Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: L'Heure de Dieu

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

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L'oeuvre de Bonaparte



L'oeuvre de Bonaparte fut tout à fait admirable. Il est vrai que pour une période il priva la France de liberté, mais la France à ce moment-là n'était pas mûre pour la liberté démocratique. Elle devait, pen­dant quelque temps, apprendre la discipline sous l'autorité du soldat de la Révolution. Il n'aurait pas pu faire le travail qu'il fit s'il avait été entravé par un parlement français en effervescence, exultant dans les victoires, découragé dans les défaites. Il avait pour tâche d'organiser la Révolution française autant que la terre pouvait alors le supporter, et il devait le faire dans le court espace d'une durée de vie ordinaire. Il devait aussi sauver la Révolution. L'agression de la France contre l'Europe était une légitime défense nécessaire à la France car l'Europe n'avait pas l'in­tention de tolérer la Révolution. Il lui fallait apprendre que la Révolution signifiait non l'anarchie, mais une réorganisation tellement plus puissante que l'ancienne qu'un seul pays ainsi réorganisé pouvait conquérir l'Europe unie. Cette tâche, Napoléon l'accomplit avec efficacité. Il a été dit que sa politique étrangère fut un échec, parce qu'il laissa la France plus petite qu'il ne l'avait trouvée. C'est vrai. Mais Napoléon n'avait pas pour mission d'agrandir la France géographique­ment. Il ne vint pas pour la France, mais pour l'humanité, et même dans son échec il servit Dieu et prépara l'avenir. L'équilibre de l'Europe devait être perturbé pour préparer de nouvelles combinaisons, et les opérations gigantesques de Napoléon le pertur­bèrent de manière fatale. Il éveilla l'esprit du natio­nalisme en Italie, en Allemagne, en Pologne, en même temps qu'il instaurait la tendance à former de grands Empires; et c'est la réalisation harmonisée du nationalisme et de l'Empire qui constituait le futur immédiat. Il contraignit l'Europe à accepter la néces­sité de la réorganisation politique et sociale. 

L'Angleterre, l'Allemagne et la Russie se parta­gèrent le punya (mérite) d'avoir renversé Napoléon. Il fallait qu'il soit renversé, car bien qu'il préparât l'avenir et détruisît le passé, il fit mauvais usage du présent. Sauver le présent de ses mains violentes fut la tâche de ses ennemis, et ce mérite procura à ces trois pays un grand développement immédiat et la possession du dix-neuvième siècle. (a)


Le seul problème est que Napoléon n'était pas assez audacieux. S'il avait mené plus avant l'idée d'unifi­cation de toute l'Europe, et c'est ce qu'il avait en tête de faire, la lutte actuelle en Espagne' n'aurait pas été alors nécessaire. L'Italie se serait unie beaucoup plus tôt et l'Allemagne aurait été plus civilisée. Si, au lieu de se proclamer Empereur, il était demeuré Premier Consul, il aurait rencontré plus de réussite. Mais il n'était pas comme Hitler, il ne pouvait pas mener à bien de façon brutale ce qu'il entreprenait. Même après sa chute, les Allemands du Rhin n'ont abandonné qu'à contrecoeur le Code Napoléon et les institutions qu'il avait instaurées... 
Il est vrai que du temps de Napoléon l'Assemblée n'était qu'une façade; mais la République dans son ensemble, bien que retardée pour quelque temps, était de fait déjà établie. La politique n'est qu'une silhouette au sommet : les changements qui ont une réelle importance sont ceux qui touchent la société. Les lois sociales que Napoléon a introduites ont perduré jusqu'à ce jour. C'est lui qui, pour la première fois, a rendu tous les hommes égaux devant la Loi. Le Code Napoléon a comblé le fossé séparant les riches et les pauvres. Ce type d'égalité paraît très naturel à présent, mais lorsque Napoléon l'a introduit c'était quelque chose de révolutionnaire. Les lois qu'il a faites sont toujours en vigueur.
Ce qu'il a amené, ce n'est peut-être pas la démo­cratie dans le sens d'un gouvernement par les masses, mais c'est la démocratie dans le sens d'un gouverne­ment par les classes moyennes, la bourgeoisie... (b)


Sri Aurobindo
(a)L'Heure de Dieu et autres écrits - La révolution française -
(b) Entretiens avec Sri Aurobindo, Nirodbaran

