On n'a pas de peine à parler du génie de Mirabeau, du génie
de Danton; il est superflu de parler du génie de Napoléon. Mais on a peine à
parler du génie de Robespierre. Il était dépourvu de génie; son intelligence
était aiguisée et compétente mais sans inspiration; sa personnalité ne
parvient pas à faire impression. Qu'est-ce donc qui lui donna son immense
force et son influence ? C'était la croyance qui se trouvait chez cet homme, sa
foi. Il croyait en la Révolution, il croyait en certaines idées, il croyait en
lui-même en tant que leur porte-parole et leur exécuteur; il en arriva à croire
que sa mission était d'abattre les ennemis de ces idées et d'y mettre un point
final. Et quel que fût l'objet de sa croyance, il croyait sans réserve,
inébranlablement, invinciblement et le poursuivait avec une fidélité rigide.
Mirabeau, Danton, Napoléon, étaient tous capables de découragement durable,
pouvaient reconnaître qu'ils étaient battus, que l'heure était inopportune, le
destin hostile : Robespierre, non. Il pouvait se replier, cacher sa tête par
peur, mais c'était seulement pour s'élancer à nouveau, pour se préserver en vue
de la prochaine occasion. Il possédait une formidable force de sraddha [foi].
Seuls des hommes comme lui, profondément consciencieux et armés de principes,
peuvent tuer sans pitié, sans scrupules, sans repos, sans se détourner. La
Yatudhani S'empara de lui pour ses fins. L'avocat scrupuleux qui refusa les
fonctions de juge plutôt que de sacrifier ses principes en condamnant à mort un
criminel, devint le plus colossal bourreau politique de son temps ou de tous
les temps. Comme nous l'avons dit, si Danton était le caractère de la
Révolution personnifié lorsqu'elle se lança dans le carnage, Robespierre en
était sa main. Mais, naturellement, il ne pouvait pas reconnaître cette
limitation; il aspirait à penser, à construire,
à gouverner, fonctions pour lesquelles il était inapte. Quand Danton demanda
que cesse la Terreur et que la clémence la remplace Robespierre aurait dû
entendre dans cette demande la voix de la Révolution le sommant d'arrêter sa
marche sanguinaire. Mais
sa propre foi le remplissait et l'aveuglait et il ne
voulut pas entendre. Danton mourut parce qu'il
résistait à la main de Kâli, mais son puissant esprit désincarné triompha et
imposa sa dernière pensée au pays. La Terreur cessa, la clémence prit sa place.
Robespierre, cependant, a sa place d'honneur dans l'Histoire; parmi les quatre,
il fut l'homme de conscience et de principes l'homme qui jamais ne se détourna
de la voix qu'il pensait être celle de la vertu.
Sri Aurobindo
L'Heure de Dieu et autres écrits - La révolution française -
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire