Sri Aurobindo
PENSÉES ET APHORISMES
KARMA (256-306)PENSÉES ET APHORISMES
Pensées
et Aphorismes
KARMA
(L'Action )
Karma
256 — Tu murmures : la raison ne me donne aucune
base
pour avoir cette foi. Imbécile ! si elle le
faisait,
la foi ne serait pas nécessaire ni exigée de toi.
257
— La foi du cœur est le reflet obscur et souvent
déformé
d’une connaissance cachée. Le croyant
est
souvent plus tourmenté de doutes que le sceptique
le
plus invétéré. Il persiste parce que, en lui, quelque
chose
de subconscient sait. Ce quelque chose tolère la
foi
aveugle et le crépuscule des doutes et pousse à la
révélation
de ce qu’il sait.
258
— Le monde pense être mû par la lumière de la
raison,
mais en fait il est poussé par sa foi et ses
instincts.
259
— La raison s’adapte à la foi ou trouve des
arguments
pour justifier les instincts ; mais elle
reçoit
subconsciemment l’impulsion, c’est pourquoi
les
hommes pensent qu’ils agissent rationnellement.
260
— La seule tâche de la raison est d’arranger et de
critiquer
les perceptions. En soi, elle n’a aucun
moyen
d’arriver à une conclusion certaine ni aucun
pouvoir
de commander l’action. Quand elle prétend
prendre
l’initiative ou mettre en mouvement, elle
masque
d’autres agents.
261
— Jusqu’à ce que la Sagesse te vienne, sers-toi de
la
raison aux fins que Dieu lui a données, et la
foi
et l’instinct à leurs fins. Pourquoi mettrais-tu en
guerre
les différentes parties de ton être ?
262
— Perçois toujours et agis selon la lumière de tes
perceptions
grandissantes, mais pas seulement
celles
de ton cerveau raisonneur. Dieu parle à ton cœur
tandis
que le cerveau ne peut pas Le comprendre.
263
— Si ton cœur te dit : « C’est ainsi, de telle manière
et
à tel moment que cela va arriver », ne le
crois
pas. Mais s’il te donne la pureté et l’ampleur du
commandement
de Dieu, écoute-le.
264
— Quand tu reçois l’Ordre, soucie-toi seulement
de
l’accomplir. Le reste est la volonté et l’arrangement
de
Dieu que les hommes appellent hasard,
chance
et bonne ou mauvaise fortune.
265
— Si ton but est grand et tes moyens petits, agis
tout
de même, car c’est seulement par l’action
que
ceux-ci peuvent croître pour toi.
266
— Ne te soucie point du temps ni du succès. Joue
ton
rôle, que ce soit pour échouer ou pour
prospérer.
267
— Le Commandement peut venir sous trois
formes
: la volonté et la foi dans ta nature,
l’idéal
sur lequel le cœur et le cerveau se sont mis
d’accord,
et la voix qui vient de Lui ou de Ses anges.
268
— Il est des moments où l’action est peu sage ou
impossible
; alors entre en tapasyâ dans quelque
solitude
physique ou dans les retraites de ton âme, et
attends
la parole ou la manifestation divines, quelles
qu’elles
soient.
269
— Ne saute point trop vite à n’importe quelle
voix,
car il existe des esprits menteurs et prêts à
te
tromper ; mais que ton cœur devienne pur, puis
écoute.
270
— Il est des moments où Dieu semble être
sévèrement
du côté du passé ; alors, ce qui a été
et
qui est encore s’assoit solidement comme sur un
trône
et se drape dans un irrévocable « je serai ». Mais
persévère,
même si tu sembles lutter contre le Maître
des
choses, car telle est Son épreuve la plus
rigoureuse.
271
— Tout n’est pas réglé quand une cause est
humainement
perdue et sans espoir ; tout est
réglé
seulement quand l’âme renonce à son effort.
272
— Celui qui veut parvenir à un haut rang spirituel
doit
passer par des épreuves et des examens
sans
fin. Mais la plupart des candidats sont seulement
anxieux
de soudoyer l’examinateur.