Napoléon et la Révolution française



On a traité Napoléon de tyran et d'impérial coupeur de gorges; mais j'ai vu Dieu en armes qui chevauchait l'Europe.
Sri Aurobindo, Pensées et Aphorismes

Napoléon reprit en lui-même les fonctions des autres. De même que Mirabeau instaura la destruction Napoléon instaura la construction et l'organisation dans un esprit paradoxal identique. Il fut le Rakshasa, l'égoïste le plus gigantesque de l'histoire, le despote de la liberté le protecteur impérial de l'égalité, l'organisateur sans principe des grands principes. Comme Danton, il façonna pour un temps les événements par ses pensées et son caractère. Du vivant de Danton, la politique s'orientait vers une démocratie sans retenue, la guerre vers un héroïsme de la défense patriotique. Du moment où il disparut, l'esprit de Napoléon façonna les évènements et la politique s'orienta vers la domination d'abord du dictateur civil, puis du dictateur militaire, la guerre vers l'organisation de la conquête républicaine. Comme Robespierre, il fut la main exécutrice de la destruction; contrairement à Robespierre, il fut la main de la construction. La furie de Kâli devint chez lui égocentrique, capable, pleine de pensées et d'acti­vités organisées mais néanmoins impétueuse, colossale, violente, dévastatrice.


Toutes sortes de critiques ont fait du nom de Napoléon le champ de bataille de leurs préjugés, et les hommes, suivant leurs prédilections, leurs parti­cularités et leurs opinions politiques, ont tour à tour aimé ou haï, porté aux nues ou décrié le Corse. Blâmer Napoléon revient à critiquer le Mont-Blanc ou à couvrir de boue le Kanchenjunga[1]. Il s'agit d'un phénomène qu'il faut connaître et comprendre, et non pas blâmer ou louer. Nous devons admirer, mais en intellectuels et non en moralistes. Ses panégyristes et ses critiques n'ont pas suffisamment perçu que Bonaparte n'était absolument pas un homme : c'était une force. Seule la nature de cette force doit entrer en ligne de compte. Il existe des hommes qui sont à l'évidence surhumains, de grands esprits qui ne font que se servir du corps humain. L'Europe les appelle des surhommes, nous les nommons des Vibhutis. Ce sont des manifestations de la Nature, du pouvoir divin qu'un esprit délégué à cette fin préside, et cet esprit est une émanation du Tout-Puissant qui accepte la force et la faiblesse humaines mais qui n'y est pas pour autant assujetti. Ils sont au-dessus de la moralité et habituellement sans conscience, agissant selon leur nature propre. Car ce ne sont pas des hommes qui se développent en s'élevant de l'animal vers le divin et qui luttent contre leur nature inférieure, mais des êtres déjà accomplis et satisfaits d'eux-mêmes. Même les plus saints d'entre eux n'ont que mépris pour les lois et les coutumes ordinaires et les enfreignent aisément et sans remords, comme le fit le Christ en plus d'une occasion, buvant du vin, transgressant le sabbath, fréquentant les publicains et les prostituées; comme le fit Bouddha lorsqu'il abandonna les devoirs qu'il s'était donnés en tant qu'époux, citoyen et père; comme le fit Shankara lorsqu'il viola la loi sacrée, foula aux pieds la coutume et l'acara afin de contenter sa mère défunte. Notre littérature les décrit comme des Dieux, des Siddhas, des Titans ou des Géants. Valmiki dépeint Ravana comme un géant à dix têtes, mais il est facile de voir que c'est là seulement la vision qu'il avait de lui dans le monde de l'imaginaire, le « plan astral », et que dans la terminologie humaine, il s'agissait d'un Vibhuti ou d'un surhomme, un être du même ordre que Napoléon.
 

Le Rakshasa est l'individualiste suprême et métho­dique qui croit que la vie est faite pour qu'il puisse s'accomplir et s'affirmer en toute liberté. Elément nécessaire à l'humanité, il est particulièrement utile dans les révolutions. En tant que type à l'état pur dans l'homme, il appartient généralement au passé; il apparaît de nos jours mêlé à d'autres éléments. Mais Napoléon était un pur Rakshasa, colossal dans sa force et dans son accomplissement. Il vint au monde avec un formidable appétit de pouvoir et de possession, et comme Ravana, il tenta d'engloutir la terre entière pour rassasier sa faim surnaturelle. Il faisait sien tout ce qui croisait sa route, idées, hommes, femmes, renommée, honneurs, armées, royaumes, et usait sans scrupules de son droit de possession. Sa nature était son droit, son besoin sa justification. Cette attitude peut se résumer en ces quelques mots : « Les autres n'ont sans doute pas le droit de faire ces choses-là, mais moi, je suis Napoléon ».



