La poussée des forces vers une organisation mondiale internationale
aboutissant éventuellement à une unification lointaine (qui commence tout juste
maintenant à se faire jour sous forme d'idée ou d'aspiration, bien que les
causes qui l'aient rendue inévitable soient à l'œuvre depuis un certain temps),
est imposée par les circonstances extérieures, par là pression des besoins et
du milieu. Simultanément, aidé et stimulé par ces circonstances extérieures,
s'est éveillé un sentiment cosmopolite, international, encore assez nébuleux
et vaguement idéal, qui peut accélérer la formation d'une union formelle. À lui
seul, ce sentiment serait un ciment insuffisant pour préserver l'union
mécanique que l'on pourrait créer, car il n'aurait certainement pas la familiarité
ni la vigueur dont jouit le sentiment national. La seule provende substantielle
qui l'aiderait à subsister, serait la commodité de l'union. Or, l'expérience
du passé montre que la seule force des commodités n'est pas assez puissante
finalement pour résister à la pression des circonstances défavorables, au
regain des vieilles forces centrifuges ou à la poussée effective de nouvelles
forces de dissociation. Cependant, une force plus puissante' est à l'ouvre, une
sorte de religion intellectuelle de l'humanité ; claire dans la pensée d'une
élite, vaguement perçue en ses effets et sous ses déguisements par la
multitude, elle a largement contribué à former les tendances de la pensée moderne
et à orienter le développement de ses institutions. C'est une force
psychologique et elle tend à dépasser la formule nationale, elle aspire à remplacer
la religion du pays, et même, sous sa forme extrême, à détruire complètement le
sentiment de nation et à abolir ses divisions afin de créer une unique nation
du genre humain.
Nous pouvons donc dire que cette tendance doit finalement
prendre corps, quelle que soit la taille des difficultés; et elles sont
vraiment énormes, beaucoup plus grandes que celles qui ont présidé à la
formation de la nation. Si l'état peu satisfaisant des relations
internationales actuelles doit conduire à une série de cataclysmes — qu'ils
soient grands et d'importance mondiale comme la guerre actuelle ou d'une
étendue plus limitée mais mondiaux par leur somme — et qu'avec
l'interdépendance croissante des intérêts, ils frappent même ceux qu'ils ne
touchent pas directement, alors, pour se défendre, l'humanité sera finalement
obligée d'adopter un nouvel ordre de choses plus étroitement et plus
rigoureusement unifié. Elle aura le choix entre l'unification et un lent
suicide. Si la raison humaine est incapable de découvrir le moyen, la Nature
elle-même ne manquera pas de susciter des bouleversements pour arriver à ses
fins. Tôt ou tard, par conséquent, qu'elle soit créée par un sentiment d'unité
grandissant, stimulée par l'intérêt et la commodité de tous ou par la pression
évolutive des circonstances, nous pouvons être sûrs qu'une unification finale,
ou du moins quelque organisation formelle de la vie humaine sur la terre, est
pratiquement inévitable, compte tenu toujours de l'imprévisible.
Sri Aurobindo, L’IDÉAL DE L’UNITÉ HUMAINE
CHAPITRE XXXV, Résumé et conclusion
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