L'évolution de la Vie dans la
matière implique une involution préalable de la Vie dans la matière, à moins
que nous ne supposions que la Vie est une création nouvelle introduite en la
Nature par magie inexplicablement. Dans ce cas, il faudrait qu'elle fût : ou
bien une création sortie de rien, ou bien un résultat d'opérations matérielles
dont rien ne rend compte — rien qui appartient à ces opérations elles-mêmes,
ni à aucun de leurs éléments qui soient de nature analogue ; ou encore, comme
on peut aussi le concevoir, elle pourrait être une descente d'en haut, de
quelque plan supraphysique au-dessus de l'univers matériel. Les deux premières suppositions
peuvent être écartées comme des conceptions arbitraires ; la dernière
explication est plausible : il est parfaitement concevable — et même, si l'on
envisage les choses du point de vue occulte, il est parfaitement vrai — qu'une
pression venue de quelque plan de Vie supérieur au monde matériel ait aidé à
l'émergence de la vie dans notre univers. Mais cela n'exclut pas que le mouvement
premier et nécessaire ne doive être l'émergence de la Vie hors de la Matière
même ; car l'existence d'un monde de Vie ou d'un plan de Vie supérieurs au monde
matériel ne conduit pas de soi-même à l'émergence de la Vie dans la matière, à
moins que ce plan de Vie n'existe comme un stade créateur de formes dans une descente
de l'Être en l'Inconscience par plusieurs degrés ou pouvoirs de lui-même, avec
ce résultat qu'il s'involue de lui-même, avec tous ces pouvoirs, dans la
Matière, en vue d'une évolution, d'une émergence ultérieures. Que les signes de
cette vie submergée soient découvrables, non organisés encore ou rudimentaires,
dans les choses matérielles, ou qu'il n'y ait point de tels signes parce que
cette Vie involuée est en plein sommeil, c'est une question secondaire. L'Énergie
matérielle qui agrège, forme et désagrège (1) est la même Puissance, à un autre
degré, que l'énergie de Vie qui s'exprime dans la naissance, la croissance et
la mort, tout comme, en faisant les oeuvres de l'Intelligence. en sa
subconscience somnambulique, elle se révèle être cette même Puissance qui, à un
autre degré encore, atteint l'état de Mental ; son caractère même montre,
qu'elle contient en elle — mais non encore en leur organisation et processus caractéristiques
— les pouvoirs non encore libérés du Mental et de la Vie.
La Vie se révèle donc comme essentiellement
la même partout, de l'atome à l'homme, l'atome contenant la substance et le
mouvement d'être subconscients qui sont libérés sous forme de conscience dans
l'animal, la vie végétale étant un stade intermédiaire dans l'évolution. La Vie
est en réalité une opération universelle de la Force-Consciente agissant subconsciemment
sur la Matière et en elle ; elle est l'opération qui crée, maintient, détruit
et recrée des formes ou corps, et qui essaie, par un jeu de force nerveuse,
c'est-à-dire par des courants réciproques d'énergie stimulatrice, d'éveiller en
ces corps la sensation consciente. En cette opération, il y a trois stades :
l'inférieur, où la vibration est encore dans le sommeil de la Matière,
entièrement subconsciente au point de sembler complètement mécanique; l'intermédiaire,
où elle devient capable d'une réponse encore sub-mentale, niais à la limite de
ce que nous appelons conscience ; et la supérieure, où la vie fait apparaître la
mentalité consciente sous la forme d'une sensation mentalement perceptible qui,
dans la transition, devient la base du développement du mental sensoriel et de l'intelligence.
C'est dans le stade moyen que nous saisissons l'idée que la Vie est distincte
de la Matière et du Mental, mais en réalité, elle est la même en tous les stades,
toujours un moyen terme entre le Mental et la Matière, constituant de la Matière,
imprégné du Mental. Elle est Une opération de la Force-Consciente qui n'est ni
le fait de donner forme à la substance, ni le jeu du mental avec la substance
et la forme comme objet d'appréhension ; elle est plutôt une dynamisation de l'être
conscient qui est cause et soutien de la formation de substance, qui est aussi
source et soutien intermédiaires de l'appréhension mentale consciente. La Vie, en tant que cette
dynamisation intermédiaire (l'être conscient, libère en action et réaction
sensibles une forme de la force d'existence créatrice qui œuvrait absorbée en
sa propre substance ; elle soutient et libère en action la conscience d'existence
appréhensive, appelée mental, et lui donne un appareil dynamique afin qu'elle
puisse agir non seulement sur ses propres formes, mais sur les formes de la vie
et de la matière ; agissant comme intermédiaire, elle relie et soutient le mental
et la matière dans leurs rapports usuels. Le moyen de ce commerce entre eux, la
Vie le fournit par les courants continuels de son énergie nerveuse pulsatoire
qui apportent la force de la forme en tant que sensation afin de modifier le
Mental, et ramènent la force du Mental en tant que volonté afin de modifier la
Matière. C'est donc cette énergie nerveuse que nous entendons généralement
quand nous parlons de la Vie ; c'est le prâna
ou Force de vie de la classification indienne. Mais l'énergie nerveuse
n'est que la forme qu'elle prend dans l'être animal ; la même énergie prânique est
présente en toutes formes, jusqu'en l'atome même puisqu'elle est partout la même
en essence, puisqu'elle est partout la même opération de la force-Consciente —la
Force soutenant et modifiant l'existence substantielle de ses propres formes,
la Forces avec les sens et le mental secrètement actifs mais d'abord involués
dans la forme et se préparant à émerger, puis enfin émergeant de leur involution.
Tel est le sens intégral de la Vie omniprésente qui a manifesté l'univers matériel
et l'habite.
(1) La
naissance, la croissance et la mort de la vie sont, en leur aspect extérieur,
le même processus d'agrégation, de formation et de désagrégation — bien que,
dans leur processus et leur signification intérieurs. elles soient plus encore.
Même l'animation d'un corps par l'être psychique — si la vue occulte de cet
choses est juste — suit un processus extérieur analogue, car l'âme en tant que
noyau, pour naître attire à soi et s'agrège les éléments de ses gaines
mentales, vitales et physiques et de leurs contenus, accroit pendant la vie ces
formations, et en son départ abandonne et désagrège de nouveau ces agrégats,
retirant en soi ses puissances intérieures, jusqu'à ce que, en une nouvelle
naissance, elle recommence le processus originel.
Sri Aurobindo, LA VIE DIVINE, T.1, chp. 19 La Vie
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