Sri
Aurobindo a écrit ces aphorismes entre 1914 (ou peut-être même
avant)
et 1920. Leur première publication posthume en anglais, sous
le
titre Thoughts and Aphorisms, date de 1958.
Un court fragment de ce recueil, Thoughts and Glimpses (Aperçus et Pensées), avait été révisé et publié par Sri Aurobindo lui-même avant 1950. (Note de l’éditeur-sabda) http://www.sabda.in
Un court fragment de ce recueil, Thoughts and Glimpses (Aperçus et Pensées), avait été révisé et publié par Sri Aurobindo lui-même avant 1950. (Note de l’éditeur-sabda) http://www.sabda.in
Table des matières
APERÇUS
ET PENSÉES
Aphorismes
Aphorismes
Le
But
La
Joie d’Être
L’Homme,
le Purusha
La
Fin
Les
Chaînes
Aperçus
et Pensées
APERÇUS ET
PENSÉES
Aphorismes
Le But
Quand
nous avons dépassé les savoirs, alors nous avons la
Connaissance.
La raison fut une aide ; la raison est l’entrave.
Quand
nous avons dépassé les velléités, alors nous avons le
Pouvoir.
L’effort fut une aide ; l’effort est l’entrave.
Quand
nous avons dépassé les jouissances, alors nous avons
la
Béatitude. Le désir fut une aide ; le désir est l’entrave.
Quand
nous avons dépassé l’individualisation, alors nous
sommes
des Personnes réelles. L’ego fut une aide ; l’ego est
l’entrave.
Quand
nous dépasserons l’humanité, alors nous serons
l’Homme.
L’animal fut une aide ; l’animal est l’entrave.
Transforme
ta raison en une intuition ordonnée ; que tout en
toi
soit lumière. Tel est ton but.
Transforme
l’effort en un flot égal et souverain de force
d’âme
; que tout en toi soit force consciente. Tel est ton but.
Transforme
la jouissance en une extase égale et sans objet ;
que
tout en toi soit félicité. Tel est ton but.
Transforme
l’individu divisé en la personnalité cosmique ;
que
tout en toi soit divin. Tel est ton but.
Transforme
l’animal en le conducteur des troupeaux ; que
tout
en toi soit Krishna. Tel est ton but.
Ce
que je ne puis faire maintenant est le signe de ce que je
ferai
plus tard. Le sens de l’impossibilité est le commencement
de
toutes les possibilités. C’est parce que cet univers temporel
était
un paradoxe et une impossibilité que l’Éternel l’a créé de
Son
être.
L’impossibilité
est simplement une somme de possibilités
plus
grandes encore irréalisées. Elle voile une étape plus avancée,
un
voyage encore inaccompli.
Si
tu veux que l’humanité progresse, jette bas toute idée
préconçue.
Ainsi frappée, la pensée s’éveille et devient créatrice.
Sinon
elle se fixe dans une répétition mécanique qu’elle
confond
avec son activité véritable.
Tourner
sur son axe n’est pas le seul mouvement pour l’âme
humaine.
Il y a aussi la gravitation autour du Soleil d’une illumination inépuisable.
Prends
d’abord conscience de toi-même au-dedans, puis pense et agis. Toute pensée vivante
est un monde en préparation; tout acte réel est une pensée manifestée. Le monde
matériel existe parce qu’une Idée se mit à jouer dans la conscience divine.
La
pensée n’est pas essentielle à l’existence et n’en est pas la
cause,
mais c’est un instrument pour devenir : je deviens ce que
je
vois en moi-même. Tout ce que la pensée me suggère, je puis
le
faire ; tout ce que la pensée révèle en moi, je puis le devenir.
Telle
devrait être l’inébranlable foi de l’homme en lui-même,
car
Dieu habite en lui.
Notre
tâche n’est pas de toujours répéter ce que l’homme a déjà
fait,
mais de parvenir à de nouvelles réalisations, à des maîtrises
dont
nous n’avons pas encore rêvé. Le temps, l’âme et le monde
nous
sont donnés comme champ d’action ; la vision, l’espoir et
l’imagination
créatrice nous servent d’inspirateurs ; la volonté, la
pensée
et le labeur sont nos très efficaces instruments.
