"Cette conception de la Personne et de
la Personnalité, si nous l'acceptons, doit dès lors modifier nos idées
courantes sur l'immortalité de l'âme; car normalement, quand nous
affirmons que l'âme ne meurt pas, nous voulons dire que survit après la
mort une personnalité définie et immuable qui était et restera toujours
la même pour l'éternité. C'est pour le « je » très imparfait et
superficiel du moment, considéré évidemment par la Nature comme une
forme temporaire qui ne vaut pas la peine d'être conservée, que nous
exigeons ce droit prodigieux à la survie et à l'immortalité. Mais cette
exigence est extravagante et ne peut être satisfaite : la survie du « je
» du moment ne peut être admise, que s'il consent à changer, à ne plus
être lui-même mais un autre, plus grand, meilleur, plus lumineux en
connaissance, se modelant davantage sur l'image de la beauté intérieure
éternelle, progressant de plus en plus vers la divinité de l'Esprit
secret. C'est cet esprit secret, cette divinité du Moi en nous qui ne
périt point, parce qu'elle est non-née et éternelle. L'entité psychique
au-dedans qui la représente, l'individu spirituel en nous est la
Personne que nous sommes; mais le « je » du moment, le « je » de cette
vie-ci n'est qu'une formation, une personnalité temporaire de cette
Personne intérieure, c'est l'une des, nombreuses étapes de notre
changement dans l'évolution, et elle ne sert son dessein véritable que
quand nous la dépassons pour aller vers une étape ultérieure qui nous
rapproche d'un plus, haut degré de conscience et d'existence. C'est la
Personne intérieure qui survit à la mort tout comme elle préexiste à la
naissance; car cette survie constante est une traduction, en termes de
Temps, de l'éternité de notre Esprit intemporel.
Ce que nous exigeons normalement,
c'est une survie similaire de notre mental, de notre vie et même de
notre corps : le dogme de la résurrection du corps témoigne de cette
dernière exigence qui a été aussi à l'origine de l'effort de l'homme, à
travers les âges, pour découvrir l'élixir d'immortalité ou des moyens
magiques, alchimiques ou scientifiques de vaincre physiquement la mort
du corps. Mais cette aspiration ne pourrait se réaliser que si le
mental, la vie ou le corps pouvaient revêtir une part de l'immortalité
et de la divinité de l'Esprit qui demeure au-dedans. Dans certaines
circonstances, la survie de la personnalité mentale extérieure qui
représente le Pourousha mental intérieur serait peut-être possible. Elle
pourrait se produire si notre être mental venait à être si puissamment
individualisé à la surface, si uni au mental intérieur et au Pourousha
intérieur et, en même temps, si souplement ouvert à l'action progressive
de l'Infini que l'âme n'aurait plus besoin de dissoudre l'ancienne
forme du mental et d'en créer une nouvelle pour progresser. Seules une
individualisation, une intégration et une ouverture similaires de l'être
vital à la surface rendraient possible une survie similaire de la
partie vitale en nous, de la personnalité vitale extérieure qui
représente l'être vital intérieur, le Pourousha vital. Ce qui arriverait
en réalité, c'est que le mur entre le moi intérieur et l'homme
extérieur serait abattu et l'être mental et vital permanent,
représentant mental et vital de l'entité psychique immortelle,
gouvernerait la vie au dedans. Notre nature mentale et notre nature
vitale pourraient alors être une expression progressive continue de
l'âme et non un lien entre des formations successives dont l'essence
seule est conservée Notre personnalité mentale et notre personnalité
vitale subsisteraient alors sans dissolution de naissance en naissance;
elles seraient alors, en ce sens, immortelles, survivraient en
permanence, continues dans le sens de leur identité. Ce serait
évidemment une immense victoire de l'âme, du mental et de la vie sur
l'Inconscience et les limitations de la Nature matérielle.,
Mais une telle survie ne pourrait durer
que dans le corps subtil; l'être devrait encore se défaire de sa forme
physique, passer dans d'autres mondes et, à son retour, revêtir un
nouveau corps. Le Pourousha mental et le Pourousha vital éveillés,
conservant l'enveloppe mentale et l'enveloppe vitale du corps subtil qui
sont habituellement abandonnées, retourneraient avec elles dans une
nouvelle vie et conserveraient le sens vif et soutenu d'un être mental
et vital permanent constitué par le passé et continuant dans le présent
et l'avenir; mais la base de l'existence physique, le corps matériel ne
pourrait être conservé même par ce changement. L'être physique ne
pourrait durer que si, par certains moyens, ses causes physiques de
déclin et de désintégration pouvaient être surmontées et qu'en même
temps il pouvait être rendu assez souple et progressif dans sa structure
et son fonctionnement pour pouvoir répondre à chaque changement exigé
de lui par le progrès de la Personne intérieure; il devait être capable
de marcher du même pas que l'âme dans la formation de la personnalité
qu'il exprime, dans le long déploiement d'une divinité spirituelle
secrète et dans la lente transformation du mental en divine existence
mentale ou spirituelle. Cet accomplissement d'une triple immortalité :
immortalité de la nature complétant l'immortalité essentielle de
l'Esprit et la survie psychique à la mort, pourrait bien être le
couronnement de la renaissance et une indication capitale de la conquête
de l'Inconscience et de l'Ignorance matérielle jusque dans les
fondations mêmes du règne de la Matière. Mais la véritable immortalité
serait malgré tout l'éternité de l'Esprit : la survie physique ne
pourrait être que relative, interrompue à volonté, signe temporel de la
victoire de l'Esprit ici-bas sur la Mort et la Matière.
Même si la science — physique ou occulte
— parvenait à découvrir les conditions ou les moyens nécessaires à une
survie indéfinie du corps, mais que par ailleurs le corps ne pouvait
s'adapter suffisamment pour devenir un instrument d'expression approprié
de la croissance intérieure, l'âme trouverait une manière de
l'abandonner et de passer à une nouvelle incarnation. Les causes
matérielles ou physiques de la mort ne sont ni sa vraie ni sa seule
raison d'être : sa vraie cause intrinsèque est qu'elle est
spirituellement nécessaire à l'évolution d'un être nouveau."
Sri Aurobindo, La Vie Divine, Chapitre XXII: La renaissance et les autres mondes: le karma, l'âme et l'immortalité".
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