Toute la vie est un yoga. Par ce yoga intégral, nous ne cherchons pas seulement l'Infini: nous appelons l'Infini à se révéler lui-même dans la vie humaine. Sri Aurobindo SRI AUROBINDO - YOGA INTEGRAL: Le Cycle Humain

SRI AUROBINDO
. . YOGA INTÉGRAL


Les négations de Dieu sont aussi utiles pour nous que Ses affirmations. Sri Aurobindo
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C'est le Supramental qu'il nous faut faire descendre, manifester, réaliser.

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CIVILISATION ET CULTURE

La barbarie économique



       Même dans son travail négatif, le matérialisme scientifique avait une tâche à accomplir, qui finalement devra aider le mental humain à dépasser le matérialisme lui-même. Aux beaux jours de son matérialisme triomphant, la science méprisait et rejetait la philosophie; par sa supériorité, sa tournure positive et pragmatique, elle décourageait l'esprit poétique et artistique et le chassait de sa position directrice à la tête de la culture; la poésie entrait dans une ère de .déclin et de décadence, adoptait la forme et le rythme d'une prose versifiée, perdait son charme et la faveur de tous sauf d'une audience limitée; la peinture suivait la courbe d'un cubisme extravagant et cultivait des formes et des suggestions monstrueuses; l'idéal battait en retraite; un prosaïsme terre à terre trônait à sa place et encourageait un réalisme et un utilitarisme sans beauté; finalement, par .sa guerre contre l'obscurantisme religieux, la science réussissait presque à détruire la religion et l'esprit religieux. Mais la philosophie était devenue une abstraction, une recherche de vérités abstraites dans un monde d'idées et de mots au lieu de ce qu'elle devrait être, une découverte de la réalité vraie des choses afin que l'existence humaine apprenne sa loi, son but et le principe de sa perfection. La poésie et l'art étaient devenus trop exclusivement des recherches raffinées. que l'on pouvait ranger parmi les élégances et les ornements 'de la vie, occupés qu'ils étaient de la beauté des mots, des formes et des imaginations plutôt que d'une vision concrète et d'une présentation significative de la vérité, de la beauté, de l'idée vivante et de la divinité secrète dans les choses, cachée par les apparences sensibles de l'univers. La religion elle-même s'était figée dans les dogmes et les cérémonies, les sectes, les églises, et elle avait en grande partie perdu, sauf pour de rares individus, le contact direct avec les sources vivantes de la spiritualité. Une période de négation était nécessaire. La philosophie, la religion, la poésie, l'art, devaient tous être ramenés â eux-mêmes, plus près de leurs sources éternelles. Maintenant que la poussée négative est passée et qu'ils relèvent la tête, nous les voyons chercher leur propre vérité et vivre de nouveau par la vertu d'un retour sur eux-mêmes et d'une nouvelle découverte de soi. Ils ont appris, ou sont en train d'apprendre à l'instar de la science, que la Vérité est le secret de la vie et du pouvoir, et qu'en trouvant la vérité qui leur est propre, ils deviendront nécessairement les ministres de l'existence humaine.

      Mais si la science nous a ainsi préparés à un âge de culture plus vaste et plus profonde, et si en dépit de son matérialisme, ou même grâce à lui en partie, elle a rendu impossible le retour du vrai matérialisme (celui de la mentalité barbare), elle a cependant, par son attitude vis-à-vis de la vie et par ses découvertes, encouragé plus ou moins indirectement un autre genre de barbarie (on ne peut lui donner d'autre nom) : la barbarie de l'âge industriel, commercial et économique qui s'avance maintenant vers son apogée et sa fin. Cette barbarie économique est essentiellement celle de l'homme vital, car elle confond l'être vital avec le moi et considère que la satisfaction de cet être vital est le premier but de la vie. La caractéristique de la Vie est le désir et l'instinct de possession. De même que le barbare physique fait sa règle et son but de l'excellence du corps et du développement de la force, de la santé et des prouesses physiques, de même le barbare vital et économique fait sa règle et son but de la satisfaction des besoins et des désirs et de l'accumulation des biens matériels. Son homme idéal n'est pas l'homme cultivé, ni noble, ni réfléchi, ni moral, ni religieux, mais l'homme qui réussit. Arriver, réussir, produire, accumuler, posséder, telle est son existence. Accumuler des richesses et toujours plus de richesses, ajouter des possessions aux possessions, l'opulence, l'étalage, le plaisir, un luxe encombrant et sans art, une pléthore de commodités, une vie dénuée de beauté et de noblesse, une religion vulgarisée ou froidement conventionnelle, la politique et le gouvernement changés en commerce et en profession, les jouissances elles-mêmes devenues une affaire, tel est le commercialisme. Pour l'homme économique naturel et impénitent, la beauté est chose superflue ou ennuyeuse, l'art et la poésie, une frivolité ou une ostentation et un moyen de réclame. Son idée de la civilisation est le confort; son idée de la morale, la respectabilité sociale; son idée de la politique, l'encouragement de l'industrie, l'ouverture des marchés, l'exploitation et le négoce sous le drapeau; son idée de la religion, au mieux un pieux formalisme ou la satisfaction de quelques émotions vitales. Il apprécie l'éducation pour son utilité à armer l'homme pour le succès dans une existence fondée sur la concurrence ou, peut-être, sur une industrie socialisée. Il apprécie la science pour ses connaissances et ses inventions utiles, pour le confort, les commodités, les mécanismes de production dont elle le dote, pour son pouvoir d'organisation et de réglementation et ses stimulants à la production. Le ploutocrate opulent, le mastodonte capitaliste qui réussit, l'organisateur d'industrie, sont les surhommes de l'âge commercial et les véritables gouvernants de la société, encore que leur gouvernement soit souvent occulte.

      Tout cela est essentiellement barbare, parce que c'est chercher pour eux-mêmes le succès vital, la satisfaction, la productivité, la thésaurisation, les possessions, les jouissances, le confort et les commodités. Certes, la partie vitale de l'être est un élément de l'existence humaine intégrale, au même titre que la partie physique; elle a sa place, mais elle ne doit pas outrepasser cette place. Une vie complète et bien pourvue est désirable pour l'homme en société, mais à condition aussi que cette vie soit vraie et belle. Ni la vie ni le corps n'existent pour eux-mêmes; ils sont seulement les véhicules et les instruments d'un bien plus élevé. Ils doivent être subordonnés aux besoins supérieurs de l'être mental, adoucis et purifiés par une loi de vérité et de bonté et de beauté plus haute, avant de pouvoir prendre la place qui leur revient dans l'intégralité de la perfection humaine. Par conséquent, l'âme humaine peut s'attarder quelque temps à un âge commercial avec son idéal vulgaire et barbare de succès, de satisfaction vitale, de productivité et de possession, afin d'en tirer certains gains et certaines expériences, mais elle ne peut pas s'y reposer d'une façon permanente. S'il persistait trop longtemps, la vie serait étouffée et périrait de sa propre pléthore, ou elle éclaterait sous la tension de sa grossière expansion. Semblable au Titan trop massif, elle s'écroulerait sous sa propre masse : mole ruet sua.

 Sri Aurobindo, LE CYCLE HUMAIN, chp.VIII, Civilisation et Barbarie

La civilisation n'est jamais à l'abri



      L'ancienne civilisation hellénique ou gréco-romaine périt, entre autres raisons, d'avoir imparfaitement généralisé la culture dans sa propre société et parce qu'elle était environnée d'énormes masses humaines encore dominées par des habitudes mentales barbares. La civilisation n'est jamais à l'abri tant qu'elle limite la culture mentale à une petite minorité et entretient dans son sein une formidable masse d'ignorance, une foule, un prolétariat. La connaissance doit s'élargir d'en haut, sinon elle sera toujours en danger d'être submergée par la nuit ignorante d'en bas, La civilisation est encore bien plus menacée quand elle permet qu'une énorme masse d'hommes existe hors de son sein, ignorants de sa lumière, pleins de la vigueur naturelle du barbare, et qui peuvent à, tout moment S'emparer des armes matérielles des civilisés sans être passés par la transformation intellectuelle de leur culture. Ainsi, la culture gréco-romaine périt du dedans et du dehors à la fois : du dehors, sous le flot de la barbarie teutonne; du dedans, par la perte de sa vitalité. Elle a donné au prolétariat une certaine part de confort et d'amusement, mais ne l'a pas élevé jusqu'à la lumière. Quand la lumière atteignit les masses, ce fut du dehors, sous la forme de la religion chrétienne; et celle-ci survint en ennemie de l'ancienne culture. S'adressant au pauvre, à l'opprimé, à l'ignorant, la religion a cherché à captiver l'âme et la partie morale de l'individu, mais elle s'est fort peu souciée — ou pas du tout — du mental pensant, satisfaite de le laisser dans l'obscurité si le coeur pouvait être persuadé de sentir la vérité religieuse. De même, quand les barbares s'emparèrent du monde occidental, l'Église se contenta de les christianiser mais ne considéra pas que ce fût son rôle de les intellectualiser. Se méfiant même du libre jeu de l'intelligence, l'esprit clérical et monastique chrétien devint anti-intellectuel, laissant aux Arabes le soin de réintroduire les rudiments d'une connaissance scientifique et philosophique dans une chrétienté semi-barbare, puis à l'esprit semi-païen de la Renaissance, suivi d'une longue lutte de la religion et de la science, le privilège de compléter le retour d'une libre culture intellectuelle et la réémergence mentale de l'Europe. La connaissance doit être militante si elle choisit de survivre et de se perpétuer; admettre une ignorance généralisée, au-dessous ou alentour, c'est exposer l'humanité au danger perpétuel d'une rechute dans la barbarie.

