— Le premier résultat radical de mon propre yoga fut de me
conduire au nirvâna. Je fus soudainement projeté dans un état au-dessus de la
pensée et sans pensée, que n'entache aucun mouvement mental ni vital. Pas d'ego
ni de monde réel, sauf que, si l'on regardait au travers des sens immobiles,
quelque chose percevait ou portait, sur son pur silence, un monde de formes
vides, des ombres matérialisées, dépourvues de vraie substance. Pas de Un ni
même de plusieurs. Tout simplement et absolument Cela, sans traits ni rapports,
pur, indescriptible, inconcevable, absolu, et cependant suprêmement réel,
uniquement réel. Non pas une réalisation mentale ni quelque chose d'aperçu
quelque part là-haut, non pas une abstraction. C'était positif, la seule
réalité positive qui, bien que n'étant pas un univers physique et spatial,
s'infiltrait, pénétrait ou plutôt submergeait et noyait ce semblant de monde
physique, ne laissait ni place ni espace à aucune réalité autre qu'elle-même,
ne permettait à rien d'autre de paraître aucunement actuel, positif ou
substantiel. Je ne peux pas dire que cette expérience, telle que je la connus
alors, ait rien eu de transportant ou d'enivrant (quant à celle de l'ânanda
ineffable, je l'eus des années plus tard), mais ce qu'elle m'apporta fut une
Paix indicible, un silence prodigieux, une libération et une liberté infinies.
Je vécus jour et nuit dans ce nirvâna avant qu'il ne commençât d'admettre
d'autres choses en lui-même ou de se modifier en aucune façon. Le coeur même
de l'expérience, son souvenir constant et le pouvoir d'y retourner subsistèrent
jusqu'à ce que, à la fin, cela commençât à se fondre en une Supraconscience
encore plus grande et qui venait d'en haut. Mais, entre-temps, les réalisations
s'ajoutaient les unes aux autres et venaient s'immerger en l'expérience
originelle. Très tôt, l'aspect de monde illusoire fit place à un autre aspect
où l'illusion* n'est qu'un petit phénomène de surface avec une immense Réalité
divine derrière lui, une suprême Réalité divine au-dessus de lui et une intense
Réalité divine au coeur même de tout ce qui, au premier abord, n'avait semblé
qu'une ombre ou forme cinématique. Et il ne s'agissait pas d'un nouvel emprisonnement
des sens, d'une diminution ou chute du haut de l'expérience suprême, mais
plutôt d'une élévation et d'un élargissement constants de la vérité. C'était
l'esprit qui voyait les choses, non plus les sens, et la Paix, le silence, la
liberté en l'infini demeuraient à jamais, le monde ou tous les mondes n'étant
qu'un incident continu dans l'éternité divine hors du temps.
*. En fait, ce n'était pas une illusion au sens d'une chose
sans fondement ni réalité et qui est imposée à la conscience, mais une fausse
interprétation par le mental conscient et les sens, un emploi abusif et falsificateur
d'une existence manifestée.
Sri Aurobindo, Lettres Sur le Yoga
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