Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: janvier 2016

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

Napoléon et la Révolution française



On a traité Napoléon de tyran et d'impérial coupeur de gorges; mais j'ai vu Dieu en armes qui chevauchait l'Europe.
Sri Aurobindo, Pensées et Aphorismes

Napoléon reprit en lui-même les fonctions des autres. De même que Mirabeau instaura la destruction Napoléon instaura la construction et l'organisation dans un esprit paradoxal identique. Il fut le Rakshasa, l'égoïste le plus gigantesque de l'histoire, le despote de la liberté le protecteur impérial de l'égalité, l'organisateur sans principe des grands principes. Comme Danton, il façonna pour un temps les événements par ses pensées et son caractère. Du vivant de Danton, la politique s'orientait vers une démocratie sans retenue, la guerre vers un héroïsme de la défense patriotique. Du moment où il disparut, l'esprit de Napoléon façonna les évènements et la politique s'orienta vers la domination d'abord du dictateur civil, puis du dictateur militaire, la guerre vers l'organisation de la conquête républicaine. Comme Robespierre, il fut la main exécutrice de la destruction; contrairement à Robespierre, il fut la main de la construction. La furie de Kâli devint chez lui égocentrique, capable, pleine de pensées et d'acti­vités organisées mais néanmoins impétueuse, colossale, violente, dévastatrice.


Toutes sortes de critiques ont fait du nom de Napoléon le champ de bataille de leurs préjugés, et les hommes, suivant leurs prédilections, leurs parti­cularités et leurs opinions politiques, ont tour à tour aimé ou haï, porté aux nues ou décrié le Corse. Blâmer Napoléon revient à critiquer le Mont-Blanc ou à couvrir de boue le Kanchenjunga[1]. Il s'agit d'un phénomène qu'il faut connaître et comprendre, et non pas blâmer ou louer. Nous devons admirer, mais en intellectuels et non en moralistes. Ses panégyristes et ses critiques n'ont pas suffisamment perçu que Bonaparte n'était absolument pas un homme : c'était une force. Seule la nature de cette force doit entrer en ligne de compte. Il existe des hommes qui sont à l'évidence surhumains, de grands esprits qui ne font que se servir du corps humain. L'Europe les appelle des surhommes, nous les nommons des Vibhutis. Ce sont des manifestations de la Nature, du pouvoir divin qu'un esprit délégué à cette fin préside, et cet esprit est une émanation du Tout-Puissant qui accepte la force et la faiblesse humaines mais qui n'y est pas pour autant assujetti. Ils sont au-dessus de la moralité et habituellement sans conscience, agissant selon leur nature propre. Car ce ne sont pas des hommes qui se développent en s'élevant de l'animal vers le divin et qui luttent contre leur nature inférieure, mais des êtres déjà accomplis et satisfaits d'eux-mêmes. Même les plus saints d'entre eux n'ont que mépris pour les lois et les coutumes ordinaires et les enfreignent aisément et sans remords, comme le fit le Christ en plus d'une occasion, buvant du vin, transgressant le sabbath, fréquentant les publicains et les prostituées; comme le fit Bouddha lorsqu'il abandonna les devoirs qu'il s'était donnés en tant qu'époux, citoyen et père; comme le fit Shankara lorsqu'il viola la loi sacrée, foula aux pieds la coutume et l'acara afin de contenter sa mère défunte. Notre littérature les décrit comme des Dieux, des Siddhas, des Titans ou des Géants. Valmiki dépeint Ravana comme un géant à dix têtes, mais il est facile de voir que c'est là seulement la vision qu'il avait de lui dans le monde de l'imaginaire, le « plan astral », et que dans la terminologie humaine, il s'agissait d'un Vibhuti ou d'un surhomme, un être du même ordre que Napoléon.
 