      Le monde moderne ne permet plus que le danger se répète sous sa vieille forme ni à l'ancienne échelle. La science est là pour l'empêcher. Elle a équipé la culture de moyens de se perpétuer. Elle a doté les races civilisées d'armes d'organisation, d'agression et de défense que nul peuple barbare ne peut utiliser avec succès, à moins qu'il cesse d'être non-civilisé et qu'il acquière une connaissance que seule la science peut donner. Elle a appris aussi que l'ignorance est une ennemie que l'on ne peut pas se permettre de mépriser et elle s'est mise à l'œuvre pour l'éliminer partout où elle se trouvait. L'idéal d'une éducation générale (du moins jusqu'à un certain niveau d'instruction mentale et de développement des aptitudes) lui doit en grande partie sa naissance, ou du moins d'être devenu pratiquement possible. La science s'est répandue partout avec une force irrésistible, implantant dans la mentalité de trois continents le désir d'une connaissance accrue. Elle a fait de l'éducation générale la condition indispensable de la force et de l'efficacité nationales et, par suite, elle en a imposé le désir, non seulement à tous les peuples libres mais à toutes les nations qui aspirent à être libres et à survivre, si bien que l'universalisation de la connaissance et de l'activité intellectuelle dans l'espèce humaine n'est plus maintenant qu'une question de temps; seuls, certains obstacles politiques et économiques lui barrent encore la route, mais la pensée et les tendances de l'époque travaillent déjà à les surmonter. En somme, la science a maintenant définitivement élargi les horizons intellectuels de l'espèce; elle a élevé, aiguisé et puissamment intensifié la capacité intellectuelle générale de l'humanité.

      Il est vrai que les premières tendances de la science ont été matérialistes et que son triomphe indubitable se réduit à la connaissance de l'univers physique, du corps et de la vie physique. Mais ce matérialisme est très différent de l'ancienne identification du moi avec le corps. Quelles que soient ses tendances apparentes, le matérialisme est vraiment une affirmation de l'homme en tant qu'être mental et de la suprématie de l'intelligence. La science, de par sa nature même, est connaissance, intellectualité; tout son travail est celui du Mental penché sur son milieu et son environnement physique et vital afin de connaître, de conquérir et de dominer la vie et la matière. Le savant est l'Homme en tant qu'être pensant qui maîtrise les forces de la Nature matérielle en les connaissant. Après tout, la vie et la matière sont notre point d'appui, notre base inférieure; connaître leurs processus, leurs ressources et les possibilités qu'elles offrent à l'être humain, font partie de la connaissance nécessaire pour les transcender. La vie et le corps doivent être dépassés, mais ils doivent être aussi utilisés et perfectionnés. Mais, d'autre part, nous ne pouvons pas connaître entièrement les lois et les possibilités de la Nature physique à moins de connaître également les lois et les possibilités s de la Nature supra-physique. Par conséquent, le développement de nouvelles sciences mentales et psychiques, ou la redécouverte de ces mêmes sciences anciennes, doivent suivre immédiatement la perfection de notre connaissance physique. Déjà, cette ère nouvelle commence à poindre devant nous. Cependant, la perfection des sciences physiques était une nécessité préalable; c'était le premier terrain d'entraînement du mental de l'homme dans son nouvel effort pour connaître la Nature et posséder son monde.

