'extrêmes démonstrations.
    L'intention de la Nature, la justification spirituelle de ses manières d'agir apparaît finalement dans cette tendance de ses énergies qui conduit l'âme consciente le long des voies de la vérité et de la connaissance. Elle est d'abord Nature physique construisant fermement son domaine sur une base établie de vérité et de loi, mais déterminée par une connaissance subconsciente qu'elle ne partage pas encore avec ses créatures. Puis elle est la Vie qui devient lentement consciente d'elle-même, cherchant la connaissance pour pouvoir se mouvoir visiblement en ses créatures selon ses voies et accroître du même coup la complexité et l'efficacité de ses mouvements, mais élaborant lentement aussi la conscience que la connaissance doit être recherchée dans un but plus élevé et plus pur, pour la vérité, pour la satisfaction de l'âme de connaissance, comme l'expression de cette âme dans la vie, comme sa découverte spirituelle de soi. Et enfin c'est cette âme elle-même, grandissant dans la vérité et la lumière, grandissant jusqu'à cette vérité absolue d'elle-même qui est sa perfection, qui devient la loi et le but élevé de ses énergies. Et à chaque étape la Nature rétribue conformément au degré de développement de l'objectif et de la conscience de l'être. D'abord elle donne en retour l'habileté et l'intelligence efficace, et ses propres nécessités expliquent suffisamment pourquoi elle distribue les récompenses de la vie non pas, comme le voudrait le mental éthique, à l'homme juste, non pas principalement à l'homme moralement bon, mais à l'habile et au fort, à la volonté, à la puissance, à l'intelligence; puis, de plus en plus clairement libérée, elle donne l'illumination et la satisfaction du mental et de l'âme en rétribution de l'usage conscient et de la sage direction de ses pouvoirs et de ses capacités et, en dernier lieu, seule rétribution suprême, elle donne l'accroissement de l'âme en lumière, la satisfaction de sa perfection dans la connaissance, sa naissance dans la plus haute conscience et le pur accomplissement de son impératif inné. C'est cette croissance dont la récompense suprême est une naissance divine, un dépassement de soi spirituel, qui pour le mental de l'Orient a toujours été la plus grande conquête : la croissance hors de l'ignorance humaine jusqu'à la divine connaissance de soi.

Sri Aurobindo, Renaissance et karma , Arya 1915-1920

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