Le Rakshasa est l'individualiste suprême et métho­dique qui croit que la vie est faite pour qu'il puisse s'accomplir et s'affirmer en toute liberté. Elément nécessaire à l'humanité, il est particulièrement utile dans les révolutions. En tant que type à l'état pur dans l'homme, il appartient généralement au passé; il apparaît de nos jours mêlé à d'autres éléments. Mais Napoléon était un pur Rakshasa, colossal dans sa force et dans son accomplissement. Il vint au monde avec un formidable appétit de pouvoir et de possession, et comme Ravana, il tenta d'engloutir la terre entière pour rassasier sa faim surnaturelle. Il faisait sien tout ce qui croisait sa route, idées, hommes, femmes, renommée, honneurs, armées, royaumes, et usait sans scrupules de son droit de possession. Sa nature était son droit, son besoin sa justification. Cette attitude peut se résumer en ces quelques mots : « Les autres n'ont sans doute pas le droit de faire ces choses-là, mais moi, je suis Napoléon ».



Le Rakshasa n'est pas un altruiste. Si en se donnant satisfaction, il peut satisfaire les autres, il est comblé; mais il n'en fait pas son mobile. S'il doit piétiner les autres pour avoir satisfaction, il le fait sans componc­tion. N'est-il pas l'homme fort, le dirigeant efficace, le puissant? Le Rakshasa a le kama [désir], il n'a aucun prema [amour]. Napoléon ignorait ce qu'était l'amour; il avait seulement la gentillesse qui va de pair avec la possession. Il aimait Joséphine parce qu'elle satisfaisait sa nature, la France parce qu'il la possédait, sa mère parce qu'elle était sienne et lui convenait, ses soldats parce qu'ils étaient nécessaires à sa gloire. Mais son amour n'allait pas au-delà du besoin qu'il avait d'eux. Il se satisfaisait mais ne s'abandonnait nullement. Le Rakshasa terrasse tout ce qui s'oppose à lui et est insensible à l'étendue du carnage. Mais il n'est jamais cruel. Napoléon n'avait rien d'un Néron, mais il sacrifiait sans sourciller des armées entières comme autant d'holocaustes sur l'autel de sa gloire; il fusilla Hofer [2] et assassina Enghien[3]. Qu'y a-t-il donc chez le Rakshasa qui le rende nécessaire ? Il est l'individualité, il est la force, il est la capacité; il est le second pouvoir de Dieu, la colère, la puissance, la grandeur, l'impétuosité débordante, le courage arrogant, l'avalanche, le tonnerre, il est Balaram [4], il est Jéhovah, il est Rudra. A ce titre nous pouvons l'admirer et l'étudier.



Mais, bien que trouvant satisfaction et plaisir personnels sur sa route, le Vibhuti ne vient jamais pour sa satisfaction et son plaisir. Il vient pour un travail; pour aider l'homme sur son chemin, le monde dans son évolution. Napoléon fut l'un des Vibhutis les plus puissants, les plus marquants. Certains d'entre eux retiennent, refoulent la force qui est dans leur personnalité afin de l'investir tout entière dans leur oeuvre. Shakespeare, Washington, Victor Emmanuel furent de ceux-là. Il en est d'autres comme Alexandre, César, Napoléon, Goethe, qui sont manifestement aussi surhumains dans leur per­sonnalité que dans l'œuvre qu'ils accomplissent. En matière d'aptitudes pratiques, Napoléon fut le plus grand de tous les modernes. Par ses aptitudes sinon par son caractère, il ressemble à Bhisma du Maha­bharata. Son sens de la guerre, de la politique, du gouvernement, de la législation, de la société est pareillement souverain, irrésistible, conquérant; tout comme son maniement magistral des masses, et sa capacité stupéfiante à se gorger de détails. Il avait le cerveau de fer que rien ne fatigue, la mémoire infaillible qui ne laisse rien s'égarer, la claire pers­picacité qui met chaque chose à sa place avec une exactitude spontanée. C'était comme si un homme devait porter Caucase sur ses épaules et, sous ce fardeau, gagner de vitesse un train express, tout en notant et prévoyant chaque pas sans jamais chanceler. Démontrer qu'un corps humain recèle en lui de quoi être capable d'un tel travail est en soi un service rendu à notre progrès dont nous ne serons jamais assez reconnaissants à Napoléon. 