Sri Aurobindo, LE CYCLE HUMAIN, chp.VIII, Civilisation et Barbarie

CIVILISATION ET BARBARIE



Civilisation et Barbarie


CIVILISATION ET BARBARIE

Ayant établi qu'un règne de parfaite individualité et de parfaite réciprocité est la loi idéale de l'individu, de la communauté et de l'espèce, et qu'une union parfaite — voire une unité dans une libre diversité — est leur but, nous devons essayer d'examiner plus clairement ce que nous entendons quand nous disons que la "réalisation de soi" est le sens secret ou évident du développement individuel et social. Pour le moment, nous n'avons pas à nous occuper de l'espèce humaine en tant qu'unité; la nation reste encore notre unité vivante la plus large et la plus concentrée. Et il vaut mieux commencer par l'individu puisque notre connaissance et notre expérience de sa nature sont plus complètes et plus intimes que celles que nous pouvons avoir de l'âme et de la vie de l'agrégat, et parce que même dans sa complexité plus grande, la société ou la nation est un individu, composite et plus large : elle est l'Homme collectif. Ce que nous trouverons valable pour le premier, aura donc des chances d'être valable, dans son principe général, pour l'entité plus vaste. De plus, le développement du libre individu est la condition première du développement d'une société parfaite, nous l'avons dit. Nous devons donc partir de l'individu; il est notre signe de référence et notre fondement.

      Le Moi de l'homme est une chose occulte et cachée; ce n'est pas son corps, pas sa vie, pas même son mental, encore que dans l'échelle de l'évolution, l'homme soit l'être mental, le Manou (1). Par conséquent, ni la plénitude de sa nature physique ni celle de sa nature vitale et mentale ne peuvent être le terme ultime ni la vraie mesure de sa réalisation; ce sont des moyens de manifestation, des signes secondaires, les bases d'une découverte de soi; ce sont des valeurs, la monnaie courante de son moi, tout ce que l'on veut, mais pas cela qu'il est secrètement et qu'il essaye de devenir obscurément et à tâtons, ou consciemment et ouvertement. L'homme, en tant qu'espèce, ne s'est pas saisi de cette vérité et il ne la saisit pas encore maintenant, sauf dans la vision et l'expérience d'un petit nombre de pionniers, que l'espèce est incapable de suivre bien qu'elle puisse les adorer comme des Avatârs (2), des voyants, des saints ou des prophètes. Car la Sur-âme qui conduit notre évolution a ses vastes cadences de temps, ses grandes époques, elle a ses espaces de lente expansion et ses instants d'épanouissement rapide, que l'individu fort et semi-divin peut sauter mais non l'espèce encore à demi animale. Procédant du végétal à l'animal et de l'animal à l'homme, le cours de l'évolution part de l'infrahumain dans l'homme, et celui-ci doit absorber l'animal et même le minéral et le végétal : ils constituent sa nature physique, ils dominent sa vitalité, ils ont prise sur sa mentalité. Ses propensions aux inerties de toutes sortes, son aptitude à végéter, son attachement à la terre, à ses racines et aux ancrages de tous genres, et en même temps ses impulsions nomades et pillardes, son aveugle obéissance à la coutume et à la loi du troupeau, ses réactions grégaires et sa réceptivité aux suggestions subconscientes de l'âme collective, sa sujétion au joug de la colère et de la peur, son besoin de punition et la confiance qu'il a en elle, son inaptitude à penser et à agir par lui-même, son incapacité à être vraiment libre, sa méfiance du nouveau et sa lenteur à comprendre intelligemment et à assimiler, son penchant pour le bas et son regard terre à terre, sa soumission vitale et physique à son hérédité — tout cela, et davantage encore, est ce qu'il a hérité des origines infrahumaines de sa vie, de son corps et de son mental physique (3). Du fait de cet héritage, il s'aperçoit que de se dépasser lui-même est la plus difficile des leçons et la plus douloureuse des entreprises. Pourtant, c'est en dépassant le moi inférieur que la Nature accomplit les grandes enjambées de son progrès évolutif. Apprendre par ce qu'il a été, mais aussi connaître ce qu'il peut devenir et grandir jusque-là, telle est la tâche assignée à l'être mental.

    Le temps est passé — définitivement, espérons-le, pour ce cycle de civilisation — où la conscience générale de l'espèce pouvait identifier totalement son moi avec le corps et la vie physique. C'est la caractéristique principale  de la complète barbarie. Considérer le corps et la vie physique comme la seule chose importante, juger de l'homme par la force physique, par son développement corporel et ses prouesses, être à la merci des instincts surgis de l'inconscient physique, mépriser la connaissance comme une faiblesse et une infériorité ou la considérer comme une singularité et non comme une partie essentielle de la conception de l'homme, telle est la mentalité du barbare. Elle tend à réapparaître dans l'être humain à la période atavique de l'adolescence (quand, notons-le, le développement du corps est de la plus grande importance), mais cette mentalité n'est plus possible pour l'adulte dans l'humanité civilisée. Car, en premier lieu, même l'attitude vitale (4) de l'espèce est en train de changer sous la tension de la vie moderne. L'homme a cessé d'être un animal principalement physique et devient davantage un animal vital et économique. Non pas qu'il exclue ou doive exclure de sa conception de la vie, le corps et son développement ou le bon entretien et le respect de l'être animal et de ses qualités (car l'excellence du corps, sa santé, sa solidité, sa vigueur et son développement harmonieux sont nécessaires à une nature humaine parfaite, et l'on s'en préoccupe d'une façon plus intelligente et mieux qu'autrefois), mais par ordre d'importance, on ne peut plus donner la première place au corps, et encore moins cette complète prépondérance que lui accordait la mentalité barbare.