Qu’y
a-t-il de nouveau que nous ayons à accomplir ? L’Amour,
car
jusqu’à présent nous n’avons accompli que la haine et notre
propre
satisfaction ; la Connaissance, car jusqu’à présent nous
ne
savons que faire erreur, percevoir et concevoir ; la Félicité,
car
jusqu’à présent nous n’avons trouvé que le plaisir, la douleur
et
l’indifférence ; le Pouvoir, car jusqu’à présent nous n’avons
accompli
que la faiblesse, l’effort et une victoire toujours
défaite
; la Vie, car jusqu’à présent nous ne savons que naître,
grandir
et mourir ; l’Unité, car jusqu’à présent nous n’avons
accompli
que la guerre et l’association.
En
un mot, la divinité : nous refaire à l’image du Divin.
La Joie d’Être
Si
Brahman n’était qu’une abstraction impersonnelle contredisant
éternellement
le fait apparent de notre existence concrète,
l’annihilation
serait la juste fin de l’affaire ; mais l’amour, la joie
et
la conscience de soi ont aussi leur place.
L’univers
n’est pas simplement une formule mathématique
destinée
à élaborer la relation de certaines abstractions mentales
appelées
nombres et principes, pour aboutir finalement à un
zéro
ou à une unité vide ; ce n’est pas davantage une simple
opération
physique exprimant une certaine équation de forces.
C’est
la joie d’un Dieu amoureux de lui-même, le jeu d’un
Enfant,
l’inépuisable multiplication de soi d’un Poète enivré
par
l’extase de son propre pouvoir de création sans fin.
Nous
pouvons parler du Suprême comme d’un mathématicien
traduisant
en nombres un calcul cosmique, ou comme
d’un
penseur qui résout par expérimentation un problème
de
relation de principes et d’équilibre de forces. Mais nous
devrions
aussi parler de Lui comme de l’amant, du musicien
des
harmonies particulières et universelles, comme de l’enfant,
du
poète. Il ne suffit pas de comprendre son aspect de pensée ;
il
faut encore saisir entièrement son aspect de joie. Les idées,
les
forces, les existences, les principes sont des moules creux, à
moins
qu’ils ne soient remplis du souffle de la joie de Dieu.
Ces
choses sont des images, mais tout est image. Les abstractions
nous
donnent la pure conception des vérités de Dieu ; les
images
nous donnent leur réalité vivante.
Si
l’Idée embrassant la Force engendra les mondes, la Joie
d’Être
engendra l’Idée. C’est parce que l’Infini conçut en
lui‑même une innombrable
joie que les mondes et les univers
prirent
naissance.
La
conscience d’être et la joie d’être sont les premiers parents.
Elles
sont aussi les ultimes transcendances. L’inconscience n’est
qu’un
intervalle d’évanouissement de la conscience ou son obscur
sommeil
; la douleur et l’extinction de soi ne sont que la
joie
d’être se fuyant elle-même afin de se retrouver ailleurs ou
autrement.
La
joie d’être n’est pas limitée dans le temps ; elle est sans fin ni
commencement.
Dieu ne sort d’une forme que pour entrer dans
une
autre.
Après
tout, qu’est Dieu ? Un éternel enfant jouant un jeu
éternel
dans un éternel jardin.
L’Homme, le
Purusha
Dieu
ne peut cesser de se pencher vers la Nature, ni l’homme
d’aspirer
à la divinité. C’est la relation éternelle du fini à l’infini.
Quand
ils semblent se détourner l’un de l’autre, c’est pour
s’élancer
vers une plus intime rencontre.
Dans
l’homme, la nature du monde redevient consciente de
soi
afin de faire un plus grand bond vers son Possesseur. C’est ce
Possesseur
que, sans le savoir, elle possède, que la vie et la sensation
nient,
tout en le possédant, et cherchent, tout en le niant.
Si
la nature du monde ne connaît pas Dieu, c’est qu’elle ne se
connaît
pas elle-même ; quand elle se connaîtra elle-même, elle
connaîtra
une joie d’être sans mélange.
Posséder
dans l’unité et non se perdre dans l’unité, tel est
le
secret. Dieu et l’homme, le monde et l’au-delà deviennent
un
quand ils se connaissent l’un l’autre. Leur division est la
cause
de l’ignorance, de même que l’ignorance est la cause de
la
souffrance.
Tout
d’abord, l’homme cherche aveuglément, et il ne sait
même
pas qu’il cherche son moi divin, car son point de départ
est
l’obscurité de la Nature matérielle, et même quand il
commence
à voir, il reste longtemps aveuglé par la lumière qui
croît
en lui. Dieu aussi ne répond qu’obscurément à sa quête ;
il
recherche l’aveuglement de l’homme et en jouit comme des
mains
d’un petit enfant qui tâtonne vers sa mère.