Sri Aurobindo
L'Heure de Dieu et autres écrits - La révolution française -



[1] Kanchenjunga : Un des plus hauts sommets de l'Himalaya.
[2] Hofer : Héros national du Tyrol. Il fut livré par trahison à des troupes italiennes qui le conduisirent à Mantoue où Napoléon le fit fusiller (1810).
[3] Enghien : Le Duc d'Enghien servit dans l'Armée des Emigrés jusqu'en 1801. En 1804, Napoléon le fit enlever en Allemagne et, après un jugement sommaire, fusiller au Château de Vincennes.
[4] Balaram : Barra Râma ou Baladeva, frère de Krishna et, comme lui, incarnation de Vishnou. Habile à manier la massue, il rappelle par ses exploits l'Héraclès grec.

Robespierre et la Révolution française


On n'a pas de peine à parler du génie de Mirabeau, du génie de Danton; il est superflu de parler du génie de Napoléon. Mais on a peine à parler du génie de Robespierre. Il était dépourvu de génie; son intelli­gence était aiguisée et compétente mais sans inspi­ration; sa personnalité ne parvient pas à faire impres­sion. Qu'est-ce donc qui lui donna son immense force et son influence ? C'était la croyance qui se trouvait chez cet homme, sa foi. Il croyait en la Révolution, il croyait en certaines idées, il croyait en lui-même en tant que leur porte-parole et leur exécuteur; il en arriva à croire que sa mission était d'abattre les ennemis de ces idées et d'y mettre un point final. Et quel que fût l'objet de sa croyance, il croyait sans réserve, inébranlablement, invinciblement et le pour­suivait avec une fidélité rigide. Mirabeau, Danton, Napoléon, étaient tous capables de découragement durable, pouvaient reconnaître qu'ils étaient battus, que l'heure était inopportune, le destin hostile : Robes­pierre, non. Il pouvait se replier, cacher sa tête par peur, mais c'était seulement pour s'élancer à nouveau, pour se préserver en vue de la prochaine occasion. Il possédait une formidable force de sraddha [foi]. Seuls des hommes comme lui, profondément consciencieux et armés de principes, peuvent tuer sans pitié, sans scrupules, sans repos, sans se détourner. La Yatudhani S'empara de lui pour ses fins. L'avocat scrupuleux qui refusa les fonctions de juge plutôt que de sacrifier ses principes en condamnant à mort un criminel, devint le plus colossal bourreau politique de son temps ou de tous les temps. Comme nous l'avons dit, si Danton était le caractère de la Révolution personnifié lors­qu'elle se lança dans le carnage, Robespierre en était sa main. Mais, naturellement, il ne pouvait pas reconnaître cette limitation; il aspirait à penser, à  construire, à gouverner, fonctions pour lesquelles il était inapte. Quand Danton demanda que cesse la Terreur et que la clémence la remplace Robespierre aurait dû entendre dans cette demande la voix de la Révolution le sommant d'arrêter sa marche sanguinaire. Mais sa propre foi le remplissait et l'aveuglait et il ne voulut pas entendre. Danton mourut parce qu'il résistait à la main de Kâli, mais son puissant esprit désincarné triompha et imposa sa dernière pensée au pays. La Terreur cessa, la clémence prit sa place. Robespierre, cependant, a sa place d'honneur dans l'Histoire; parmi les quatre, il fut l'homme de conscience et de principes l'homme qui jamais ne se détourna de la voix qu'il pensait être celle de la vertu. 
Sri Aurobindo
L'Heure de Dieu et autres écrits - La révolution française -