      En outre, bien que l'homme n'ait pas encore réellement entendu ni compris l'enseignement des sages : "Connais-toi toi-même", il a cependant accepté le message du penseur : "Éduque-toi", et, qui plus est, il a compris que la possession de l'éducation lui imposait le devoir de transmettre sa connaissance aux autres. L'idée de la nécessité d'une éducation généralisée est le signe que l'espèce a reconnu que l'homme est le mental, et non la vie et le corps, et que sans développement mental, l'homme n'est pas vraiment un homme. La conception de l'éducation s'attache encore surtout à l'intelligence et aux capacités mentales, à la connaissance du monde et des choses, mais accessoirement aussi à la formation morale et, bien que très imparfaitement encore, au développement des facultés esthétiques. Un être pensant intelligent et moralisé, sachant maîtriser ses instincts et ses émotions par sa volonté et sa raison, au courant de tout ce qu'il doit savoir sur le monde et son passé, capable d'organiser intelligemment sa vie sociale et économique par cette connaissance et d'ordonner rationnellement ses habitudes corporelles et son être physique, telle est la conception qui gouverne maintenant l'humanité civilisée. Essentiellement, c'est un retour à l'ancien idéal hellénique, mais à une plus vaste échelle et en insistant davantage sur le rendement et l'utilité, et beaucoup moins sur la beauté et le raffinement. Toutefois, nous pouvons supposer que c'est là une simple phase passagère; les éléments perdus ne manqueront pas de retrouver leur importance sitôt que la période commerciale du progrès moderne aura été dépassée, et avec cette reprise, inévitable bien qu'elle ne soit pas encore en vue, nous posséderons tous les éléments propres au développement de l'homme en tant qu'être mental.

Sri Aurobindo, LE CYCLE HUMAIN, chp.VIII, Civilisation et Barbarie



(1) Dans la symbolique de l'âge védique, Manou désigne l'être mental ou le "Père des hommes", créateur de toute la vie mentale.
(Note de l'éditeur)
(2) L'Avatâr est l'incarnation du Divin sous une forme humaine. Sri Aurobindo souligne dans ses œuvres que le Divin se manifeste périodiquement parmi les hommes, apportant chaque fois un nouveau pouvoir de conscience sur la terre. En effet, selon Sri Aurobindo, le Divin s'exprime progressivement dans le monde, et le sens de la destinée humaine est une lente évolution spiri­tuelle depuis l'Inconscience apparente de la matière jusqu'à une humanité supramentale ou divine, prochain stade de l'évolution. A chaque étape décisive de l'évolution humaine, l'Avatâr vient ouvrir le chemin d'une nou­velle région de conscience. Sri Aurobindo range le Bouddha notamment, le Christ et Râmakrishna parmi les derniers grands Avatârs. (Note de l'éditeur)

(3) Sri Aurobindo a distingué divers niveaux dans le mental : les niveaux supérieurs ou supraconscients, qu'il appelle respectivement (dans l'ordre descendant), surmental, mental intuitif, mental illuminé, mental supérieur, puis le mental ordinaire ou mental pensant, puis le soubassement évolutif du mental : le mental vital, le mental physique et le mental cellulaire. Le mental physique est une sorte de première "mentalisation" de la Matière, c'est un mental mécanique, répétitif, microscopique, qui enregistre tout et répète obstinément ses minuscules expériences, ses craintes, ses peurs, ses "sagesses". C'est par lui que le Mental s'est tout d'abord fixé dans la Matière, mais ses aptitudes "fixatives" sont une entrave considérable au développement de la conscience quand elle tente de déborder le corps, et elles sont la cause, notamment, de bien des maladies récurrentes.(Note de l'éditeur)

La clef de l’énigme

La clef de l’énigme n’est pas l’ascension de l’homme au ciel, mais son ascension ici-bas dans l’Esprit et la descente de l’Esprit dans son humanité ordinaire, une transformation de la nature terrestre ; c’est cela que l’humanité attend, une naissance nouvelle qui couronnera sa longue marche obscure et douloureuse, et non quelque salut post mortem.
 
Sri Aurobindo, Le cycle humain.
 

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