Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo LE SANSKRIT VÉDIQUE (8)

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

LE SANSKRIT VÉDIQUE (8)


Le sanskrit védique correspond à un stade encore plus primitif dans le développement du langage. Sa structure même est moins figée que celle de n'importe quelle langue classique; il possède une multitude de formes et flexions grammaticales, il emploie les cas et les temps de façon fluide et vague, avec cependant une riche subtilité. Et, sur le plan psychologique, il ne s'est pas encore cristallisé, le moule rigide de la précision intellectuelle ne l'a pas complètement durci. Le Mot, pour le Rishi védique, demeure quelque chose de vivant, doté d'un pouvoir créateur, formateur. Ce n'est pas encore une convention symbolisant une idée, mais l'auteur et le concepteur même des idées. Il porte en lui le souvenir de ses racines, il est toujours conscient de sa propre histoire. Cette psychologie du Mot gouvernait le langage employé jadis par les Rishis. Quand en français nous utilisons les mots « loup » ou « vache », nous désignons par là simplement l'animal en question; nous ne savons pas pourquoi nous devons associer tel son particulier à tel concept, nous nous contentons perpétuer une coutume immémoriale du langage; et nous ne pouvons l'utiliser dans un autre sens ou but sans recourir à un artifice de style. Mais pour le Rishi védique, vrka désignait le déchireur et par conséquent, entre autres dénominations, un loup; dhenu signifiait l'éleveuse, la nourricière et par suite une vache. Mais le sens originel et général prédomine, le sens dérivé et particulier est secondaire. Aussi l'auteur de l'hymne pouvait-il se permettre d'employer avec une grande souplesse ces mots courants, tantôt mettant en avant l'image du loup ou de la vache, tantôt l'utilisant pour colorer le sens plus général, tantôt la conservant comme une simple convention symbolisant la notion psychologique envisagée par son esprit, tantôt perdant complètement l'image de vue. C'est sous cet angle — l'éclairage psychologique apporté par un langage archaïque — que nous devons considérer les figures spéciales du symbolisme védique, telles qu'elles étaient maniées par les Rishis, jusqu'à la plus ordi­naire et concrète en apparence. C'est de cette façon que sont employés des mots tels que ghrtam, le beurre clarifié, soma, le vin sacré, et quantité d'autres.
Par ailleurs, le cloisonnement opéré par la pensée entre les différents sens d'un même mot était beaucoup moins étanche que dans la langue moderne. En anglais, « fleet » (flotte) désignant un ensemble de navires et « fleet » signifiant vif sont deux mots distincts; le premier sens de « fleet » ne nous fait pas penser à la vitesse du mouvement du navire, pas plus que le second n'évoque l'image de navires glissant rapidement sur l'océan. Mais tel était précisément ce qui avait tendance à se produire dans l'emploi védique du langage. Bhaga, jouissance, et bhàga, part, n'étaient pas deux mots séparés pour la mentalité védique, mais un seul mot qui s'était spécialisé en deux usages différents. Il était par conséquent facile aux Rishis de l'employer dans l'un des deux sens, l'autre demeurant en retrait et nuançant la connotation apparente, ou même de l'utiliser dans les deux sens simulta­nément en cumulant pour ainsi dire les significations. Canas voulait dire nourriture, mais signifiait aussi plaisir, jouissance; le Rishi pouvait donc s'en servir pour suggérer dans l'esprit du seul profane la nourriture offerte aux dieux lors du sacrifice, tandis que pour l'initié, tout en évoquant l'image du vin de Soma, à la fois aliment des dieux et symbole védique de la félicité, le terme signifiait l'Ananda, la joie de la béatitude divine pénétrant dans la conscience physique.
Nous voyons partout un tel emploi du langage dominer la Parole des hymnes védiques. Ce fut le procédé par excellence dont les anciens Mystiques se sont servi pour surmonter la dif­ficulté de leur tâche. Agni, dans le culte ordinaire, peut avoir signifié simplement le dieu du feu védique, ou il peut avoir signifié le principe de la chaleur et de la lumière dans la Nature matérielle, ou chez le plus ignorant il peut avoir représenté seulement un personnage supra-humain, un des nombreux « dispensateurs de richesse », qui exaucent le désir humain. Comment suggérer, à ceux qui étaient capables d'une concep­tion plus profonde, les fonctions psychologiques du dieu ? Le mot lui-même remplissait cet office. Car Agni voulait dire le Fort, il signifiait le Brillant, ou même la Force, la Brillance. Ainsi, partout où il figurait, il pouvait aisément rappeler à l'initié l'idée de l'Énergie illuminée, qui édifie les mondes et qui exalte l'homme vers le Très-Haut, l'Accomplisseur du grand-œuvre, le Purohit du sacrifice humain.
Ou comment faire pour que l'auditeur garde à l'esprit que tous ces dieux sont des personnalités du Déva universel unique ? Les noms des dieux, par leur signification même, rappellent qu'ils ne sont que des épithètes, des caractérisations, des descriptions, non des appellations personnelles. Mitra seigneur de l'Amour et de l'Harmonie, Bhaga seigneur de la Joie, Surya seigneur de l'Illu­mination, Varuna seigneur du Vaste omniprésent et de la Pureté du Divin soutenant et perfectionnant le monde, sont tous des aspects du Déva. « L'Existant est Un, déclare le Rishi Dirghatamas, mais les sages L'expriment diversement; ils disent Indra, Mitra, Varuna, Agni; ils L'appellent Yama, Matarishvan » (I-164-46). L’initié, au printemps de la connaissance védique, n'avait nul besoin d'une déclaration si explicite. Les noms des dieux étaient pour lui suffisamment évocateurs et lui rappelaient cette grande vérité fondamentale dont il restait toujours conscient.
Mais par la suite, le procédé même utilisé par les Rishis mit en péril le maintien de la connaissance. Car le langage changea de caractère, rejeta sa souplesse première, abandonna les vieux sens familiers; le mot, diminué, rétréci, fut réduit à sa signification superficielle et concrète. Le vin ambrosiaque de l'Ananda dispa­rut de l'offrande matérielle; l'image du beurre clarifié n'évoqua plus qu'une vulgaire libation en l'honneur de divinités mytho­logiques, maîtresses du feu et du nuage et de la tempête, ayant pour seul dynamisme une énergie matérielle et pour seul éclat un vernis extérieur. L'esprit oublié, la lettre subsista; le symbole, le corps de la doctrine demeura, mais l'âme de la connaissance avait quitté son habitacle.

 Sri Aurobindo, LE SECRET DU VEDA

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