Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo La création d'une nouvelle unité

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

La création d'une nouvelle unité



Si nous examinons les possibilités d'uni­fication du genre humain par des voies politiques, administra­tives et économiques, nous constatons qu'une certaine sorte d'unité ou un premier pas dans cette direction paraît non seulement possible mais qu'un esprit fondamental dans l'es­pèce humaine et un sentiment de nécessité la réclament d'une façon assez pressante. Cet esprit s'est créé en grande partie sous l'effet d'une connaissance mutuelle accrue et de relations plus étroites, mais en partie aussi par l'apparition d'idéaux intellectuels et de sympathies émotives plus larges et plus libres dans la mentalité progressive de l'espèce. Le sentiment de nécessité est dû pour une part au désir de satisfaire ces idéaux et ces sympathies, mais aussi à des changements matériels, économiques ou autres, qui ont rendu de plus en plus insupportables, tant pour l'animal humain économique et politique que pour le penseur idéaliste, les conséquences d'une vie nationale divisée, de la guerre et des rivalités commerciales, avec l'insécurité qu'elles apportent et leur dangereuse menace pour la complexité aisément vulnérable de l'organisation sociale moderne. En partie aussi, la nouvelle orientation est due au groupe de nations privilégiées qui désirent posséder et exploiter le reste du monde et en jouir à leur aise, tout en évitant le danger des formidables rivalités et concurrences qu'elles ont elles-mêmes créées, préférant arriver entre elles à quelque entente ou quelque compromis commode. La vraie force de cette tendance unitaire réside dans ses éléments intellectuels, idéalistes et émotifs. Ses causes économiques sont en partie permanentes et représentent donc des éléments de force et d'accomplissement certain ; en partie artificielles et temporaires, et sont donc des éléments d'insécurité et de faiblesse. Les motifs politiques constituent la partie grossière de l'amalgame ; leur présence peut même vicier le résultat d'ensemble et amener finalement un retour en arrière et la nécessité de dissoudre l'unité que l'on avait pu commencer à instaurer.
      Cependant, un certain résultat est possible dans un avenir plus ou moins éloigné. Voyons donc, s'il se produit, par quelles voies il a des chances de venir; d'abord, par une sorte d'entente et d'union initiale pour les besoins communs les plus pressants : accords commerciaux, accords de paix et de guerre, conventions d'arbitrage des conflits, dispositifs pour la police du globe. Une fois acceptés, ces premiers accords sommaires se développeront naturellement sous la pression de l'idée directrice et des besoins inhérents, puis finiront par se changer en une unité plus étroite, ou peut-être même, à la longue, en un gouvernement commun suprême qui durera jusqu'à ce que les défauts du système établi et l'éveil d'idéaux et de tendances nouvelles incompatibles avec son maintien, conduisent à un nouveau changement radical ou à sa désintégration complète en ses composants naturels. Nous avons vu aussi que ce genre d'union s'établira probablement sur la base du monde actuel, plus ou moins modifié par divers changements qui d'ores et déjà sont inévitables : changements internationaux (qui seront probablement plus des ajustements qu'une intronisation d'un principe radicalement nouveau) et changements sociaux à l'intérieur des nations elles-mêmes, et ceux-ci seront d'une portée bien plus vaste. Autrement dit, cette union se décidera entre les nations libres et les empires colonisateurs actuels, mais dans le cadre d'une organisation sociale et administrative interne qui évoluera rapidement vers un rigoureux socialisme d'État et un égalitarisme dont les femmes et les travailleurs seront les principaux bénéficiaires. Telles sont, en effet, les tendances maîtresses de l'heure. Certainement, personne ne peut prédire avec assurance que les tendances de l'heure prévaudront victorieusement pour l'avenir tout entier. Nous ne savons pas quel coup de théâtre du grand drame humain, quels réveils violents de la vieille idée nationale, quels heurts, quels échecs ou résultats inattendus surgiront du creuset des nouvelles tendances sociales, ni quelle révolte de l'esprit humain contre un collectivisme d'État vexatoire et mécanique, quelle puissante poussée peut-être d'un évangile d'anarchisme philosophique qui aura pour mission de réaffirmer l'aspiration indéracinable de l'homme à la liberté individuelle et à la libre réalisation de soi, quelles révolutions religieuses et spirituelles imprévues, peuvent intervenir dans le cours du mouvement actuel de l'humanité et l'entraîner vers un dénouement tout différent. Le mental humain n'a pas encore atteint l'illumination ni la science infaillible qui lui permettraient de prévoir avec certitude, même son lendemain.