Dieu
et la Nature sont comme un garçon et une fille qui
jouent,
amoureux l’un de l’autre. Ils se cachent et s’enfuient
quand
ils s’aperçoivent, afin de pouvoir se chercher, se poursuivre
et
se capturer.
L’homme
est Dieu se cachant de la Nature pour pouvoir la
posséder
par la lutte, l’obstination, la violence, la surprise. Dieu
est
l’Homme universel et transcendant qui, dans l’être humain,
se
cache à sa propre individualité.
L’animal
est l’Homme déguisé sous une peau velue et marchant
à
quatre pattes. Le ver est l’Homme qui se tortille et
rampe
vers le développement de son humanité. Même les
formes
brutes de la matière sont l’Homme dans un corps rudimentaire.
Toutes
choses sont l’Homme, le Purusha.
Car,
que voulons-nous dire par Homme ? Une âme incréée
et
indestructible qui a fait sa demeure dans un mental et un
corps
créés de ses propres éléments.
La Fin
La
rencontre de l’homme et de Dieu suppose toujours une
pénétration,
une entrée du divin dans l’humain et une immersion
de
l’homme dans la Divinité.
Mais
cette immersion n’est pas une espèce d’annihilation.
L’extinction
n’est pas l’aboutissement de toute cette recherche
et
cette passion, cette souffrance et cette extase. Le jeu n’aurait
jamais
commencé si telle devait en être la fin.
La
joie est le secret. Apprends la joie pure et tu apprendras
Dieu.
Quel
fut donc le commencement de toute l’histoire ? Une
existence
qui s’est multipliée pour la seule joie d’être et qui s’est
plongée
en d’innombrables milliards de formes afin de pouvoir
se
retrouver elle-même innombrablement.
Et
quel en est le milieu ? Une division qui tend vers une unité
multiple,
une ignorance qui peine vers le torrent d’une lumière
variée,
une douleur en travail pour arriver au contact d’une
extase
inimaginable. Car toutes ces choses sont des formes obscures
et
des vibrations perverties.
Et
quelle sera la fin de toute l’histoire ? Si le miel pouvait
se
goûter lui-même et goûter toutes ses gouttes à la fois, et si
toutes
ses gouttes pouvaient se goûter l’une l’autre, et chacune
goûter
le rayon tout entier comme elle-même, telle serait la fin
pour
Dieu, pour l’âme de l’homme et l’univers.
L’Amour
est la tonique, la Joie est la mélodie, le Pouvoir est
l’accord,
la Connaissance est l’exécutant, le Tout infini est à la
fois
le compositeur et l’auditoire. Nous connaissons seulement
les
discordances préliminaires, qui sont aussi terribles que l’harmonie sera grande
; mais nous arriverons sûrement à la fugue
des
divines béatitudes.
Les Chaînes
Le
monde entier aspire à la liberté, et pourtant chaque créature
est
amoureuse de ses chaînes. Tel est le premier paradoxe
et
l’inextricable nœud de notre nature.
L’homme
est amoureux des liens de la naissance ; aussi se
trouve-t-il
pris dans les liens jumeaux de la mort. Dans ces
chaînes,
il aspire à la liberté de son être et à la maîtrise de son
accomplissement.
L’homme
est amoureux du pouvoir ; aussi est-il soumis à la
faiblesse.
Car le monde est une mer et ses vagues de force se
heurtent
et déferlent sans cesse les unes contre les autres ; celui
qui
veut chevaucher la crête d’une seule vague doit s’effondrer
sous
le choc de cent autres.
L’homme
est amoureux du plaisir ; aussi doit-il subir le
joug
du chagrin et de la douleur. Car la félicité sans mélange
n’existe
que pour l’âme libre et sans passion ; mais ce qui
poursuit
le plaisir dans l’homme est une énergie qui souffre
et
qui peine.
L’homme
est assoiffé de calme, mais il a faim aussi des
expériences
d’un mental agité et d’un cœur inquiet. Pour son
mental,
la jouissance est une fièvre, le calme, une monotone
inertie.
L’homme
est amoureux des limitations de son être physique,
et
cependant il voudrait avoir aussi la liberté de son esprit infini
et
de son âme immortelle.
