La création n’est pas la production ou la
projection de quelque chose hors de rien ou d’une chose hors d’une autre, mais
l’objectivation de Brahman lui-même dans les catégories de l’espace et du
temps. La création n’est pas une construction mais un devenir, dans les
conditions et les formes de l’existence consciente.
Dans le devenir,
chaque individualité est Brahman diversement représenté et entrant en rapports
divers avec lui-même dans le jeu de sa conscience divine : chaque
individualité qui est, est tout Brahman.
Absolu et
universel, Brahman, dans la relativité, se tient, pour ainsi dire, comme en
arrière de lui-même. Il conçoit, par un mouvement secondaire de la conscience,
l’individuel comme autre que l’universel, le relatif comme étranger à l’absolu.
Sans ce mouvement distinctif, l’individu tendrait toujours vers la dissolution
dans l’universel, le relatif disparaîtrait dans l’absolu. Ce mouvement comporte
donc une réaction correspondante de l’individuel qui se regarde comme
« autre » que l’universel et transcendant Brahman, et
« autre » que le reste de la multiplicité. Il se retire ainsi de
l’identité et fortifie le jeu de l’Être dans la séparativité de l’ego.
L’individuel peut
se regarder comme éternellement différent de l’Unique, soit comme éternellement
un avec lui, bien que distinct de lui. Il peut aussi se replonger entièrement
dans la pure conscience de l’identité*. Mais il ne peut d’aucune façon se
regarder comme indépendant de toute unité, une telle vue ne correspond à rien
de concevable dans l’univers ou au-delà de lui.
Ces trois attitudes
correspondent à trois vérités de Brahman, vraies simultanément non isolément,
vraies si elles se complètent non si elles s’excluent. Leur simultanéité,
difficile à concevoir pour l’intelligence logique, peut-être expérimentée par
l’identification consciente avec Brahman.
Même quand nous
affirmons l’Unité, nous devons nous souvenir que Brahman est au-delà de nos
distinctions mentales ; que cette Unité est le fait non de la pensée qui
discerne, mais de l’être qui est absolu, infini, et qui échappe au
discernement.
Notre conscience
est représentative et symbolique. Elle ne connaît pas l’Absolu en soi, et ne le
conçoit que d’une façon négative, en le vidant de tout ce qui est dans le temps
comme hors du temps.
Car l’unité n’est
qu’une représentation. Elle n’existe que par rapport au multiple. Vidyâ
et avidyâ sont également pouvoirs éternels du suprême Chit. Ni vidyâ
ni avidyâ, en elles mêmes, ne sont l’absolue connaissance.
C’est
pourtant l’Unité et non la multiplicité qui constitue la base secrète de tous
les rapports. L’Unité génère et soutien la multiplicité ; la multiplicité
ne génère ni ne soutien l’Unité.
Nous devons
donc concevoir l’Unité comme le « Moi » et la nature essentielle de
l’être ; la multiplicité comme la représentation du « Moi » et
son devenir. Nous devons concevoir Brahman comme le Soi unique de tout et la
multiplicité comme les devenirs de cet Être unique (Bhûtâni... Atman).
Le Soi et les devenir sont tous deux Brahman ; on ne peut considérer l’un
comme Brahman et l’autre comme illusoire, car ils sont réels l’un et
l’autre : l’un d’une réalité essentielle et compréhensive ; l’autre,
dérivée et conditionnelle.
*Ce sont là les principes des
trois plus importantes écoles de philosophie védantique : Dvaïta (dualisme),
Vishishtâdvaïta (monisme atténué), Advaïta (monisme exclusif).
Sri Aurobindo,
Trois Upanishads: Isha, Kena, Mundaka
Isha
Upanishad , Brahman l'unité de Dieu et du monde-La multitude-
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