L'Aurore dans
son trajet éternel qui commande le labeur des mortels,
L'Aurore
initiatrice des choses, avec la nuit pour leur repos ou pour leur terme,
Pâle et les
lèvres vermeilles, arrivait des brumes et de la fraîcheur glaciale de l'Euxin.
La terre,
délivrée par le feu auroral de la vastitude étoilée et indistincte,
S'éveilla à la
merveille de la vie, à sa passion et sa tristesse et sa beauté,
Soutenant tout
sur sa poitrine, Mère patiente et compatissante.
Sortant de la
vision sans forme de la Nuit, qui a les yeux tournés vers les choses cachées,
Livrée au
regard de l'azur elle était étendue dans sa vêture verte,
Le front paré
de lumière. Imposante et muette sous le rayon auroral,
Avec ses pics
hantés des dieux l'Ida montait resplendissante de miroitements diamantés,
L'Ida première
des montagnes, avec les chaînes silencieuses au delà,
Le regard fixé
sur l'aurore en leur compagnie géante, comme depuis le début des âges
Elles la
fixaient du regard, étayant le Temps sur leurs cimes.
La Troade,
frileuse sur sa plaine, attendait la grâce de la clarté solaire.
Comme un espoir
à jamais seul chemine à travers un rêve émeraude,
Se coulant vers
l'ample étendue plus loin, là glissait le Simoïs languissant en ses courants,
Conduisant son
fil argenté parmi la verdoyance des roseaux et des herbes.
La tête la
première, ne pouvant pas souffrir l'Espace et ses limites, le Temps et sa
lenteur,
Le Xanthe
tonitruant se ruait vers les eaux houleuses dans le lointain,
Joignant son
appel au rugissement à mille voix de la puissante Egée,
Répondant au
cri illimité de la Mer océane comme un lionceau à sa mère.
Les forêts
levaient les yeux de leurs éclaircies, les ravins devenaient conscients de
leurs ombres.
Se rapprochant
insensiblement étincelaient les pieds dorés de la déesse.
Déployant
par-dessus les monts et promontoires sa vêture impartiaux, splendeur,
Fatidique elle
venait, regardant toutes choses de ses yeux
Porteuse pour
l'homme du jour de sa fortune et du jour de sa chute.
Pleine de sa
mission lumineuse, indifférente au soit, prochain et à ses larmes,
Fatidique elle
s'arrêta, impassible, au-dessus de la grandeur mystérieuse d'Ilion,
Avec ses
édifices qui ressemblaient aux pointes chatoyantes des flammes cristallines du
matin
Et la ligne
rythmique et opaline des faîtes de ses tours, notes de la lyre du dieu solaire.
Surplombant de
haut tout ce qu'une une nation avait bâti et son amour et son rire,
Éclairant pour
la dernière fois les grand-rues et les foyers, les marchés et les temples,
Regardant les
hommes qui devaient mourir et les femmes destinées à l'affliction,
Regardant la
beauté que devaient abattre le feu et la faucille du massacre,
Fatidique elle
éleva le rouleau du Jugement rouge de l'écriture des Immortels,
Dans la
profondeur de l'air invisible dont les replis enveloppent la race et ses
lendemain,
Le fixa, et
passa, souriant du sourire de ceux qui sont sans chagrin et sans mort,
De mort
distributeurs bien qu'ignorant la mort, qui le matin
Sèment la
graine de l'événement pour que la moisson soit prête à la tombée de la nuit.
Par-dessus
l'attente des plaines et la transe millénaire des sommets,
Sortant du
soleil et de ses espaces elle arriva, s'arrêtant tranquille et fatale,
Et suivie à
distance par les troupeaux dorés du dieu solaire,
Transmit le
fardeau de la Lumière et son énigme et son danger à l'Hellade.
Sri Aurobindo,
Ilion ou LA CHUTE DE TROIE, épopée,
Le Livre du héraut (Livre un- v.1à v.43)
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