Non seulement il y a la guerre entre un être et un autre, entre une force et
une autre, mais à l'intérieur de chacun il y a une opposition éternelle, une
tension des contraires, et c'est cette tension qui crée l'équilibre
nécessaire à l'harmonie. L'harmonie donc est présente, car le cosmos même,
dans son accomplissement, est une harmonie ; mais c'est parce que dans son
processus le cosmos est guerre, tension, opposition, équilibre d'éternels
contraires. Il ne saurait exister de véritable paix, à moins que par paix
l'on entende une tension stable, un équilibre de pouvoir entre des forces
hostiles, une sorte de mutuelle neutralisation d'excès. La paix ne peut rien
créer, rien maintenir, et la prière d'Homère que la guerre périsse d'entre
les dieux et d'entre les hommes est une monstrueuse absurdité, car cela
signifierait la fin du monde. Il peut y avoir périodiquement une fin, non
par la paix ou la réconciliation, mais par une conflagration, par une
attaque du Feu,
to pur epeltore, un jugement fulgurant et une condamnation. La Force a
créé le monde, la Force est le monde, la Force par sa violence maintient le
monde, la Force mettra fin au monde - et le recréera éternellement.
Héraclite est le
premier et le plus conséquent des maîtres qui ont enseigné la loi de la
relativité; elle est le résultat logique de ses conceptions philosophiques
primordiales. Puisque tout est un en son être et multiple en son devenir, il
s'ensuit que toutes choses, en leur essence, doivent être une. La nuit et le
jour, la vie et la mort, le bien et le mal, ne peuvent être que des aspects
différents de la même réalité absolue. En fait, la vie et la mort ne font
qu'un, et nous pouvons dire, selon le point de vue auquel nous nous plaçons,
que toute mort n'est que processus et transformation de la vie ou que toute
vie n'est qu'activité de la mort. En réalité les deux sont une seule énergie
dont l'activité nous présente une dualité d'aspects. D'un certain point de
vue nous ne sommes pas, car notre existence n'est qu'une incessante
transformation d'énergie ; d'un autre point de vue nous sommes, parce que
l'être en nous est toujours le même et soutient notre identité secrète.
Sri Aurobindo, "Héraclite".