Danton et la Révolution française



Il est des moments où une unique personnalité rassemble en elle le tempérament d'une époque et d'un mouvement, et par le simple fait d'exister en assure l'aboutissement. Il serait difficile de passer en revue les services précis qui rendirent l'existence de Danton nécessaire au succès de la Révolution. Cer­taines choses qu'il fit, et que personne d'autre n'aurait pu faire, forcèrent la destinée; certaines choses qu'il dit enivrèrent la France de résolution et de courage. Ces mots, ces actes résonnent à travers les âges. Ils sont si vivants, si immortels qu'ils peuvent défier les cataclysmes mêmes et se veulent au-dessus de l'oubli éternel. Ils sont pleins de la toute-puissance et de l'immortalité de l'âme humaine, pleins de sa souve­raineté sur le destin. On sent qu'ils se reproduiront dans des éons non encore nés, dans des mondes non encore créés. Le pouvoir dont ils jaillirent s'est rare­ment exprimé en actes, et seulement à des moments exceptionnels. L'énergie de Danton était en sommeil, indolente, s'éparpillant en une éloquence stupéfiante, se contentant de sentiments et de mots. Mais chaque fois qu'elle se réveillait, elle bouleversait les événe­ments et précipitait dans la conscience de la nation française le choc d'une force élémentaire et primitive. Tandis qu'il vivait, se déplaçait, parlait, ressentait, agissait, l'énergie qu'il n'utilisait pas lui-même se transmettait à des millions d'hommes; les pensées qu'il n'exprimait pas s'emparaient d'esprits qui les faisaient leurs; les actions qu'il aurait peut-être mieux accomplies lui-même, l'étaient de moins bonne façon par d'autres. Danton était comblé. Superbe et osten­tateur, il était singulièrement dénué d'ambition personnelle. Il était satisfait de voir la Révolution triompher grâce à a sa force, mais dans les actes des autres. Sa chute retira la force de la Terreur victorieuse qui animait la France, son impulsion à détruire et à vaincre. Pendant une courte période l'élan acquis se prolongea, puis vacilla et s'arrêta. Tout grand flot d'action a besoin d'une âme humaine pour centre, un point incarné de la Personnalité Universelle, à partir duquel elle puisse déferler sur les autres. Danton fut ce point, ce centre. Ses pensées, ses sentiments, ses impulsions de chaque jour donnèrent un équilibre à cette furie tumultueuse, une fixité à ce chaos lourd de sens. Il fut le caractère de la Révolution personnifié son cœur, tandis que Robespierre fut seulement sa main. L'Histoire qui, étant européenne, met beaucoup l'accent sur les événements, un peu sur la parole, mais n'a jamais pris en considération l'importance des âmes, ne peut apprécier des hommes comme Danton. Seul l'œil du voyant peut les discerner au milieu de la masse et remonter jusqu'à leur source le cours de ces immenses vibrations. 
Sri Aurobindo
L'Heure de Dieu et autres écrits - La révolution française -

Mirabeau et la Révolution française



Mirabeau dirigea le crépuscule du matin, le sandhya [crépuscule] de l'âge nouveau. Tribun aristocrate du peuple, champion des principes mais lui-même sans principe, démocrate grand seigneur — homme chez qui la réflexion était turbulente, la prudence elle-même hardie, sans défaillance et téméraire —, il était le point de rencontre de deux époques. Il avait les passions du passé, mais non sa réserve raffinée; la turbulence, le génie, l'impétuosité de l'avenir mais non son attachement pondérateur aux idées. Il existe un honneur de l'aristocrate qui a ses racines dans la bienséance et respecte le caractère sacré de ses propres traditions; c'est l'honneur du conservateur. Il existe un honneur du démocrate qui a ses racines dans les idées et respecte le caractère sacré de ses propres principes; c'est l'honneur du libéral. Mirabeau n'avait ni l'un ni l'autre. Il était le pur égoïste, l'éternel Rakshasa. Ce n'est pas par égard pour la justice et la liberté qu'il aima la justice et la liberté, mais par égard pour Mirabeau. Sa carrière eût-elle été heureuse et les formes de l'Ancien Régime assez larges pour satisfaire ses ambitions et ses passions, le soulèvement de 1789 l'aurait peut-être trouvé de l'autre bord. Mais parce que le coeur et les sens de Mirabeau étaient insatisfaits, la Révolution française triompha. C'est ainsi que Dieu prépare l'homme et le moment, se servant du bien et du mal, avec une impartialité divine, pour Ses fins grandioses. Sans l'homme le moment est une occasion perdue; sans le moment l'homme est une force inopérante. L'union des deux change les destinées des nations et l'équilibre du monde est modifié par ce qui semble un accident pour les esprits superficiels. 
 

Sri Aurobindo
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