273
— Tant que tes mains sont libres, lutte avec tes
mains,
ta voix et ton cerveau et toutes sortes
d’armes.
Es-tu enchaîné dans les donjons de ton
ennemi
et ses bâillons t’ont-ils réduit au silence ? Lutte
avec
le silence de ton âme qui peut tout assiéger et
avec
la puissance de ta volonté qui porte au loin ; et si
tu
meurs, lutte encore avec la force qui enveloppe le
monde
et qui est venue de Dieu en toi.
274
— Tu penses que l’ascète dans sa cave ou sur le
sommet
de sa montagne est une pierre et un
fainéant.
Qu’en sais-tu ? Peut-être emplit-il le monde
des
puissants courants de sa volonté et le change-t-il
par
la pression de son état d’âme.
275
— Ce que le libéré voit en son âme sur le sommet
de
sa montagne, les héros et les prophètes
viennent
le proclamer et l’accomplir dans le monde
matériel.
276
— Les théosophes ont tort dans leur exposé, mais
ils
ont raison dans l’essentiel. La Révolution
française
a eu lieu parce qu’une âme sur les neiges de
l’Inde
a rêvé de Dieu comme liberté, fraternité et
égalité.
277
— Toute parole et toute action jaillissent toutes
prêtes
du Silence éternel.
278
— Tout est tranquille dans les profondeurs de
l’océan,
mais, à la surface, gronde le tumulte
joyeux
de ses clameurs et de sa course au rivage ; il en
est
de même pour l’âme libérée au milieu d’une action
violente.
L’âme n’agit point ; simplement, elle exhale
du
fond d’elle-même une action irrésistible.
279
— Ô soldat et héros de Dieu, où peut-il y avoir du
chagrin,
de la honte ou de la souffrance pour
toi
? Ta vie est une gloire, tes actes sont une consécration,
la
victoire est ton apothéose, et la défaite est ton
triomphe.
280
— Ton être inférieur souffre-t-il encore des chocs
du
péché et de la peine ? Mais en haut, qu’il la
voie
ou non, ton âme est assise, royale, calme, libre et
triomphante.
Sois certain qu’avant la fin, la Mère aura
accompli
son travail et fait de la terre même de ton
être
une joie et une pureté.
281
— Si ton cœur est troublé au fond de toi, si
pendant
de longues saisons tu ne fais aucun
progrès,
si ta force défaille et se plaint, souviens-toi
toujours
de la parole éternelle de notre Amant et
Maître
: « Je te libérerai de tout péché et de tout mal,
ne
t’afflige point. »
282
— La pureté est dans ton âme ; quant aux actes,
où
est leur pureté ou leur impureté ?
283
— Ô Mort, notre ami masqué qui nous donnes de
nouvelles
chances, quand tu voudras ouvrir la
porte,
n’hésite point à nous prévenir d’avance, car
nous
ne sommes pas de ceux qui sont ébranlés par ses
grincements
de fer.
284
— La mort est parfois un valet insolent, mais
quand
elle change cette robe de terre en un
vêtement
plus brillant, son jeu de vilain et ses
impertinences
peuvent être pardonnés.
285
— Qui te tuera, ô âme immortelle ? Qui te torturera,
ô
Dieu à jamais joyeux ?
286
— Quand ton être inférieur est prêt à aimer la
dépression
et la faiblesse, pense ceci : « Je suis
Bacchus
et Arès et Apollon ; je suis Agni pur et
invincible
; je suis Sûrya qui brûle à jamais avec
puissance.
»
287
— Ne recule point devant le cri et l’extase
dionysiaques
en toi, mais prends garde de ne
pas
être un fétu de paille sur ces vagues.
288
— Tu dois apprendre à supporter tous les dieux en
toi
et ne jamais vaciller sous leur irruption ni
te
briser sous leur poids.
289
— L’espèce humaine s’est lassée de la fermeté et de
la
joie, et elle a appelé vertu la tristesse et la
faiblesse
; elle s’est lassée de la connaissance, et elle a
appelé
sainteté l’ignorance ; lassée de l’amour, elle a
appelé
l’insensibilité illumination et sagesse.
