La
distinction entre le Divin transcendant, le Divin cosmique et le Divin
individuel n'est pas de mon invention, elle n'est pas non plus originaire de
l'Inde ni de l'Asie; c'est au contraire un enseignement européen reconnu et
courant dans la tradition ésotérique de l'Église catholique où elle est
l'explication autorisée de la Trinité – Père, Fils et Saint-Esprit – et elle
est très répandue dans l'expérience mystique européenne. En essence elle existe
dans toutes les disciplines spirituelles qui admettent l'omniprésence du Divin,
dans l'expérience védântique indienne et dans le yoga musulman (non seulement dans
le soufisme, mais aussi dans d'autres écoles); les musulmans parlent même non
seulement de deux ou trois plans du Divin, mais de plusieurs jusqu'au Suprême.
En ce qui concerne la conception elle-même, nul doute qu'il existe une
différence entre l'individu, le cosmos dans l'espace et le temps, et quelque
chose qui dépasse cette formule cosmique ou même toutes les formules cosmiques.
Nombreux sont ceux qui ont eu l'expérience d'une conscience cosmique tout à fait
différente, en portée et en action, de la conscience individuelle, et si,
au-delà de la conscience cosmique, il existe une conscience infinie et
éternelle par essence et non seulement par son étendue dans le Temps, celle-ci
doit, elle aussi, être différente des deux autres. Et si le Divin existe ou se
manifeste dans les trois, n'est-il pas concevable que par Son aspect, dans Son action,
Il puisse se différencier Lui-même au point que nous soyons conduits, si nous
ne voulons pas brouiller toute la vérité de l'expérience, si nous ne devons pas
nous limiter à une expérience purement statique de quelque chose d'indéfinissable,
à parler d'un triple aspect du Divin?
Dans
la pratique du yoga la dynamique est très différente selon la manière dont on
aborde ces trois réalisations possibles. Si je réalise le Divin uniquement
comme ce qui n'est pas mon moi personnel, mais qui cependant fait mouvoir secrètement
tout mon être personnel et que je puis faire sortir de derrière le voile, ou si
je crée une image de cette divinité dans les divers éléments de moi-même, c'est
une réalisation, mais elle est limitée. Si c'est la Divinité cosmique que je réalise,
si je dissous en elle tout mon moi personnel, c'est une réalisation très vaste,
mais je deviens un simple canal pour le Pouvoir universel et aucun
accomplissement personnel ou divinement individuel n'est possible pour moi. Si
je m'élance vers la seule réalisation transcendante, je me perds, et du même
coup je perds le monde, dans l'Absolu transcendant. Si au contraire mon but
n'est rien de tout cela, mais que je veuille réaliser et aussi manifester le
Divin dans le monde, faire descendre à
cette fin un Pouvoir non encore manifesté – comme le supramental – une
harmonisation de ces trois réalisations devient indispensable. Il faut que je
le fasse descendre, et d'où le ferais-je descendre, puisqu'il n'est pas encore
manifesté dans la formule cosmique, sinon de la Transcendance non manifestée
que je dois atteindre et réaliser? Il faut que je le fasse descendre dans la
formule cosmique et s'il en est ainsi, je dois réaliser le Divin cosmique et
devenir conscient du moi cosmique et des forces cosmiques. Mais il faut que je
lui fasse prendre corps ici, sinon il continue à n'être qu'une influence et non
une chose fixée dans le monde physique, et c'est seulement par l'entremise du
Divin dans l'individu que cela peut être fait.
Ce
sont là des éléments de la dynamique de l'expérience spirituelle et je suis
obligé de les admettre pour qu'une œuvre divine soit accomplie.
Sri Aurobindo, Lettres sur le yoga
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire