Déesse, suprême lucre du Rêve, quand tu te
tiens à tes portes d'ivoire,
qui sont ces êtres qui descendent vers
les hommes dans tes visions qui se pressent sur la pente des ombres ?
Rêve après rêve, éblouissants, ils irradient
encore la flamme des étoiles ;
des ombres près de toi flottent dans une
obscurité où dansent les lucioles,
scintillent et clignent les étoiles et
le météore errant étincelle;
des voix appellent leurs proches qui
répondent ; voix douces qui frappent au coeur
et ravissent l'âme à l'écoute.
Quelles sont donc ces contrées et ces
plages dorées et ces mers plus radieuses
que ne peut imaginer la terre ?
Quels sont ces êtres qui cheminent au
bord des vagues pourpres courant vers ton rivage de jaspe,
bordé de falaises, sous des cieux où muse
le mystère,
drapés dans un clair de lune qui n'est
point de notre nuit ou baignés dans un soleil
qui n'est point du jour ?
Et ces êtres qui approchent, sillonnant
tes océans, sur ces navires dont l'homme n'a point tissé les voiles,
poussés par des vents qui ne soufflent
point de la terre ?
Pourquoi s'unissent-ils en une suite
mystique aux hommes du rivage, joignant leurs mains en d'étranges
et majestueuses danses ?
Toi, sur les cimes de l'air, une flamme
à la chevelure, observant le tournoiement de tes merveilles,
tu maintiens la nuit sous ta loi millénaire,
Mère divine, bleu jacinthe, par une ceinture de beauté défendue.
Munie d'une épée de feu, attisant le
désir, tu gardes ton sombre royaume,
dans une douceur stellaire, la lune à
tes pieds, tantôt cachée tantôt visible
entre les nuages dans l'obscurité et le
flot de tes tresses.
À ceux-là seuls qu'élut ta fantaisie, ô toi
au cœur libre, est-il donné de voir ta magie et de sentir tes caresses.
Ouvre les portes où tes enfants
attendent dans leur monde d'une beauté sans ombre.
Trônant haut sur un nuage, j'ai aperçu
Maghavan à cheval, victorieux et fier,
quand il est suivi des armées du vent ;
Du ciel j'ai goûté les délices et des
fruits de saveur immortelle ;
j'ai bu le nectar des royaumes divins et
perçu les accents de la musique étrange
d'une lyre dont l'art nous échappe ;
les portes se sont grand ouvertes sur
les salles glorieuses où résident les Dieux
et dansent les Apsaras en leurs rondes
de plus en plus rapides.
Car c'est toi la première que nous
voyons quand nous franchissons les bornes du mortel
là, aux portes des domaines célestes, tu
as planté ta baguette enchantée qui oscille
au-dessus de la tête du Yogi.
De toi viennent le rêve et les ombres qui
paraissent et les lumières fugitives qui nous leurrent ;
tienne est l'ombre où les visions se
forment ; précipitées par tes mains, des célestes contrées arrivent les âmes
qui se réjouissent à jamais.
Par tes mondes de rêve nous passons ou
regardons dans ton miroir magique,
puis au-delà de toi nous grimpons
hors de l'Espace et du Temps vers le pic
de la divine aventure.
Sri Aurobindo, Poèmes, 1908-1909 (écrit dans la prison d'Alipore)
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