290
— Il existe de nombreux genres de patience. J’ai
vu
un lâche tendre sa joue à celui qui le frappait ;
j’ai
vu un être physiquement faible frappé par une
forte
brute contente d’elle-même, et qui regardait
tranquillement
et intensément son agresseur ; j’ai vu
Dieu
incarné souriant avec amour à ceux qui le
lapidaient.
Le premier était ridicule, le second terrible,
le
troisième, divin et sacré.
291
— Il est noble de pardonner à ceux qui te font
du
mal, mais il n’est pas si noble de pardonner
le
mal fait aux autres. Cependant, pardonne cela
aussi,
mais quand c’est nécessaire, tire vengeance
calmement.
292
— Quand les Asiatiques massacrent, c’est une
atrocité
; quand ce sont les Européens, c’est une
exigence
militaire. Apprécie la distinction et médite
sur
les vertus de ce monde.
293
— Regarde bien ceux qui sont trop indignés dans
leur
rectitude. Bientôt, tu les verras commettre
ou
excuser la même offense qu’ils avaient si
furieusement
condamnée.
294
— « Il y a très peu de véritable hypocrisie chez les
hommes
», dis-tu. C’est vrai, mais il y a une
bonne
quantité de diplomatie et encore plus de
tromperie
de soi. Cette dernière est de trois variétés :
consciente,
subconsciente et semi-consciente. Mais
la
tromperie de soi semi-consciente est la plus
dangereuse.
295
— Ne sois point trompé par les démonstrations
de
vertu des hommes, ni dégoûté par leurs
vices,
manifestes ou cachés. Ces choses sont des subterfuges
nécessaires
pendant cette longue période de
transition
de l’humanité.
296
— N’aie point de répulsion pour les perversions
du
monde ; le monde est un serpent blessé et
venimeux
qui se tortille vers sa mue et vers un destin
de
perfection. Attends, car c’est une gageure divine,
et
de cette bassesse, Dieu émergera radieux et
triomphant.
297
— Pourquoi recules-tu avec horreur devant un
masque
? Derrière l’apparence odieuse, grotesque
ou
terrible, Krishna rit de ta sotte fureur, de
ton
mépris ou de ta répulsion encore plus sotte, ou,
plus
sotte que tout, de ta terreur.
298
— Quand tu te prends à mépriser quelqu’un,
regarde
dans ton cœur et ris de ta folie.
299
— Évite les vaines discussions, mais accepte
librement
les échanges d’opinion. Si tu es
contraint
de discuter, apprends quelque chose de ton
adversaire,
car, si tu écoutes avec la lumière de l’âme et
non
avec l’oreille et le mental qui raisonne, tu peux
recueillir
beaucoup de sagesse, même d’un sot.
300
— Change toute chose en miel, telle est la loi de la
vie
divine.
301
— Les querelles privées doivent toujours être
évitées,
mais ne recule pas devant la bataille
publique
; cependant, même là, apprécie la force de
ton
adversaire.
302
— Quand tu entends une opinion qui te déplaît,
étudie
et découvre la vérité qu’elle contient.
303
— Les ascètes du Moyen Âge haïssaient les
femmes
et pensaient qu’elles avaient été créées
par
Dieu pour tenter les moines. Il peut être permis
d’avoir
une plus noble opinion et de Dieu et de la
femme.
304
— Si une femme t’a tenté, est‑ce sa faute ou
la
tienne
? Ne sois pas sot et ne te dupe pas
toi-même.
305
— Il y a deux manières d’éviter le piège de la
femme
: l’une est de fuir toutes les femmes ;
l’autre
est d’aimer tous les êtres.
306
— Il n’y a pas de doute que l’ascétisme soit très
salutaire
; la caverne est très paisible, et le
sommet
de la colline merveilleusement agréable ;
cependant,
agis dans le monde comme Dieu l’a voulu
pour
toi.
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