Le Rakshasa n'est pas un altruiste. Si en se donnant satisfaction, il peut satisfaire les autres, il est comblé; mais il n'en fait pas son mobile. S'il doit piétiner les autres pour avoir satisfaction, il le fait sans componc­tion. N'est-il pas l'homme fort, le dirigeant efficace, le puissant? Le Rakshasa a le kama [désir], il n'a aucun prema [amour]. Napoléon ignorait ce qu'était l'amour; il avait seulement la gentillesse qui va de pair avec la possession. Il aimait Joséphine parce qu'elle satisfaisait sa nature, la France parce qu'il la possédait, sa mère parce qu'elle était sienne et lui convenait, ses soldats parce qu'ils étaient nécessaires à sa gloire. Mais son amour n'allait pas au-delà du besoin qu'il avait d'eux. Il se satisfaisait mais ne s'abandonnait nullement. Le Rakshasa terrasse tout ce qui s'oppose à lui et est insensible à l'étendue du carnage. Mais il n'est jamais cruel. Napoléon n'avait rien d'un Néron, mais il sacrifiait sans sourciller des armées entières comme autant d'holocaustes sur l'autel de sa gloire; il fusilla Hofer [2] et assassina Enghien[3]. Qu'y a-t-il donc chez le Rakshasa qui le rende nécessaire ? Il est l'individualité, il est la force, il est la capacité; il est le second pouvoir de Dieu, la colère, la puissance, la grandeur, l'impétuosité débordante, le courage arrogant, l'avalanche, le tonnerre, il est Balaram [4], il est Jéhovah, il est Rudra. A ce titre nous pouvons l'admirer et l'étudier.



Mais, bien que trouvant satisfaction et plaisir personnels sur sa route, le Vibhuti ne vient jamais pour sa satisfaction et son plaisir. Il vient pour un travail; pour aider l'homme sur son chemin, le monde dans son évolution. Napoléon fut l'un des Vibhutis les plus puissants, les plus marquants. Certains d'entre eux retiennent, refoulent la force qui est dans leur personnalité afin de l'investir tout entière dans leur oeuvre. Shakespeare, Washington, Victor Emmanuel furent de ceux-là. Il en est d'autres comme Alexandre, César, Napoléon, Goethe, qui sont manifestement aussi surhumains dans leur per­sonnalité que dans l'œuvre qu'ils accomplissent. En matière d'aptitudes pratiques, Napoléon fut le plus grand de tous les modernes. Par ses aptitudes sinon par son caractère, il ressemble à Bhisma du Maha­bharata. Son sens de la guerre, de la politique, du gouvernement, de la législation, de la société est pareillement souverain, irrésistible, conquérant; tout comme son maniement magistral des masses, et sa capacité stupéfiante à se gorger de détails. Il avait le cerveau de fer que rien ne fatigue, la mémoire infaillible qui ne laisse rien s'égarer, la claire pers­picacité qui met chaque chose à sa place avec une exactitude spontanée. C'était comme si un homme devait porter Caucase sur ses épaules et, sous ce fardeau, gagner de vitesse un train express, tout en notant et prévoyant chaque pas sans jamais chanceler. Démontrer qu'un corps humain recèle en lui de quoi être capable d'un tel travail est en soi un service rendu à notre progrès dont nous ne serons jamais assez reconnaissants à Napoléon. 


Sri Aurobindo
L'Heure de Dieu et autres écrits - La révolution française -



[1] Kanchenjunga : Un des plus hauts sommets de l'Himalaya.
[2] Hofer : Héros national du Tyrol. Il fut livré par trahison à des troupes italiennes qui le conduisirent à Mantoue où Napoléon le fit fusiller (1810).
[3] Enghien : Le Duc d'Enghien servit dans l'Armée des Emigrés jusqu'en 1801. En 1804, Napoléon le fit enlever en Allemagne et, après un jugement sommaire, fusiller au Château de Vincennes.
[4] Balaram : Barra Râma ou Baladeva, frère de Krishna et, comme lui, incarnation de Vishnou. Habile à manier la massue, il rappelle par ses exploits l'Héraclès grec.

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