À notre effort d'ascension, l'élément
inférieur de désir viendra naturellement se mêler au début. Car ce que la
volonté éclairée voit comme la chose à faire et poursuit comme le sommet à
conquérir, ce que le coeur embrasse comme la seule chose digne d'être aimée,
sera recherché avec la trouble passion du désir égoïste par la partie de notre
être qui se sent limitée et contredite, et qui, parce qu'elle est limitée,
lutte et désire avec acharnement. Cette force de vie insatiable, cette âme de
désir en nous, doit tout d'abord être acceptée, mais seulement pour que nous
puissions la transformer. Dès le commencement, il faut lui apprendre à renoncer
à tous les autres désirs pour se concentrer sur la passion du Divin. Une fois
gagné ce point capital, il faut lui apprendre à désirer, non pour elle-même
séparément, mais pour Dieu dans le monde et pour le Divin en nous-mêmes ; l'âme
de désir ne doit se fixer sur aucun gain spirituel personnel, encore que nous
soyons assurés de tous les gains spirituels possibles, mais sur la grande œuvre
à accomplir en nous et dans les autres, sur l'avènement de la haute
manifestation qui sera le glorieux accomplissement du Divin dans le monde, sur
la Vérité qui doit être recherchée, vécue et intronisée pour toujours. Finalement,
et c'est le plus difficile pour l'âme de désir, plus difficile même que de
chercher avec le vrai motif, il faut lui apprendre à chercher de la vraie
manière; car elle doit apprendre à désirer, non plus à sa manière égoïste mais
à la manière du Divin. Elle ne doit plus insister sur son propre mode de
réalisation, son propre rêve de possession, sa propre idée de ce qui est juste
et désirable, comme y insiste toujours une forte volonté séparatiste ; elle
doit aspirer à accomplir une Volonté plus large et plus grande, et consentir à
s'en remettre à une direction moins intéressée et moins ignorante. Ainsi
éduqué, le Désir, ce grand tourmenteur, cet inquiet poursuivant de l'homme et
cette cause de toutes sortes de faux pas, sera prêt à être transformé en sa
contrepartie divine. Car le désir et la passion ont aussi une forme divine; il y
a une pure extase de l'âme dans sa quête pour dépasser tout appétit et tout
chagrin ; il y a une Volonté d'Ânanda qui siège glorifiée dans la possession
des béatitudes suprêmes.
Une fois que les trois instruments
maîtres, la pensée, le coeur et la volonté, possèdent et sont possédés par
l'objet de la concentration— et cet achèvement n'est pleinement possible que
quand l'âme de désir en nous s'est soumise à la Loi divine —, la perfection du
mental, de la vie et du corps peut s'accomplir effectivement dans notre nature
transmuée. Ce n'est pas pour la satisfaction personnelle de l'ego que
s'accomplira cette perfection, mais pour que l'ensemble de notre être puisse
constituer un temple convenable de la divine Présence, un instrument sans défaut
du travail divin. Car le travail ne peut vraiment se faire que quand
l'instrument, consacré et parfait, est devenu capable d'une action sans
égoïsme, c'est-à-dire quand sont abolis, non pas l'individu libéré, mais le
désir et l'égoïsme personnels. Même lorsque le petit ego est aboli, la vraie
Personne spirituelle demeure, ainsi que la volonté, le travail et la félicité
de Dieu en elle et l'utilisation spirituelle de sa perfection et de son accomplissement.
Alors, nos œuvres seront divines et faites divinement ; notre mental, notre
vie et notre volonté, consacrés au Divin, seront utilisés pour aider à
l'accomplissement, dans les autres et dans le monde de ce que nous avons
d'abord réalisé en nous-mêmes — toute l'Unité, l'Amour, le Pouvoir, la Liberté
et la Force, la Splendeur et la Joie immortelle que nous pouvons manifester
dans un corps, car tel est le but de l'aventure terrestre de l'esprit.
Le yoga doit donc commencer par un
effort, vers cette concentration totale, ou tout au moins s'orienter
résolument dans cette direction. Une volonté de consécration constante et sans défaillance
de tout en nous au Suprême est exigée de nous, une offrande de notre être tout
entier et des nombreuses chambres de notre nature à l'Éternel qui est le Tout.
L'intégralité effective de notre concentration sur la seule chose nécessaire à
l'exclusion de tout le reste, donnera la mesure de notre consécration à l'Un
qui seul est désirable. Mais finalement, cet exclusivisme n'exclura rien, sauf
la fausseté de notre manière de voir le monde et l'ignorance de notre volonté.
Car notre concentration sur l'Éternel trouvera sa perfection dans le mental
quand nous verrons constamment le Divin, non seulement en lui-même et en nous,
mais en toutes choses, en tous les êtres et tous les événements. Elle trouvera
sa perfection dans notre coeur quand toutes les émotions seront rassemblées
dans l'amour pour le Divin, non seulement le Divin en lui-même et pour
lui-même, mais l'amour du Divin dans tous ses êtres et tous ses pouvoirs,
toutes ses personnalités, toutes ses formes dans l'univers. Elle trouvera sa
perfection dans notre volonté quand nous sentirons et recevrons toujours
l'impulsion divine et l'accepterons comme notre seule force motrice ; et ceci
signifiera qu'ayant détruit les impulsions vagabondes de la nature égoïste
jusqu'au dernier traînard rebelle, nous nous serons universalisés et pourrons
accepter constamment et avec joie la seule action divine en toutes choses.
Telle est la première siddhi fondamentale du yoga intégral.
C'est cela que nous entendons
finalement, et rien de moins, quand nous parlons de consécration absolue de
l'individu au Divin. Mais cette totalité de consécration ne peut s'obtenir que par
un progrès soutenu quand s'est achevé sans réticence le long et difficile
processus de transformation du désir et son extirpation de l'existence. Une
consécration parfaite implique une soumission parfaite.
Sri Aurobindo,
La Synthèse des Yogas - Le yoga des oeuvres, chp II La consécration de soi
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