Et
quelque chose en lui éprouve une étrange attraction pour
ces
contrastes. Pour son être mental, ils constituent l’intensité
artistique
de la vie. Ce n’est pas seulement le nectar, mais le
poison
aussi qui attire son goût et sa curiosité.
Il
existe une signification pour toutes ces choses et une délivrance
de
toutes ces contradictions. Dans ses combinaisons les plus folles, la Nature
suit une méthode, et ses nœuds les plus inextricables ont leur dénouement.
La
mort est la question que la Nature pose continuellement
à
la vie pour lui rappeler qu’elle ne s’est pas encore trouvée
elle-même.
Sans l’assaut de la mort, la créature serait liée pour
toujours
à une forme de vie imparfaite. Poursuivie par la mort,
elle
s’éveille à l’idée d’une vie parfaite et en cherche les moyens
et
la possibilité.
La
faiblesse pose la même épreuve et la même question aux
forces,
aux énergies et aux grandeurs dont nous nous glorifions.
Le
pouvoir est le jeu de la vie ; il en donne la mesure et révèle
la
valeur de son expression. La faiblesse est le jeu de la mort qui
poursuit
la vie dans son mouvement et fait sentir les limites de
l’énergie
qu’elle a acquise.
Par
la douleur et le chagrin, la Nature rappelle à l’âme que
les
plaisirs dont elle jouit sont seulement un faible reflet de
la
joie réelle de l’existence. Chaque souffrance, chaque torture
de
notre être contient le secret d’une flamme d’extase devant
laquelle
nos plus grandes jouissances sont comme des lueurs
vacillantes.
C’est ce secret qui fait l’attraction de l’âme pour
les
grandes épreuves, pour les souffrances et les expériences
terribles
de la vie, alors même que notre mental nerveux les
abomine
et les fuit.
L’agitation
fébrile et le prompt épuisement de notre être actif
et
de ses instruments d’action sont un signe de la Nature que
le
calme est notre vrai fondement et que l’excitation est une
maladie
de l’âme. La stérilité et la monotonie du calme pur et
simple
sont aussi le signe de la Nature que le jeu de l’action sur
cette
base inaltérable est ce qu’elle attend de nous. Dieu joue à
jamais
et n’est pas troublé.
Les
limitations du corps sont un moule ; l’âme et le mental
doivent
se verser en elles, les briser et les refaçonner constamment
en
de plus vastes limites, jusqu’à ce que soit trouvée la
formule
d’accord entre cette finitude et leur propre infinité.
La
liberté est la loi de l’être en son unité illimitable, le maître
secret
de la Nature tout entière. La servitude est la loi de l’amour
en
l’être qui se donne volontairement pour servir le jeu de ses
autres
« moi » dans la multiplicité.
Quand
la liberté travaille dans les chaînes et quand la servitude
devient
une loi de la Force et non de l’Amour, la vraie
nature
des choses est déformée et le mensonge gouverne l’action
de
l’âme dans l’existence.
La
Nature part de cette déformation et joue avec toutes les
combinaisons
qui peuvent en résulter avant de lui permettre
d’être
rectifiée. Ensuite, elle rassemble l’essence de toutes ces
combinaisons
en une nouvelle et féconde harmonie d’amour
et
de liberté.
La
liberté vient d’une unité sans limites, car tel est notre être
véritable.
Nous pouvons trouver en nous-mêmes l’essence de
cette
unité ; nous pouvons aussi devenir conscients de son jeu
en
union avec tous les autres. Cette double expérience est le
dessein
intégral de l’âme dans la Nature.
Quand
nous avons réalisé en nous-mêmes l’unité infinie,
alors
nous donner au monde est liberté parfaite et empire
absolu.
Infinis,
nous sommes affranchis de la mort, car la vie devient
un
jeu de notre existence immortelle. Nous sommes affranchis
de
la faiblesse, car nous sommes la mer tout entière jouissant
des
myriades de chocs de ses vagues. Nous sommes affranchis
du
chagrin et de la douleur, car nous apprenons à harmoniser
notre
être avec tout ce qui le touche et à trouver en toute chose
l’action
et la réaction de la joie de l’existence. Nous sommes
affranchis
des limitations, car le corps devient un jouet de
l’esprit
infini et apprend à obéir à la volonté de l’âme immortelle.
Nous
sommes affranchis de la fièvre du mental nerveux
et
du cœur, et cependant nous ne sommes pas contraints à
l’immobilité.