      Supposons, cependant, qu'aucun de ces facteurs inattendus n'intervienne. Dès lors, une certaine sorte d'unité politique pourrait se réaliser dans l'humanité. Reste à savoir s'il est désirable qu'elle se réalise de cette façon et maintenant; et dans l'affirmative, quelles sont les circonstances et les conditions nécessaires à cette réalisation, faute de quoi les résultats obtenus seraient encore temporaires comme le furent les précédentes unifications partielles de l'humanité. Tout d'abord, n'oublions pas quel prix l'humanité a dû payer les grandes unités qu'elle a déjà accomplies dans le passé. Le passé immédiat nous a effectivement créé la nation, puis l'empire homogène naturel formé de nations apparentées par la race et la culture ou unies par une nécessité géographique et une attraction mutuelle, enfin l'empire hétérogène artificiel instauré par la conquête et entretenu par la force et par le joug de la loi, par la colonisation commerciale et militaire, mais pas encore soudé en une unité psychologique réelle. Chacun de ces principes d'agrégation a apporté à l'ensemble de l'humanité quelque gain réel ou quelque possibilité de progrès, mais chacun aussi a apporté ses désavantages temporaires ou inhérents et infligé quelque blessure à l'idéal humain complet.
      Quand elle s'effectue par des moyens extérieurs et mécaniques, la création d'une nouvelle unité doit généralement (et en fait presque par nécessité pratique) passer par une période de contraction interne avant qu'elle puisse donner à sa vie intérieure une nouvelle et libre expansion, car son premier besoin et son premier instinct sont de former et de consolider sa propre existence. Imposer son unité, est l'impulsion dominante chez elle, et à ce besoin suprême elle doit sacrifier la diversité, la complexité harmonieuse, la richesse des matériaux variés, la liberté des relations internes, sans lesquelles la vraie perfection de la vie est impossible. Pour établir une unité forte et sûre, elle doit donc créer un centre souverain, un pouvoir d'État concentré — que ce soit un roi, une aristocratie mili­taire, une classe ploutocratique, ou n'importe quelle autre combinaison de gouvernement — et à ce centre, doivent être subordonnées et sacrifiées l'indépendance et la libre vie de l'individu, de la commune, de la cité, de la province ou de toute autre unité moindre. En même temps, nous observons une tendance à créer une société rigide et fortement mécanisée, parfois une hiérarchie de classes ou d'ordres où l'inférieur est relégué à une position et à une tâche plus basses que celle du supérieur et contraint à une vie plus étroite, telle la hiérarchie qui a remplacé en Europe la vie libre et riche des cités et des tribus roi, clergé, aristocratie, classe moyenne, paysannerie, serfs ou tel le rigide système des castes qui en Inde a remplacé l'existence franche et naturelle des vigoureux clans aryens. Par ailleurs, comme nous l'avons déjà vu, la participation active et stimulante du grand nombre, sinon de tous, à la pleine vigueur de la vie commune — participation qui faisait le grand avantage des premières communautés, petites mais libres — est beaucoup plus difficile dans un agrégat plus vaste, et même impossible au début. Au lieu de cela, la force de vie est concentrée en un centre directeur, ou au mieux entre les mains d'une ou de plusieurs classes dirigeantes, tandis que la grande masse de la communauté est abandonnée à une torpeur relative et ne jouit que d'une part minime et indirecte de cette vitalité, dans la mesure où celle-ci est admise à filtrer d'en haut et à toucher indirectement la vie d'en bas, plus grossière, plus pauvre et plus étroite. En tout cas, tel est le phénomène que nous observons dans la période historique du développement humain qui a précédé et préparé la création du monde moderne. Dans l'avenir aussi, il se pourrait que la nécessité de concentration et de formation rigide se fasse sentir si l'on veut établir et consolider les nouvelles formes politiques et sociales qui sont en train de prendre la place des agrégats actuels du monde moderne.


Sri Aurobindo,
L' IDÉAL DE L’UNITÉ HUMAINE, 
CHAPITRE XI,  Les petites unités libres et l'unité supérieure centralisée




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