L’immortalité,
l’unité et la liberté sont en nous, attendant
notre
découverte ; mais pour la joie de l’amour, Dieu en nous
sera
toujours la Multitude.
Aperçus et
Pensées
Certains
pensent qu’il est présomptueux de croire à une Providence
particulière
ou de se considérer comme un instrument
entre
les mains de Dieu. Mais je trouve que chaque homme a
une
Providence spéciale et je vois que Dieu manie la pioche de
l’ouvrier
et babille dans le petit enfant.
La
Providence n’est pas seulement ce qui me sauve du naufrage
quand
tous les autres ont péri. La Providence est aussi ce
qui
m’arrache ma dernière planche de salut, tandis que tous les
autres
sont sauvés, et me noie dans l’océan désert.
La
joie de la victoire est quelquefois moindre que l’attraction
de
la lutte et de la souffrance ; pourtant, le laurier et non la
croix
doit être le but de l’âme conquérante.
Les
âmes qui n’aspirent pas sont les échecs de Dieu, mais
la
Nature est satisfaite et aime à les multiplier, parce qu’elles
assurent
sa stabilité et prolongent son empire.
Ceux
qui sont pauvres, ignorants, mal nés et mal éduqués
ne
sont pas le troupeau vulgaire. Le vulgaire comprend
tous
ceux qui sont satisfaits de la petitesse et de l’humanité
moyenne.
Aide
les hommes, mais n’appauvris pas leur énergie. Dirige
et
instruis-les, mais aie soin de laisser intactes leur initiative et
leur
originalité. Prends les autres en toi-même, mais donne-leur
en
retour la pleine divinité de leur nature. Celui qui peut
agir
ainsi est le guide et le guru.
Dieu
a fait du monde un champ de bataille et l’a rempli du
piétinement
des combattants et des cris d’un grand conflit et
d’une
grande lutte. Voudrais-tu dérober sa paix sans payer le
prix
qu’il a fixé ?
Méfie-toi
d’un succès apparemment parfait ; mais quand,
après
avoir réussi, tu trouves encore beaucoup à faire, réjouis-toi
et
va de l’avant car le labeur est long jusqu’à la réelle
perfection.
Il
n’y a pas d’erreur plus engourdissante que de prendre une
étape
pour le but ou de s’attarder trop longtemps à une halte.
Partout
où tu vois une grande fin, sois sûr d’un grand
commencement.
Quand une douloureuse et monstrueuse
destruction
épouvante ta pensée, console-la avec la certitude
d’une
vaste et grande création. Dieu est là, non seulement
dans
la petite voix tranquille, mais aussi dans le feu et dans le
tourbillon.
Plus
la destruction est grande, plus libres sont les chances
de
création ; mais la destruction est souvent longue, lente,
oppressive,
la création souvent tarde à venir et son triomphe est
interrompu.
La nuit revient encore et encore, et le jour s’attarde
ou
semble même avoir été une fausse aurore. Ne désespère donc
point,
mais veille et travaille. Ceux qui espèrent avec violence
sont
prompts à désespérer. N’espère ni ne crains, mais sois sûr
du
dessein de Dieu et de ta volonté d’accomplir. La main du
divin
Artiste œuvre souvent comme si elle n’était pas sûre de
son
génie ni de ses matériaux. Elle semble toucher, essayer et
laisser,
reprendre et rejeter, reprendre encore, peiner et échouer,
raccommoder
et rapiécer. Les surprises et les déceptions sont
dans
l’ordre de son travail avant que tout ne soit prêt. Ce qui
était
choisi est rejeté dans l’abîme de la réprobation. Ce qui
était
rejeté devient la pierre d’angle d’un puissant édifice. Mais
derrière
tout cela, il y a l’œil assuré d’une connaissance qui surpasse notre raison et
le sourire sans hâte d’un infini pouvoir.
Dieu
a tout le temps devant lui et n’a point besoin de toujours
se
presser. Il est certain de son but et du succès, et n’hésite
pas
à briser cent fois son œuvre pour l’amener plus près de la
perfection.
La patience est la première grande leçon nécessaire,
mais
non la lourde lenteur à se mouvoir du timide, du sceptique,
du
fatigué, de l’indolent, du faible ou de l’homme sans
ambition
: la patience pleine d’une force calme et concentrée
qui
veille et se prépare pour l’heure des grands coups rapides,
peu
nombreux mais qui suffisent à changer la destinée.
Pourquoi
Dieu martèle-t-il son monde avec tant d’acharnement,
pourquoi
le piétiner et le pétrir comme de la pâte,
pourquoi
le jeter si souvent dans un bain de sang et dans
l’embrasement
infernal de la fournaise ? Parce que l’humanité
dans
son ensemble est encore un vil minerai grossier et dur
qui
autrement ne se laisserait jamais fondre ni modeler. Tels les
matériaux,
telles les méthodes. Que le minerai se laisse transmuer
en
un métal plus noble et plus pur, et les procédés de
Dieu
envers lui seront plus doux et plus bénins, et les usages
qu’il
en fera, plus raffinés et plus beaux.
Pourquoi
Dieu a-t-il choisi ou fabriqué de tels matériaux
quand
il pouvait choisir dans l’infini des possibilités ? Parce que
son
Idée divine avait en vue non seulement la beauté, la douceur
et
la pureté, mais aussi la force, la volonté et la grandeur.
Ne
méprise pas la force et ne la hais point à cause de la laideur
de
certaines de ses faces, et ne pense pas non plus que Dieu soit
seulement
amour. Toute perfection parfaite doit receler en elle
quelque
chose du héros et même du Titan. Mais la plus grande
force
naît de la plus grande difficulté.
Tout
changerait si seulement l’homme consentait à être spiritualisé.
Mais
sa nature mentale, vitale et physique se révolte
contre
la loi supérieure. Il aime son imperfection.
L’Esprit
est la vérité de notre être. Dans leur imperfection,
le
mental, la vie et le corps sont ses masques ; mais dans leur
perfection,
ils seraient ses formes. Être spirituel ne suffit pas ;
cela
prépare un certain nombre d’âmes au ciel mais laisse la
terre
exactement où elle est. Un compromis n’est pas non plus
le
chemin du salut.
Le
monde connaît trois sortes de révolutions. Les révolutions
matérielles
ont de puissants résultats ; les révolutions morales et
intellectuelles
sont infiniment plus vastes dans leur horizon et
plus
riches dans leurs fruits ; mais les révolutions spirituelles
sont
les grandes semailles.
Si
ces trois changements pouvaient coïncider en un parfait
accord,
une œuvre sans défaut serait accomplie. Mais le mental
et
le corps de l’homme ne peuvent pas contenir parfaitement la
puissance
du flot spirituel ; la plus grande partie en est gaspillée
et
beaucoup du reste, perverti. Dans notre sol, de nombreux
labours
intellectuels et physiques sont nécessaires pour obtenir
une
maigre récolte à partir de vastes semailles spirituelles.
Chaque
religion a aidé l’humanité. Le paganisme a augmenté
dans
l’homme la lumière de la beauté, la largeur et la grandeur
de
la vie, la tendance à une perfection multiforme. Le christianisme
lui
a donné quelque vision de charité et d’amour divins.
Le
bouddhisme lui a montré un noble moyen d’être plus sage,
plus
doux, plus pur ; le judaïsme et l’islamisme, comment être
religieusement
fidèle en action et zélé dans sa dévotion pour
Dieu.
L’hindouisme lui a ouvert les plus vastes et les plus profondes
possibilités
spirituelles. Ce serait une grande chose si
toutes
ces vues de Dieu pouvaient s’embrasser et se fondre l’une
en
l’autre ; mais les dogmes intellectuels et l’égoïsme des cultes
barrent
le chemin.
Toutes
les religions ont sauvé un certain nombre d’âmes, mais
aucune
n’a encore été capable de spiritualiser l’humanité. Pour
cela,
ce ne sont pas les cultes ni les credo qui sont nécessaires,
mais
un effort soutenu d’évolution spirituelle individuelle qui
englobe
tout.
Les
changements que nous voyons dans le monde aujourd’hui
sont
intellectuels, moraux, physiques dans leur idéal et leur
intention.
La révolution spirituelle attend son heure et, pendant
ce
temps, fait surgir ses vagues ici et là. Jusqu’à ce qu’elle
vienne,
le sens des autres changements ne peut pas être compris;
et jusqu’à ce moment-là, toutes les interprétations des
événements
présents et toutes les prévisions de l’avenir humain
sont
choses vaines. Car la nature de cette révolution, sa puissance
et
son issue sont ce qui déterminera le prochain cycle de
notre
humanité.
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